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samedi 2 juin 2012

Concerto à la mémoire d'un ange d'Eric-Emmanuel Schmitt

Après le théâtre (Le visiteur, Variations énigmatiques, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran...), le Roman (L'évangile selon Pilate, La Part de l'autre...), Eric-Emmanuel Schmitt a ouvert, ces dernières années, un nouveau champ à son écriture déjà prolifique : la nouvelle. On a pu notamment le lire avec Odette Toulemonde et autres histoires, ou encore La rêveuse d'Ostende. L'auteur revient ici avec une autre nouvelle : Concerto à la mémoire d'un ange. Il a même empoché le prix Goncourt de la nouvelle 2010 pour cet ouvrage.

Ici donc, il n'y a pas une, mais 4 histoires, sous formes de courtes nouvelles. La principale, mais aussi surement la meilleure, étant probablement Concerto à la mémoire d'un ange, en référence au sublime Concerto à la mémoire d'un ange d'Alban Berg. 4 histoires qui n'ont, en apparence, rien à voir. Car quel point commun en effet entre une vieille dame, empoisonneuse en série de ces maris successifs, un marin, père de famille, à qui l'on annonce le décès d'une de ses filles, sans lui préciser laquelle, deux jeunes musiciens virtuoses, qu'une insignifiante compétition va séparer, du moins le croit-on, à tout jamais, et une épouse de président de la république, prête à clamer son désamour pour ce mari devenu si distant ?

Ce point commun, c'est sainte Rita, également la patronne des causes désespérées. Elle apparaît ainsi dans chacune des nouvelles, comme un espoir, un recours pour ces personnages en quête de rédemption. Car dans ces histoires, c'est de rédemption dont il s'agit. L'empoisonneuse de maris successif trouve son salut, bien qu'également intéressé, dans le secret d'une confession accordée au nouveau jeune prêtre de sa paroisse. Le marin, apprenant au cours d'un de ses longs voyages en mer la disparition d'une de ses filles, sans savoir laquelle, se prend à jouer au jeu sordide de savoir laquelle ou lesquelles il préfère. Avant de se reprendre, prenant ainsi conscience de l'amour d'un père pour ses filles, et jurant qu'on ne le reprendrait plus à ce jeu là. C'est quand on a perdu un être cher qu'on l'apprécie. Le marin n'en sera désormais qu'un meilleur père. La rédemption, c'est aussi celle de ce jeune pianiste français qui, par jalousie pour un violoniste virtuose australien, ira jusqu'à lui refuser son secours, dans une situation tragique, pour gagner une compétition pourtant sans enjeu. Le croyant mort, il stoppera net sa carrière, pour se consacrer entièrement au bonheur des autres. Avant que son passé ne le rattrape, et qu'il ne se trouve confronté, tel un jeu de miroir, à cet autre monstrueux qu'il était avant. La rédemption, elle s'incarne dans ce locataire de l'Elysée qui, sur le tard, pleure sa femme, trop tôt emportée par la maladie, et qu'il avait pourtant allègrement trompée et délaissée. Celle-ci lui laissera pourtant, à travers une publication, la plus belle des preuves d'amour. Il consacrera la fin de sa vie à son souvenir. 

Eric-Emmanuel Schmitt voue un culte à sainte Rita, cette sainte des causes désespérées, celle qu'invoquent toutes les âmes en quête de rédemption, et d'une nouvelle vie. Si l'écriture est simple, le message de l'auteur n'en est pas pour autant simpliste. A travers ces récits, c'est aussi et surtout une réflexion sur la liberté de chaque individu face à son passé, mais aussi face à son destin. Les âmes, même les plus noires, peuvent se repentir et changer. De même que les plus belles âmes peuvent un jour sombrer. Il n'y a rien d'inéluctable. La rédemption et la quête du bien, ou tout simplement du meilleur est toujours possible. Par son écriture, particulièrement épuré, l'auteur laisse place à notre imaginaire, qui peut s'incarner dans ces différents personnages en quête d'idéal, ou tout simplement d'un équilibre perdu, et qu'ils vont retrouver.

La lecture du journal d'écriture, à la fin de l'ouvrage, nous en apprend plus sur la construction de l'ouvrage. De l'idée de départ, sainte Rita, à la construction des différents récits. Des considérations philosophiques sur la liberté ou le déterministe, à la technique d'écriture. Le journal d'un auteur en pleine maturation de son oeuvre. Aussi digne d'intérêt que les nouvelles.

A la lecture de ces nouvelles, les âmes cyniques et pessimistes crieront au simplisme su'est cette quête de la rédemption. Les hommes en sont incapables. Les snobs estimeront pour leur part l'écriture insuffisamment travaillé. Mais la complexité n'est elle pas justement de faire simple. N'est il pas plus facile de bâtir des pavés  compliqués où tout est dit, mais surtout ce qui est sans intérêt. Au lecteur de débrouiller pour faire le tri. Ici, Eric-Emmanuel Schmitt a fait ce travail pour nous, ne gardant que ce qu'il convient. Quant à ne pas croire en la rédemption de l'homme, ce serait ne plus croire en l'homme. Vaste débat...

vendredi 11 mai 2012

Paris Céline avec Lorant Deutsch

Pour une fois, ce n'est pas un livre, mais un DVD. Réalisé par Patrick Buisson et Guillaume Laidet, Paris Céline met en scène l'acteur Lorant Deutsch sur les traces de Louis-Ferdinand Céline. Sur le modèle du livre et documentaire à succès de Lorant Deutsch, Metronome, le film nous fait découvrir et revivre les lieux de Paris, mais aussi de sa banlieue, étroitement liés à la vie et à l'oeuvre du sulfureux écrivain.

Car Louis-Ferdinand Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, sent la poudre. Le génial styliste n'en demeure pas moins un antisémite abjecte, un collabo zélé pendant l'occupation, et un misanthrope jusqu'au boutiste. Bref, un parfais salaud. Pourtant, depuis 20 ans, son oeuvre littéraire est redécouverte et largement plébisicitée, y compris par la jeune génération. Il reste celui qui a inventé un style inimitable, que l'on a coutume d'appeler la petite musique célinienne. Deuxième auteur français du XXème siècle le plus traduit dans le monde, après Marcel Proust, son style et son oeuvre ont inspiré des écrivains aussi divers que Charles Bukowski, Frédéric Dard, Patrick Modiano ou encore Michel Audiard. Ces derniers années, de nombreuses études sur la vie et la production littéraire de l'écrivain parisien ont fleuri dans les librairies. Pressenti pour faire parti des célébrations nationales de l'année 2011, Louis-Ferdinand Céline a été retiré in extremis du programme après une belle polémique. Céline reste un sulfureux. Dans Paris Céline, Lorant Deutsch fait revivre les lieux parisiens de la vie de l'écrivain, a grand renfort de documents, d'archives de l'époque et d'illustrations du dessinateur Jacques Tardi. L'occasion aussi de relire des extraits de l'oeuvre de l'écrivain, décrivant à sa manière le Paris de l'époque. 

