Cela faisait plus d'un an que les sondages répétaient inlassablement que le président sortant ne pourrait pas conquérir un deuxième mandat. Sondages en bernes, rapport droite/gauche défavorable, cote de popularité en chute libre. Non, vraiment, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas l'emporter face au candidat de gauche. Pourtant, c'est ce même candidat que la France portait triomphalement à l'Elysée le 6 mai 2007. A l'époque, tout paraissait possible à cet animal politique hors du commun. Au point qu'une réélection semblait presque une formalité pour lui. La gauche en prenait pour encore 10 ans d'opposition. Les rêves de maroquins ministériels s'envolaient encore un peu plus rue de Solférino. Que s'est-il donc passé ? Tentative d'autopsie d'une défaite largement annoncée.
En réalité, la défaite du 6 mai 2012 prend ses racines le 6 mai ... 2007, le jour de la victoire de ce même Nicolas Sarkozy. Porté par un peu plus de 53% des suffrages, la France croit alors tenir son réformateur courageux, son entrepreneur audacieux, ce modernisateur de la vie politique que l'on attend depuis si longtemps. Mais le souffle de modernité va aller trop loin, trop vite, et sera trop brouillon dans ce pays habitué à des monarques républicains. Et, l'homme décomplexé vis à vis l'argent et fasciné par la réussite va choquer. Il réunit quelques riches amis au désormais célébrissisme Fouquet's. Ce n'est pourtant pas l'endroit le plus chic qui soit. Mais le symbole choque, y compris parmi électeurs sarkozystes. Le nouveau président distribue déjà des munitions à ses adversaires politiques, qui sauront rappeler cet épisode malheureux matin, midi et soir pendant 5 ans sur toutes les ondes. D'autant que suit l'épisode du yacht de Bolloré. Goût du luxe, liens avec les milieux d'affaires et d'argent. Dans un pays où la réussite et l'argent sont parfois suspectes, cela dérange la pudeur catholique et l'égalitarisme républicain. Ajouté à cela la Rolex, les Ray Ban et le tee shirt NYPD, le style détonne. Qu'importe, à l'époque, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy atteint des sommets (Jusqu'à 75% en août 2007). Elle ne cessera alors plus de chuter inexorablement. Le Fouquet's et le yacht reviendront dans les mémoires quant les jours se feront plus sombres.
Car, dès la constitution de son gouvernement, le nouveau président va désespérer certains de ses électeurs. Voulant pousser son avantage face à un Parti Socialiste moribond, Nicolas Sarkozy va, un peu par vanité, dépouiller le PS de certains de ces membres. C'est la grande époque de l'ouverture : Bernard Kouchner, Fadela Amara, Eric Besson, Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Jouyet... et même DSK au FMI. Dans les rangs de l'UMP ça grince. Déjà que les places ministérielles sont chères. Sarkozy se fabrique des ennemis en interne (Jean-François Copé, François Baroin...), et se fâchent avec ses électeurs qui n'avaient pas voté pour voir pareilles têtes d'affiche. Le bling-bling, l'ouverture à gauche, les premiers déçus s'en vont. Ils ne reviendront pas tous en 2012. Des voix qui manqueront.
Si le style détonne et açace (discussion houleuse avec le pêcheur du Guilvinec, Cass' toi pov' con, lune de miel voyante avec Carla Bruni à Disney et en Egypte...), le président est, malgré tout, réformateur et actif. Loi TEPA de l'été 2007, réformes des régimes spéciaux fin 2007. L'opposition trouve sa marotte : le bouclier fiscal à 50%. L'administration fiscale fait des chèques aux foyers fiscaux les plus riches pour rembourser le trop plein perçu. Sarkozy devient le président des riches. Même si d'autres volets de la loi TEPA s'adresse aux classes moyennes et populaires (Heures supplémentaires défiscalisés, déduction des intérêts d'emprunt pour un achat immobilier...), le président sera pour le reste de son mandat associé au bouclier fiscal et au président des riches. Message qui sera martelé, là encore, matin, midi et soir par la plupart des opposants. Une attaque facile et efficace, à défaut d'être totalement juste. C'est (trop) souvent ça la politique. D'autant qu'à l'été 2007, une tempête se prépare de l'autre côté de l'atlantique. Les crédits hypothécaires "subprimes" donnent des signes de faiblesse.