Louis-Ferdinand Destouches est né en 1894 à Courbevoie. Il le répétera inlassablement dans son oeuvre. Mais c'est dans Paris, au passage Choiseul, que le jeune Louis-Ferdinand passe son enfance. Avec Lorant Deutsch, nous partons donc sur les traces de sa maison d'enfance, dans ce fameux passage, où sa mère tenait une boutique de mode. Il ne reste évidemment plus aucune trace de Céline. Le théâtre des Bouffes-Parisiens a avalé la petite boutique ainsi que la chambre de Céline. Néanmoins, la visite du théâtre et des toits laisse deviner le passage de l'écrivain. Et puis, on peut se référer à sa description dans Mort à Crédit, l'oeuvre qui retrace son enfance dans le quartier. Le Passage, il le décrit comme une "Cloche de gaz", en référence à tous les becs de gaz qui s'allument le soir pour éclairer le passage. Et puis, c'est évidemment les odeurs et la puanteur qui dominent sa description. Ainsi que la violence de son père à son encontre, ou encore la méchanceté des voisins et des passants. Qu'il méprise évidemment. Mort à Crédit dépeint une enfance noire de Louis-Ferdinand au Passage Choiseul. Description évidemment très éloignée de la réalité, mais à l'image de son oeuvre, empreinte de mythomanie et de délire paranoiaque. La vie du jeune Louis-Ferdinand semble en réalité bien plus heureuse et aisée. Ses relations avec ses parents sont noircies, et sa grand-mère, Céline, l'emmène le jeudi au cinéma voir les premiers films de Georges Méliès. De cette grand-mère aimante, il en gardera son patronyme d'écrivain, Céline.

Bien des années plus tard, après avoir servi dans le 12 ème régiment de cuirassiers pendant la guerre 14-18, puis suivi une formation de médecine à Rennes, voyagé aux Etats Unis et en Afrique, le docteur Destouches revient en région parisienne et ouvre un cabinet médical à Clichy-la-Garenne. Il y travaillera ensuite dans un  dispensaire, où il y côtoiera toute la misère humaine. Car Clichy-la Garenne, Céline va la croquer dans Le Voyage au bout de la Nuit. Dans cette oeuvre, c'est La Garenne-Rancy. Banlieue prolo, il y voit les bas-fonds, les cas médicaux les plus graves : les tuberculoses, les syphilis, les ivrognes, les ouvriers qui crachent de leurs poumons toute cette poussière d'usine. Et, même si Céline, comme à son habitude, en rajoute des tonnes, ce n'était pas rose tous les jours. Étrangement magnanime, il éprouve malgré tout de la compassion pour les malades, et souvent ne les fait pas payer. Même chez le plus misanthrope des hommes, peut se cacher une part d'humanité. Il y a aussi une autre explication. Le docteur Destouches aime les gens malades, car quand ils sont malades, ils ne font pas ch... Avec Lorant Deutsch, c'est l'occasion de revenir dans ce quartier de Clichy, tout de brique rouge, pour voir le cabinet médical du docteur Destouches, ainsi que le dispensaire, qui existe toujours. 

Mais bientôt, Céline déménage à Paris, rue Lepic, dans le quartier de Montmartre. Il est suivi par Elisabeth Graig, une danseuse, qu'il surnomme son "impératrice" et a connu à Genève. Après les petits commerçants du Passage Choiseul et les prolos de Clichy, Céline s'installe au milieu des artistes de la butte Montmartre. Et en choisisant la rue Lepic, il est plutôt bien entouré. Y habitèrent les peintres Maurice Utrillo et Vincent Van Gogh, ainsi que le romancier et dramaturge Georges Courteline. C'est d'ailleurs à cette adresse qu'il produira ces deux oeuvres majeures : Le Voyage au bout de la nuit et Mort à Crédit. Rue Lepic, l'écrivain va se lier avec le peintre expressionniste Gen Paul. Artiste alcoolique et obsédé, il sera un compagnon pour Céline pour des virés noctures dans les milieux libertins du quartier, et autres lieux de la Butte de toutes les perversités. C'est aussi dans l'atelier de Gen Paul que tout le petit monde artistique de Montmartre se réunit : Maurice de Vlaminck, Marcel Aimé, Maurice Utrillo, Robert Le Vigan ou encore Michel Simon... Elisabeth Graig repart aux Etats Unis, laissant un Céline inconsolable. Il rencontrera quelques années plus tard Lucette Almanzor, elle aussi danseuse, qui ne le quittera plus. Pendant l'occupation allemande de 1940-1944, l'écrivain reste dans le quartier. Un nid de résistants habite en dessous de chez lui et projette d'éliminer cet écrivain proche des milieux collaborationnistes. A la tête de ce réseau, le futur écrivain Roger Vailland. Le projet n'est jamais mis à exécution. Céline soignera même l'un des leurs. La défaite Allemande sonne la fuite pour Céline et sa femme Lucette. Ils seront accompagnés dans ce périple par le chat béber, cadeau de Robert Le Vigan, qui est lui aussi du voyage. Direction l'Allemagne, à Sigmaringen d'abord, puis au Danemark. Périple amplement raconté dans D'un château l'autre

Ce n'est que des années plus tard, après être passé par la case prison, que Céline revient à Paris. Il s'installe dans un petit pavillon sur les hauteurs de Meudon, à l'écart. L'écrivain maudit, qui se considère comme proscrit et banni préfère contempler Paris depuis son jardin de banlieue. Il a aussi une magnifique vue sur Courbevoie, sa ville natale. Bien qu'à l'écart, l'écrivain reçoit de vieux amis (Arletty, Marcel Aymé), ou de jeunes gloires littéraires iconoclastes (Roger Nimier). Si Céline pratique occasionnellement la médecine, il bénéficie aussi des avances de Gaston Gallimard pour poursuivre son oeuvre littéraire. Il produira entre autre Nord et Rigodon, qui formeront, avec D'un Château l'autre, la triologie de l'exil en Allemagne. L'occasion aussi de sa lamenter, encore et toujours, sur son sort, sur son statut de banni, sur la modernité qu'il ne comprend pas, sur ce siècle de l'automobile qui voit disparaitre tragiquement quelques uns des plus talentueux écrivains et intellectuels (Albert Camus, Roger Nimier, Françoise Sagan). Oui, vraiment tout fout le camp. Après avoir achevé la dernière page de Rigodon, Louis Ferdinand Céline s'en va. Comme un soulagement. L'humanité fut, pour lui, un poids trop lourd à supporter. 

Aficionados de l'écrivain ou simples curieux de l'histoire de Paris, chacun y trouvera une bonne raison de voir ce documentaire intelligent, cultivé et bien conçu. A noter que Lorant Deutsch nous fait ici exceptionnellement visiter l'appartement où vécut Céline à Montmartre, ainsi que la maison de Meudon, où vit d'ailleurs encore Lucette Destouches. 

mercredi 2 mai 2012

Indignation de Philip Roth

En 2010, l'ancien diplomate, résistant et homme de gauche Stéphane Hessel publiait le best seller mondial Indignez-vous ! Cet ouvrage médiocre, avec peu de pages et encore moins d'idées, fut le bréviaire de tous les pseudos campeurs de places et de jardins publics des mouvements Indignados en Espagne ou Occupy Wall Street aux Etats-Unis. Voulant prendre part à ce mouvement d'indignation, je me précipite donc en librairie pour me procurer le fameux opus du grand homme de la révolte. Et plutôt qu'Indignez-vous, je tombe sur l'un des derniers ouvrages du romancier américain Philip Roth : Indignation. Dans le 28 ème roman d'un des grands maîtres de la littérature américaine, pas de niaiseries ni de prêchi prêcha pour biens pensants en mal de rébellions. De la littérature, de la vrai. Et de l'indignation, de la vrai.

Pour l'occasion, le romancier natif de Newark a opportunément délaissé le narrateur âgé de ses derniers romans, pour se mettre dans la peau d'un jeune étudiant d'une université américaine, Marcus Messner. Fini donc le vieux monsieur irascible, accaparé par ses problèmes d'impuissance ou de prostate, et retour en 1951 dans la peau d'un jeune homme qui, surprenante coïncidence, a le même âge que l'auteur à la même époque. 1951, c'est donc une plongée dans cette Amérique des années 50, avec en toile de fond la très meurtrière guerre de Corée qui envoie des dizaines de milliers de jeunes américains combattre les communistes chinois et nord-Coréens au niveau du 38 ème parallèle.

Philip Roth avait ces dernières années quelque peu déçu ses fans. Avec Indignation, le grand auteur du New Jersey est de retour, en grande forme. Comme il l'avait si magistralement mis en scène dans Pastorale Américaine pour les années 60-70, Roth égratigne les travers moraux de son pays, et les moeurs puritaines de ses compatriotes. Mais cette fois-ci dans les années 50.

Sans dévoiler toute l'histoire bien sûr, quelques mots sur l’atmosphère du Roman. Marcus Messner, fils unique d'une famille de Newark dans le New Jersey, est un étudiant brillant, mais étouffe auprès d'un père protecteur et paranoïaque jusqu'à la folie. Ce fils de boucher Kasher, qui connait un bout du métier, tente donc l'aventure dans le middlewest en intégrant l'université de Winsburg dans l'Ohio. Fini la petite université du New Jersey où se côtoient juifs, italiens et irlandais. Place au campus de l'université baptiste, avec sa morale et ses traditions. 

Marcus se doit de réussir. Alors qu'importe ce puritanisme pesant et ses condisciples WASP qu'il refuse de côtoyer. Trois choses comptes pour lui : ses études, sortir avec fille et échapper à la guerre de Corée. Le reste ne l'intéresse pas. Côté étude, le jeune homme excelle. Côté fille, une gâterie inespérée et marquante d'une jeune étudiante perturbée lui fera découvrir l'amour. Jusqu'à la folie. La guerre de Corée, il pense y échapper en devenant le meilleur. Le meilleur en tout, le major de promo, y compris en préparation militaire.

Mais le jeune homme est bientôt rattrapé par la morale étouffante du campus. Il y a les fraternités, mais pour la grande majorité, elles sont réservées exclusivement aux jeunes hommes, blancs et protestants. Il y a bien quelques juifs et noirs sur le campus, mais l'accès leur est exclu. L'Amérique des années 50 est encore raciste. Le campus est aussi le lieu de toutes les frustrations. Les garçons et les filles sont séparés dans des bâtiments et dortoirs différents, et n'assouvissent leurs désirs et pulsions profondes qu'en cachette. Ou le plus souvent jamais. Car la morale veille, en la personne du doyen Caudwell. Héros de l'université pour son passé sportif, au ton cordial et volontiers paternaliste, il n'est que la résurgence d'une inquisition douce qui entend tout savoir et tout contrôler des agissements et sentiments les plus profonds de ses étudiants. Campus fondé par les baptistes, l'université n'en est pas moins laïque. Ce qui n'empêche pas le doyen d'imposer à tous les étudiants d'assister à l'office et aux sermons pour obtenir leurs diplômes. D'une famille juive, mais profondément athée, Marcus ronge son frein pendant les offices et, de rage, répète dans sa tête les strophes du champ patriotique chinois. A la 4 ème strophe : "Indignation".

Et le jeune homme brillant va aller d'indignation en indignation. Des indignations qu'il a trop longtemps refoulées. L'indignation, ce sont les violents échanges verbaux avec le placide mais inquisiteur doyen Caudwell à propos de la religion. L'indignation, c'est le refus d'intégrer les fraternités, même celles non chrétiennes qui pourraient l'accepter. Pas le temps. L'indignation, c'est de ne pas vouloir intégrer l'équipe de base ball. Pas le temps. L'indignation, c'est de ne pas participer aux beuveries de fin de semaine dans les bars du campus. Pas le temps. L'indignation, c'est de refuser d'aller à la messe écouter ses sermons qu'il trouve abjectes. Il défend un athéisme à la Bertrand Russell. L'indignation, c'est aussi ce silence général sur le sort de la fille, disparue, qui lui a fait découvrir, pour la première fois, en cachette, le plaisir et l'amour. Bientôt, il ne sera plus seul à s'indigner. Le campus va rentrer en ébullition.  Mais pour Marcus, le sort est scellé. Il paiera de sa vie son indignation...

mardi 24 avril 2012

Des gens très bien d'Alexandre Jardin

Des gens pas bien. C'est plutôt ainsi qu'aurait dû s'intituler ce livre. Car dans Des gens très bien d'Alexandre Jardin, nous avons plutôt droit à un portrait au vitriol d'un certain nombre de personnages. Notamment un. Mais qui sont ces personnages ? Des dignitaires du régime de Vichy, notamment Pierre Laval et René Bousquet. Mais quand se situe les évènements ? Le 16 juillet 1942 très précisément. Ce jour là, sur ordre du chef de gouvernement, Pierre Laval, le secrétaire général de la police, René Bousquet, procède à l'arrestation d'environ 13 000 juifs, dont 4 000 enfants. Ce sont les tristement célèbres rafles du Vel d'Hiv. On comprend peut être un peu mieux maintenant le réquisitoire sans concession du livre. A un détail près. Le nom du protagoniste principal du livre : Jean Jardin. Jardin ? Oui, comme le nom de l'auteur. Alexandre Jardin a, ici, mis en scène son propre grand père. Pour quelle raison ? Il était à l'époque directeur de cabinet de Pierre Laval, c'est à dire le plus proche collaborateur du chef du gouvernement de Vichy, et à ce titre conseiller très influent. Toute la trame de l'Histoire va donc être l'interrogation d'Alexandre Jardin sur le rôle de son grand père lors de ce sinistre épisode.

Qui est Jean Jardin ? Un homme de réseau ayant commencé une carrière dans la haute fonction publique dans les années 30. En cette période trouble, il est alors un pacifiste convaincu et fait parti de la mouvance du parti radical. Pendant la guerre, avec l'occupation allemande et la mise en place du régime de Vichy, il prend de l'importance, jusqu'à devenir le directeur de cabinet de Pierre Laval, alors chef du gouvernement de Vichy. Il est donc une sorte d'éminence grise et d'homme de confiance pour les missions délicates. Au coeur du pouvoir lors des rafles du Vel d'Hiv du 16 et 17 juillet 1942, sa responsabilité pose question.