La crise, c'est ce qui touchera de plein fouet la présidence Sarkozy, et prendra le pas sur tout le reste de son action politique, qu'elle soit positive ou négative. L'ouragan de la finance s'abat définitivement fin 2008. Faillite de la banque Lehman Brothers qui se répand comme une tâche d'huile dans le monde de la finance puis, dans l'économie "réelle". Le président vole de sommet de crise en sommet de crise pendant 4 ans. Les français apprécient le dynamisme et le saluent souvent dans les enquêtes d'opinion. Oui mais voilà, les entreprises sont fragilisées, le chômage augmente, les déficits aussi. L'homme a beau être au prise avec une crise financière, économique et budgétaire sans précédent, il est in fine responsable. Et même doublement, puisque dans les faits, il joue aussi le rôle du premier ministre. Dès lors, sa cote de popularité ne cesse plus de chuter, malgré un leadership européen certain avec Angela Merkel, et une politique étrangère souvent inspirée (Georgie, Libye, Côte d'Ivoire...). Qu'importe, la diplomatie d'un pays n'intéresse personne, le chômage intéresse tout le monde. It's the economy, stupid.
Son élection en 2007 avait suscité les attentes les plus folles. Un peu comme celle de Barack Obama aux Etats Unis en 2008. Le pays devait renouer avec une croissance forte, réduire ses déficits, en finir avec le problème du chômage, et entreprendre des réformes structurelles profondes. La crise aura profondément bouleversé l'action du président, comme celle de tous ses homologues des autres pays européens. Mais, si l'on compare le bilan avec les attentes d'avant la crise, la déception est d'autant plus grande. La croissance ne dépasse guère 1% en moyenne, les déficits se sont creusés, et le chômage a fortement progressé. Certes, la situation est pire dans d'autres pays. Mais, les français votent en fonction de la situation de la France, pas celle de l'Espagne ou de la Grèce. Sur les réformes structurelles, Nicolas Sarkozy a été un réformateur timide, mais néanmoins plus actif que ces prédécesseurs : Non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, nouvelle carte judiciaire, réforme des retraites... Insuffisant disent les libéraux qui attendaient tant de ce président. Une attaque sans précédent des acquis sociaux et structures qui font l'ADN du pays disent les syndicats et la gauche. Au final, Nicolas Sarkozy mobilise durement contre lui l'opposition, sans rallier le soutien des exigeants réformateurs libéraux. Des voix qui, là encore, manqueront au décompte final.
Reste la campagne électorale du président sortant. Celui-ci l'aborde en une situation particulièrement délicate. Sondages en berne, cote de popularité qui ne frémit pas d'un poil. Nicolas Sarkozy part avec le désavantage quasi insurmontable d'être à la tête d'un pays en crise profonde. Pas un dirigeant politique européen, dans cette situation, n'a réussit à l'emporter. De plus, après 5 ans d'expérience gouvernementale (2002-2007), puis 5 autres à la présidence de la république, le président-candidat est, depuis 10 ans, sous le feu de l'actualité, à la une quasi-quotidiennement de tous les journaux, et le centre de toutes les discussions. Il y a clairement overdose. Pourtant, les sondages vont frémir, avec la fameuse "droitisation" inspiré par le conseiller officieux Patrick Buisson, présenté comme une sorte de prince des ténèbres, machiavélique et tirant les ficelles. Cette stratégie est critiquée. Elle permet néanmoins un score honnête au premier tour. Par la suite, beaucoup de commentateurs ont trouvé que François Hollande avait dominé le débat d'entre deux tours. Pourtant, suite à la confrontation télévisuelle entre les deux hommes, les écarts dans les sondages se resserrent, et le score est finalement beaucoup plus étriqué qu'attendu (51,6 % - 48,4%) le 6 mai. Comme quoi, il faut se méfier des commentateurs. Malgré tout, Nicolas Sarkozy perd un combat qui, depuis le départ, semblait définitivement impossible à gagner. Reste qu'au second tour, on a décompté plus de 2 millions de bulletins blancs ou nuls. Bulletins qui ont, sans doute, fait défaut au président sortant. Des exaspérés de la période bling-bling, des libéraux déçus, des désorientés de l'ouverture à gauche, et surtout des classes populaires séduites en 2007, mais que la crise et la désindustrialisation ont frappé de plein fouet. Autant de voix qui se sont perdus.
On l'a vu, c'est dans les victoires que se forgent les futurs succès, ou les échecs. Le 6 mai 2007, sans le savoir, Nicolas Sarkozy commençait déjà à creuser sa tombe. La crise qui secoua la planète fit le reste. Fort de cette expérience, le nouveau président Hollande évita donc soigneusement le restaurant des Champs Elysées pour fêter sa victoire et se contenta, dixit les journalistes, d'un pique-nique corrézien. Sauf que ce 6 mai 2012 au soir, le président "normal" rentre à Paris en jet privé, accompagné de sa batterie de conseillers et de courtisans. Il a même fallu commander un deuxième Falcon pour caser tout ce petit monde. Mais, il ne fallait pas faire attendre la Bastille. Pour la note, pas de problème, c'est le PS qui paye. Néanmoins, pour le candidat autoproclamé de l'anti bling-bling, un jet à 30 000 euros de l'heure, ça fait désordre. A côté, le Fouquet's semble une bien piètre cantine...
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