Alexandre Jardin se lance donc ici dans une vaste enquête, même si malheureusement les éléments concrets tardent à venir, alors que le ressentiment envers son aïeul s'exprime très largement et sans nuance. Le livre est en cela extrêmement dérangeant. Car plutôt qu'une enquête sérieuse et scientifique, c'est plutôt un réquisitoire contre son propre grand père et sa propre famille que nous propose l'auteur. Tout est sujet à dénigrement. Presque à chaque phrase. Comme si l'auteur voulait expier une faute qu'il n'avait pas commis. Le grand père n'est d'ailleurs pas seul à prendre. Le propre père d'Alexandre Jardin, Pascal Jardin, est aussi cloué au Pilori dans le livre. Pascal Jardin, écrivain également et aujourd'hui disparu, est ainsi accusé d'avoir donné de Jean Jardin une image faussée dans ses livres La guerre à 9 ans, mais surtout Le Nain Jaune, surnom de Jean. Et c'est donc avec beaucoup de détermination que le petit fils va se charger ici de rétablir la vérité qu'on a voulu cacher : oui, son grand père était antisémite et un salaud de collabo !

Alexandre Jardin mène donc, tout au long du livre, une instruction exclusivement à charge. Et même très à charge. C'est d'autant plus aisé pour lui que le principal inculpé, son grand père Jean, est mort en 1976. Et le témoin menteur, son père Pascal, a disparu en 1980.  Nous n'avons donc guère que la version d'Alexandre Jardin, qui s'appuie sur des souvenirs, des témoignages, des archives trouvées dans le grenier de ces grands parents. Mais on sent que l'auteur veut à tout pris que son grand père soit coupable. C'est en cela un livre extrêmement dérangeant, car quelque soit la responsabilité de son grand père dans ce tragique évènement, on a rarement vu petit fils entreprendre une telle entreprise de démolition contre son propre grand père, et dans une moindre mesure son propre père. J'ai en mémoire le livre de Dominique Jamet, Le petit Parisien, qui dressait un portrait extrêmement sombre de son père Claude Jamet, socialiste et partisan de la collaboration pendant la guerre. Mais c'est bien le seul exemple qui me vient en tête.

Pourquoi "des gens très bien" alors ? Simple ironie ? Pas uniquement. Et c'est peut être la partie intéressante du livre. En effet, la question des camps de concentration et de la Shoah pose la question du caractère monstrueux de tous les acteurs qui ont oeuvré à cette industrie de la mort. Et Jardin met en évidence leur déconnexion complète avec les actes accomplis. Ainsi, qu'ils soient chefs de camps, gardiens SS ou hauts fonctionnaires à Vichy, tous ont le sentiment de faire au contraire le bien, et d'agir avec humanité. L'auteur raconte par exemple cette exemple édifiant sur le front de l'est, où les colonnes de SS liquidaient sur leur chemin des familles entières. Or, un officier SS fut choqué du fait que l'on liquidait les mères avant leurs enfants, comble de la cruauté pour lui. Il ordonna donc de procéder d'abord à l'élimination des enfants, puis ensuite à celui des mères. L'officier eut ainsi le sentiment d'agir avec humanité au coeur de l'horreur et donc d'être quelqu'un de bien. De même, dans une mise en scène imaginé à la fin du livre, le nain jaune explique à l'auteur qu'il agit pour le mieux avec ses rafles de juifs, avec l'espoir de voir revenir les soldats prisonniers en Allemagne.

Pour le reste, Alexandre Jardin va exhumer un à un ses souvenirs d'enfance dans la propriété Suisse de Vevey, pour trouver trace de l'antisémitisme de son grand père, et de son implication dans le processus de décision de cette funeste journée du 16 juillet 1942. Car il en est persuadé, si la culpabilité s'est portée sur Pierre Laval et René Bousquet, le nain jaune était forcément au courant et doit donc être reconnu coupable. D'ailleurs, vers la fin de l'ouvrage, il semble que certaines pièces d'archives, très récemment exhumées par une historienne, viennent confirmer sa thèse. A partir de là, la question ultime de sa traque devient : Savait il pour les camps de concentration et d'extermination ? Et là encore, les récents documents d'archives pourraient en partie confirmer sa thèse. Néanmoins, l'interprétation d'Alexandre Jardin reste sujet à caution. Les grands historiens spécialistes de l'époque, Azéma ou Rousso n'ont pour l'instant par confirmer l'éventuelle participation de Jean Jardin à l'épisode de la rafle du Vel d'Hiv.

Le style du livre est vif et percutant, avec une plongée très intimiste dans une famille qui n'en finit pas de régler ses comptes. Cela étant, le livre reste choquant par cette volonté d'enfoncer ainsi ses aïeuls dans la culpabilité par un réquisitoire à charge d'une rare violence, et sans qu'aucun droit élémentaire de la défense ne soit respecté. Alexandre Jardin en fait trop, beaucoup trop. Qu'il ne soit pas particulièrement fière du passage de son grand père à Vichy aux côtés de Pierre Laval, on peut aisément le comprendre. Mais la l'hypothétique culpabilité de son grand père (jamais prononcée), ne mérite peut être pas qu'il jette ainsi sur un chemin de croix dans l'espoir d'une rédemption. Qui peut assurer, en remontant un peu dans son arbre généalogique, n'avoir aucun ancêtre qui n'est quelque chose à se reprocher ? Sur le plan purement historique, le livre dévoile néanmoins quelques intéressantes nouvelles sources, qui montrent que cette parenthèse sombre de l'histoire de France n'a pas encore levé tous ses secrets. Le livre a cependant occulté un point qui est tout sauf anecdotique : La France est occupée par les allemands, et ce sont bien les nazis qui ont décidé et planifié la solution finale. Même s'ils ont pu être aidés par quelques politiciens et hauts fonctionnaires zélés...

lundi 2 avril 2012

Le dictionnaire ouvert jusqu'à 22 heures (Collectif)

Étrange titre pour un ouvrage, et tout particulièrement pour un dictionnaire, que celui imaginé par l'académie Alphonse Allais. Leur parution s'intitule ainsi Le dictionnaire ouvert jusqu'à 22 heures. Mais ce titre donne en réalité une bonne idée de l'état d'esprit des rédacteurs de cette bien curieuse académie. 

L'ouvrage est en effet le fruit d'un collectif d'auteurs, membres de l'association des amis d'Alphonse Allais. A ce titre, ils nous proposent ici un dictionnaire digne de esprit du conteur normand de la fin du 19 ème siècle, resté célèbre pour ses calembours et traits d'humours. L'académie passe donc en revu un certain nombre de mots, volontairement choisis, s'attaquant aux noms communs, puis aux noms propres, comme un bon dictionnaire qui se respecte. Sauf que les définitions s'en trouvent quelque peu revisitées, avec un humour toujours fin et cultivé, mais aussi parfois très caustique. On joue ici beaucoup sur les mots et leurs contradictions, les nombreux paradoxes de la langue française, mais aussi la perfidie de l'esprit humain, allant parfois jusqu'à l'humour noir ou grinçant. Cet ouvrage est à déguster comme un bon verre de vin, par petite gorgée, pour en apprécier les jeux de mots savoureux qui ont traversé l'esprit de ses savants et brillants rédacteurs. N'hésitez pas à vous plonger vous aussi dans sa lecture. En guise d'amuse bouche, je reproduis ici quelques unes, parmi beaucoup d'autres, des définitions imaginées par l'académie. Peut être auront-elles un jour leur place aussi dans le Larousse ou Le petit Robert...

Apôtre : Compagnon de route biblique. Les apôtres qui manifestaient en faveur de Jésus étaient douze selon les syndicats et six selon la police. (GL)

Café : Breuvage qui fait dormir quand on n'en prend pas. (Alphonse Allais)

Chercheurs : Salarié qui fait grève en observant des arrêts de trouvailles. (PiD)

Climatologue : Professionnel de la météo qui prévoit le climat dans un siècle mais pas pour le prochain week end. (JDD)

Croque mort : Metteur en chêne. (MJ)

Diarrhée : Qui coule de source. (YC)

Facteur : Homme de lettres. (AM)

Jardinier : Pote aux roses. (PhD)

Fainéant : Collègue paresseux qui se refuse à faire mon travail. (JPD)

Gériatre : Médecin qui aime changer régulièrement de clientèle. (ACr)

Pelle : Matériel roulant. (AM)

Rides : Marques du temps qui, pour la femme, concernent surtout sa meilleure amie. (JJD)

Travailleur : Japonais sans appareil photo. (BM)

Berne : Capitale fédérale suisse. Spécialité de drapeaux funéraires . (CT)

Calvados : Département français au nom d'alcool, ce qui incita les américains à y débarquer. (JA)

Douala : Ville africaine où, paradoxalement, le pape a mis le préservatif à l'index (CT).

Google : Moteur à e-sens. (PhD)

Haute-Volta : Pays qui n'existe plus, situé plus au nord que la Basse-Volta qui n'a jamais existé. (JPD)

Lutèce : Nom de jeune fille de Paris (AM)

Man : Ile de Grande Bretagne où vivent aussi  des femmes. (JPD)

Néfertiti : Reine d'Egypte qui vivait au fond du couloir, à gauche. (JPD)

Pô : Fleuve italien autour duquel Fellini a passé son temps à tourner. (CT)

Roland-Garros : Haut lieu du tennis, où pluie battante et terre battue ne font pas bonds mais nage. (PiD)

Sartre : Philosophe existantialiste qui avait l'oeil de travers, l'oreille de Moscou et le nez de Camus. (JPD)

Tintin : Personnage de bande dessinée qui porte toujours un pantalon de Golf mais n'y joue jamais. (JPD)

Titicaca : Lac des Andes qui se jette dans le lac Poopo (authentique). (JPD)

Vichy : Ville de l'Allier, célèbre pour ses thermes, son eau minérale, ses pastilles de menthe et on aurait préféré que ce soit tout. (ACr)

Zavatta : Célèbre clown que l'on invoque pour s'enquérir de la santé d'autrui. (JPD)

(Entre parenthèse les initiales des auteurs)

samedi 17 mars 2012

Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia

C'est l'histoire d'un enfant des années 50-60, Michel Marini. Et quelque part donc un peu de l'Histoire de France qui est racontée dans ce captivant livre de Jean-Michel Guenassia, "Le Club des incorrigibles Optimistes".

C'est d'abord l'histoire de deux familles que tout oppose. D'un côté les Marini, issus de l'immigration italienne, qui s'installeront à Lens au début du siècle et viendront travailler dans les mines du nord de la France. Profondément attachés à cette patrie d'accueil, ils feront disparaître la langue italienne du foyer familiale par volonté d'assimilation. De l'autre, les Delaunay, famille de la petite bourgeoisie parisienne du 5ème arrondissement de Paris et commerçant respecté du quartier. L'union du fils Marini avec la fille de son patron, Monsieur Delaunay, va unir le destin de ses deux familles. De cette union naîtra trois enfants : Franck, Juliette et le narrateur Michel.

Ce roman, est d'abord celui le début des années 60 et de son atmosphère si particulière, qui suscite aujourd'hui de la nostalgie. C'est évidemment l'avènement du Rock & roll qui fait une entrée fracassante dans les foyers grâce aux pick-ups et  aux disques 33 tours, des biens extrêmement précieux à une époque ou cette musique passait aux yeux de certains pour subversive. Un quatuor de pop anglaise marque également profondément cette période et laissera une trace indélébile dans l'histoire de la musique : Les Beatles. 

Politiquement, cette période est extrêmement riche. C'est d'abord le retour au pouvoir du Général de Gaulle, après sa traversé du désert, et l'adoption par celui-ci d'une nouvelle constitution : la 5ème république. La période est également profondément marquée par la guerre d'Algérie, qui est en permanence la toile de fond du roman. Celle-ci modifiera le destin des principaux personnages du roman : d'abord celui de Franck, le frère de Michel, qui devance l'appel pour partir faire la révolution marxiste au sein du contingent. C'est un échec. Sur place, Il tuera un officier français, ce qui l’entraînera sa fuite et une vie de fugitif. Il y a ensuite Pierre, l'ami de Franck et de Michel, adepte des idéologies anarchisantes, pour qui partir avec le contingent est l'occasion de convertir à la révolution ses jeunes français des classes modestes enrôlés sous les drapeaux. Là encore c'est un échec. Ses compagnons de régiment ont confiance en De Gaulle pour résoudre la question algérienne, et plutôt que de faire la révolution, ils aspirent à la société de consommation. Pierre perd ses illusions de révolutionnaires et finit même par prendre la défense de l'armée contre les élites intellectuelles parisiennes soutenance le FLN et les Fellagas. Il tombera finalement dans une embuscade à quelques jours des accords d'Evian. Sa soeur Cécile ne s'en remettra pas. La guerre d'algérie, c'est aussi le destin des pieds noirs. L'oncle et la tante de Michel habitent en Algérie où ils ont investi toutes leurs économies. Jusqu'au bout ils vont croire à un miracle, jusqu'au bout ils penseront que l'Algérie va rester française, que la France ne lâchera pas ce bout de terre française. Ils n'ont de toute façon pas d'autres choix. L'OAS veille et leur interdit de partir et de vendre leurs biens. Ils devront finalement les abandonner pour fuir dans la panique générale, comme les 800 000 pieds rapatriés en France, après avoir tout perdu. 

L'autre toile de fond du roman est aussi la guerre froide, et cet affrontement entre le bloc de l'ouest et le bloc de l'est. Le livre met ainsi en scène les nombreux affrontements idéologiques de l'époque, divisant profondément les familles. Les Marini d'une part proche du parti communiste. Franck, le frère de Michel vendra même l'Humanité Dimanche. Et les Delaunay de l'autre, farouche anti-communistes. Nous rencontrons également au cours de ce récit de nombreux réfugiés d'Europe de l'est et notamment d'URSS ayant réussi à franchir le si fameux rideau de fer qui va profondément marquer l'histoire de l’Europe, la coupant durablement en deux jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989.

Ce livre, c'est aussi Paris et notamment de son quartier Latin. Les familiers du 5ème arrondissement auront en tête chacun des lieux évoqués : Le lycée Henri IV, la rue Soufflot, la rue Mouffetard, la place contrescarpe, les arènes de lutèce, le boulevard Saint Michel et sa Sorbonne, les jardins du Luxembourg et sa fontaine médicis, le lycée Fénelon, le quai des grands Augustin ou encore Saint Sulpice. Le décor se plante aussi jusqu'à la place Denfert Rochereau, à l'intersection avec la rue Raspail, dans un petit café qui fait office de siège social d'un club au nom mystérieux de "Club des incorrigibles optimistes".

Ce café, dans lequel pénètre Michel et son ami Nicolas, sera d'abord le lieu de leurs exploits au baby foot. Puis, intrigué, Michel fera connaissance avec les membres de ce club, les Léonid, Igor, Vladimir, Tibor, Imré ou encore Sacha. Presque tous sont issus de l'autre côté du rideau de fer, notamment de l'URSS. Ils ont souvent dû abandonner pour toujours femmes et enfants, pour passer à l'ouest. La raison principale : un régime communiste paranoïaque, capable de soupçonner de trahison ou de subversion même ses plus fidèles serviteurs comme Sacha, ex-haut fonctionnaire au service de la propagande. Une exception peut être : Léonid, communiste convaincu et héros de la guerre en union soviétique, qui profitera d'un passage à Paris pour rester en France, par amour pour une femme. Que font-ils en France ? Des petits boulots, tout juste de quoi survivre. Certains sont chauffeurs de Taxi. Victor fait même croire à ses clients qu'il détient le couteau qui a tué Raspoutine. Il en vend d'ailleurs quelques uns aux plus crédules. Sacha fait du développement photographique. D'autres des travaux de traduction qui arrivent au compte goutte. Ils sont souvent en proie aux tracasseries d'une administration française comptant nombre de sympathisants communistes, voyant d'un mauvais oeil ces immigrés venus d'URSS et demandant l'asile politique. Ce club est donc un lieu où se retrouve tous ses bougres ont souvent une histoire lourde sur leur coeur, et une famille qu'ils ont quitté et qu'ils ne reverront jamais. Quelquefois deux illustres personnages passent la porte du club pour se joindre à leurs activités ou leur venir en aide : Jean-Paul Sartre et Joseph Kessel. Et pour passer le temps, sans jamais rien oublier, ils jouent aux échecs dans l'arrière salle du café où la quiétude ne s'interrompt qu'à l'occasion d'une violente, mais courte, dispute politique...

mardi 21 février 2012

Des écrivains très occupés

Dans Le Magazine Littéraire du mois de février, un dossier est consacré aux écrivains français sous l'occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale. Le sujet avait déjà été traité sur ce blog il y a quelques semaines avec un post sur le livre de Dan Franck, Minuit. Retour sur le sujet à travers le portrait de quelques uns de ces écrivains et de leurs itinéraires dans cette période troublée.

Il a d'abord les collabos, ces "salauds" qui vont se perdre avec l'ennemi. Au premier rang de ceux-là, Robert Brasillach, le féroce rédacteur en chef du journal Je suis partout, organe le plus fameux de la collaboration. Normalien de la rue d'Ulm, brillant poète et écrivain à l'avenir prometteur, Brasillach se tourne rapidement vers le journalisme. Il passe par l'école de l'Action Française, organe de la droite nationaliste et royaliste de Charles Maurras. Il s'y consacrera à la rédaction des pages culturelles, passionné qu'il est de cinéma et de théâtre. Mais c'est le virus de la politique qui va naître. Il quitte cependant rapidement l'Action Française, après l'échec du 6 février 1934, qu'il juge trop molle. Le lettré va se laisser séduire par un fascisme dur, couplé d'un antisémitisme virulent. Il suit alors avec enthousiasme la montée du nazisme en Allemagne et la prise de pouvoir de la jeunesse aryenne. En 1937, il est propulsé à la tête de l'hebdomadaire Je suis partout. Après la défaite de la France, il fait de cet organe de presse le fer de lance de la collaboration avec l'Allemagne. Jusqu'à l'immonde. "Il faut séparer des  Juifs en bloc et ne pas garder les petits." écrit-il notamment pour donner corps à son antisémitisme de raison. Ce sera le point de non retour. Il sera pourtant évincer du journal en 1943 par plus dur que lui encore, notamment Pierre-Antoine Cousteau et Lucien Rebatet. A la libération, Brasillach se cache, puis finit par se rendre aux autorités pour faire libérer sa mère. Emprisonné à Fresnes, il sera condamné à mort et exécuté, malgré la mobilisation de nombreux écrivains de tout bord. De Gaulle refuse la demande de grâce : "Il a joué, il a perdu, il doit payer".

Il y a aussi, Pierre Drieu La Rochelle qui se cherchera toute sa vie sans parvenir à démêler ses contradictions. Il finira par se perdre. Écrivain dandy et libertin avant guerre, il est l'auteur de Gilles, roman qui retrace l'itinéraire d'un fascisme, en forme d'autoportrait. Venu de la droite nationaliste et barrèsienne au début des années 20, il penchera progressivement pour le pacifisme et sera un temps tenté par le communisme. Personnage très en vue, il fréquentera aussi les surréalistes (Louis Aragon, André Breton...). Les années 30 et la montée des fascismes le fond basculer, notamment lors des évènements du 6 février 1934. Il épousera la cause fasciste et s'adonnera à l'antisémitisme, bien qu'ayant épousé en première noce une juive qui l'entretiendra jusqu'à la fin de sa vie. La victoire de l'Allemagne achève de le faire basculer. Pour lui, le nazisme concrétise son vieux rêve d’Europe fédérale. Les occupants lui confient le poste stratégique de directeur la NRF (Nouvel Revue Française), André Gide s'étant réfugié dans le sud de la France. Il donnera tous les gages aux Allemands, notamment l'ambassadeur francophile Otto Abetz ou le contact des milieux culturels Gehrard Heller. Mais la défaite approche, le rêve de Drieu s'effondre. Compromis, il met fin à ses jours. Le rêve d’Europe fédérale sera mis en oeuvre après sa mort, et l'effondrement du nazisme.

Et puis il y a celui qui va se compromettre, sans pour autant véritablement collaborer. Il s'agit de Ramon Fernandez. Disciple à la Sorbonne d'Henri Bergson dans les années, Ramon Fernandez joue les play-boy dans le quartier Latin et fréquente les cercles mondains. Politiquement, il est de gauche et adhère même au parti socialiste, la SFIO. Après le 6 février 1934, il devient même antifasciste et se rallie un temps aux communistes. Pourtant en 1936, Ramon Fernandez Bascule. Opposition au Front Populaire de Léon Blum, sympathie pour les nationalistes espagnols, et anti-communisme à la lecture du Retour d'URSS de Gide. Finalement, Fernandez se tourne en 1937 vers le PPF (Parti Populaire Français) nouvellement créé par Jacques Doriot, transfuge du parti communiste. Ici, joue à plein la fascination commune à l'époque de l'intellectuel rafiné (Ramon Fernandez) pour l'ouvrier inculte et homme fort providentiel (Jacques Doriot). Après la défaite de 1940, Fernandez suit son maître dans la collaboration. Il sera du voyage des écrivains à Weimar, comme Brasillach ou Drieu. Pourtant Ramon Ferandez n'est pas porté sur l'antisémitisme. Il partage finalement peu de valeurs communes avec les occupants allemands, et entretient de bonnes relations avec les milieux écrivains non collabos, voire résistants. Il n'hésite pas à faire l'éloge de Marcel Proust, l'écrivain qu'il admire par dessus tout, mais jugé décadent et subversif par l'occupant, car notamment juif et homosexuel. Mystérieuse trajectoire donc que celle de Ramon Fernandez. Il mourra en 1944, avant la fin de la guerre, laissant planer nombres d'interrogations sur ses motivations profondes.

Et puis il y a ceux qui résistent. Depuis Londres pour certain, comme le philosophe Raymond Aron, qui prend la tête de la revue gaulliste La France Libre. Rejoignant De Gaulle dès juin 1940, après la défaite, il apportera sa contribution intellectuelle à La France Libre, mais refusera de basculer dans le culte de la personnalité envers le général. Il en critique d'ailleurs l'héritage autoritaire et bonapartiste. Il adoptera donc un soutien critique envers lui. Position qu'il continuera d'adopter après la guerre et l'arrivée de De Gaulle au pouvoir. S'il combat de sa plume les écrivains collaborationnistes, il se veut plus mesuré sur le régime de Vichy qu'il hésite à condamner. Il rappelle que la France de 1940 était en pleine débâcle, et ne veut pas risquer de fracturer ce qu'il en reste. Position qui paraîtra à posteriori trop mesurée pour certains. Les résistants de la 25ème heure donnant parfois la leçon à ceux de la première.

Les écrivains de la résistance, c'est aussi Les éditions de Minuits, fer de lance de la littérature de la clandestine de la résistance. Lancé par Pierre de Lescure et Jean Bruller (alias Vercors), ces éditions diffuseront les plus grandes signatures entré en résistance, voire en clandestinité. Vercors publiera le célèbre Silence de la mer, ode à la résistance passive face à l'occupant. Jean Guéhenno, sous le pseudonyme Cévennes diffusera des extraits de son Journal des années noires. De nombreux écrivains publieront dans ces éditions tels Louis Aragon, Julien Benda, André Gide ou encore François Mauriac, en faisant un des catalogues les plus prestigieux de l'histoire de la littérature française.

D'autres écrivains partent en exil. C'est le cas de Georges Bernanos. Eloigné depuis le début des années 30 de la droite maurassienne, suite à son livre La Grande Peur des bien-pensants, il dénonca les exactions franquistes de la guerre civile espagnole dans Les Grands Cimetères sous la lune. Il préfère logiquement partir pour le brésil ou il passera la guerre, dénonçant la politique du Maréchal Pétain. Antoine de Saint-Exupéry, André Breton, Saint John-Perse ou encore Claude Lévi-Strauss s'installent eux à New York. Ces exilés seront largement méprisés, autant par les collaborateurs pendant la guerre que les résistants à la libération. Antoine de Saint-Exupery disparaitra à la fin de la guerre en effectuant un vol pour les alliés dans la méditerranée. Claude Lévi-Strauss ne perdra pas son temps. Au contact du milieu multiculturel New Yorkais, il sera profondément marqué par ce séjour pour ces travaux d'anthropologie. Jetant les bases de ses théories sur le structuralisme.

Il y a les parcours hésitants. Le pacifiste Jean Giono jouit d'une certaine sympathie auprès des partisans de Vichy pour son roman Colline, publié en 1929. Bien qu'ayant abrité des réfractaires du STO, il sera emprisonné quelques mois à la libération. Il y a les mondains, tels que Sacha Guitry ou Jean Cocteau, qui s'accommoderont de l'occupant en partageant avec lui spectacle et réception. Ils seront néanmoins blanchis par les comités d'épuration. Du côté de l'académie française, les membres sont plutôt maréchalistes, sauf François Mauriac et Georges Duhamel qui "sauveront" son honneur en rejoignant les rangs de la résistance et en intégrant le CNE (Conseil National des Ecrivains). Louis Ferdinand Céline côtoiera l'occupant, notamment pour son antisémitisme. Ce qui ne l'empêchera pas une critique acerbe des autorités françaises de Vichy, réfugié à Sigmaringen en 1944, dans son roman D'un Château l'Autre. Il y a aussi le cas Jean-Paul Sartre. Après une vaine tentative de constitution d'un réseau de résistance avec Simone de Beauvoir (alias le castor), il consacrera l'occupation à son oeuvre, notamment l'Etre ou le néant. Sa pièce, Les Mouches, sera jouée au théâtre devant les officiers allemands. Louis Ferdinand Céline ricane : "c'est le maquis des deux magots", en réference au café de Saint Germain des prés refuge de Sartre, avec bien sûr le café de flore. Ce dernier admettra lui-même : "Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande". Épurateur zélé, il fera oublier sa grande discrétion pendant la guerre. Un reportage de Camus sur le Paris libéré de 1944 aidera également à le faire passer à la postérité. Reste le cas André Malraux. Très discret pendant toute la durée de la guerre, il prend la tête d'un réseau de résistance à quelques mois de la libération seulement, mais y met tout son zèle. Son éloge de Jean Moulin, en tant que ministre de la culture, lors de son entrée au panthéon, le placera dans la case des grands résistants.

Reste pour finir, les aventuriers, volontairement provocateurs et anti-idéologue, n'hésitant pas à aller à l'encontre de la mémoire officielle et des mythologies héroïques de la résistance. Il s'agit de la génération des hussards, une jeune garde d'écrivains de 20 ans emmené par Roger Nimier, mais aussi Antoine Blondin. Avec les Épées et le Hussard bleu, Roger Nimier plante le décor d'une période propice à l'aventure plus qu'à l'idéologie. Le héros des Epées, François Sanders s'engage dans la résistance par désœuvrement, plus que par idéal ou patriotisme. Chargé d'infiltrer la Milice, il se comporte à la libération en milicien, et ne sait plus lui même s'il est "milicien ou un résistant camouflé en milicien". Avec des récits pleins de désinvolture et de cynisme, cette génération insolente détonne, mais veut dénoncer une morale de la résistance et de l'occupation trop manichéenne. Cette génération fera des émules bien des années plus tard avec par exemple Patrick Modiano dans La Place de L'étoile.

Voilà, il y aurait encore tant à dire. Ce que l'on néanmoins souligner au regard de ces portraits, c'est la singularité et la complexité du parcours de chacun. Des itinéraires souvent plus subtiles et ambigus qu'on ne veut bien nous les présenter. Le dossier est passionnant, je ne peux que recommander de le lire, ainsi que les ouvrages que j'ai pu citer (et que je n'ai pas forcément tous lus je l'admets). Bonnes lectures en tout cas...

mercredi 7 décembre 2011

Minuit de Dan Franck

Avec Minuit, Dan Franck nous plonge dans la période sombre de l'occupation de la France, entre 1940 et 1944, par l'armée Nazie. Et plus particulièrement, il retrace le parcours d'écrivains, d'intellectuels et d'artistes pendant ces années noires. Malgré quelques défauts (On est parfois un peu trop dans la liste d’anecdotes et il y a un parti pris pour ou contre certains personnages sans trop savoir pourquoi), ce livre est passionnant pour tous les amateurs de l'histoire littéraire et artistique de la France, notamment pendant ces années sombres. En voici les principaux faits. Je m'en suis librement inspirés pour bâtir ce récit.




Ça commence par une défaite en juin 1940. Le maréchal Pétain signe l'armistice. C'est la "Divine surprise" pour le royaliste et doctrinaire de l'Action Française Charles Maurras. Emmanuel Berl, pacifiste de gauche, écrit les si fameux discours de Pétain appelant les français à faire pénitence de leurs jouissances passées, responsables de la défaite. Avant de s'éloigner des autorités de la collaboration, se rendant compte de son erreur. Paul Morand, grande figure du monde littéraire et auteur de L'homme pressé, servira le régime de Vichy comme ambassadeur pendant la guerre.

Certains écrivains français et étrangers cherchent à fuir le pays pour se réfugier aux Etats Unis ou en Angleterre, comme par example André Breton ou Arthur Koestler. Le petit monde littéraire s'est, pour beaucoup réfugié dans le sud-est, du côté de Nice et Cannes, tel André Gide, Roger Martin du Gard ou encore André Malraux. Ce dernier, héros de la guerre civile espagnole, se fait discret pendant ce début d'occupation allemande

Débarque ensuite d'Allemagne de jeunes officiers nazis cultivés et Francophiles tel Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne en France, ou Gerhard Heller. C'est une opération séduction dans les milieux culturels et littéraires français qui est lancée. Sans collaborer ouvertement Jean Cocteau (Un cocktail, des Cocteau) fréquente l'ennemi sans trop rechigner. De même que les caricaturistes dépeignent volontiers un Sacha Guitry participant souvent à des banquets avec l'occupant. 

Une des cibles des autorités Allemande, c'est la NRF (Nouvelle Revue Française). André Gide et Roger Martin du Gard, parti dans le sud de la France, la direction est confiée au très antisémite et pro-nazi Pierre Drieu La Rochelle, auteur de Gilles avant guerre. Avec lui, la NRF se met à l'heure allemande. Le secrétaire de la NRF, Jean Paulhan, tente d'en atténuer les conséquences. Homme très en vue du milieu culturel parisien, il rend de nombreux services aux milieux de la résistance.

A Paris, la presse de la collaboration s'en donne à coeur joie, de droite comme de gauche, pour prôner la collaboration et dénoncer juifs, résistants, communistes, franc maçons, gaullistes. Le régime de Vichy est même jugé par eux trop mou. Ainsi fleurissent les titres tels que Au Pilori, où écrivait Louis Ferdinand Céline, L'Oeuvre de l'ex-socialiste Marcel Déat, Je suis Partout (Je chie partout diront beaucoup) de Robert Brasillach et Lucien Rebatet ou encore La Gerbe (le bien nommé) de l'écrivain Alphonse de Chateaubriand.

L'occupant organise aussi des voyages pour les écrivains séduits par le Reich. Ainsi à l'automne 1941, sept écrivains français de renoms partent à un congrès d'écrivains sympathisants nazis à Weimar : Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle, Marcel Jouhandeau, Jacques Chardonne, Abel Bonnard, Ramon Fernandez et André Fraigneau. Avec cet épisode, leur sort sera scellé au moment de rendre des comptes à la libération.

Le monde du spectacle s'accommode de l'occupation. Le couple Jean Louis Barrault et Madeleine Renaud (Dit la régie Renaud) sont souvent à l'affiche devant un parterre d'officiers Allemands. Reproche qui sera fait également, au moment de l'épuration, à Charles Trenet ou  Maurice Chevalier, coupables de peu de résistance face à l'occupant, malgré une prise de distance progressive avec les autorités de Vichy.  Coupable d'avoir couché avec l'ennemi, Arletty déclara avec sa gouaille légendaire "Si mon coeur est français, mon cul lui, est international".

Le cinéma est soumis la censure, et victime aussi de l'interdiction des juifs d'exercer le métier. Marcel Pagnol renonce à réaliser des films dans ses studios du midi. Le duo Jacques Prévert et Marcel Carné, aidé par la musique de Joseph Kosma et les décors d'Alexandre Trauner va néanmoins réaliser pendant cette période deux chefs d'oeuvre : Les visiteurs du soir et Les enfants du paradis, parvenant à contourner la censure. Henri-Georges Clouzot marquera également l'époque en mettant en scène Pierre Fresnay dans l'Assassin habite au 21 ou Le corbeau. Ce dernier film lui voudra les foudres des autorités résistantes à la libération, coupable de montrer une France peu réluisante. Mais nombre de têtes d'affiches d'avant guerre ont disparu des écrans tel Jean Gabin ou Michèle Morgan, réfugiés aux Etats Unis. A l'inverse le talentueux comédien de composition Robert Le Vigan excelle dans un premier rôle, celui de collaborateur et de rédacteur de lettres de dénonciation de juifs et de résistants auprès des autorités.

A Paris, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (le castor) travaille à leur oeuvre plutôt qu'à une quelque conque postérité dans la résistance, malgré quelques contacts avec le CNE (Comité national des écrivains). Le CNE, fondé par Georges Politzer, Jacques Decour et Jacques Salomon, est aussi le lieu de rencontre d'écrivains proches de la résistance aussi diverse que Louis Aragon ou François Mauriac notamment.

Parmi ceux qui résistent, il y a, dès les premiers jours, René Char qui s'oppose au régime de Vichy. Il dirigera un maquis dans le sud-ouest. Dans le milieu littéraire, Vercors publie Le silence de la mer, ode à la résistance passive du peuple français face à l'occupant. C'est aussi la naissance des clandestines Editions de minuits. L'écrivain Jean Guéhenno refusera tous les avances faites par l'occupant Allemand. Un jeune homme venu d'Algérie prendra la rédaction en chef du journal de résistance clandestin Combat : Albert Camus. Marc Bloch, auteur de L'étrange défaite sur 1940 sera fusillé. Max Jacob, sera déporté à Drancy où il mourra.

A Londres, se retrouve dans le giron de la France Libre les écrivains Romain Gary et Joseph Kessel, ainsi que le futur grand intellectuel Raymond Aron. Kessel et son neveu Maurice Druon composeront là bas le chant des partisans l'hymne des résistants sur le sol français. Ami entends-tu le vol noir du corbeau sur nos têtes...

Mars 1944, André Malraux s'engage enfin. Autoproclamé Colonel et en mission pour Londres, il prend la tête du maquis dans le Périgord. A la tête de ses 2000 hommes, sa Brigade Alsace Lorraine participera à la libération de Strasbourg. Le héros très discret pendant l'occupation a su se mouvoir en chef charismatique pour jouer les premiers rôles à la libération.

La libération de la France sonne le triomphe de l'armée des ombres mais aussi l'heure de l'épuration pour tous ceux qui se sont compromis. Drieu La Rochelle se suicide, Robert Brasillach est condamné à mort et fusillé, Lucien Rebatet la prison à vie. Louis Ferdinand Céline et Robert le Vigan sont en fuites dans la république française fantoche de Sigmaringen avec les derniers ultras de la collaboration. Sacha Guitry ou Arletty sont emprisonnés quelques temps. 

Tel est le destin de ces écrivains, intellectuels et artistes pendant cette sinistre période de l'occupation ou la faim et le froid étaient souvent la principale difficulté au quotidien. Il y a des héros, il y a des salauds, il y a des hésitants, il y a des jouisseurs. Il convient de ne pas les juger. Nous n'étions pas là. Et si nous étions là qu'aurions nous fait ? La même chose probablement. 

lundi 14 novembre 2011

Limonov d'Emmanuel Carrère

Je viens d'achever la lecture du récent prix Renaudot, attribué à Emmanuel Carrère pour Limonov.

Amateur des précédents livres de Carrère (La classe de neige, l'adversaire...) et intrigué par le destin peu commun de ce Limonov, je me suis donc atteler à la lecture de ce livre, tout juste auréolé de son prix.

Je vais donc vous en dire quelques mots.




Carrère retrace les différentes vies d'Edouard Limonov,  écrivain russe intrépide qui vit le jour dans la Russie stalienne des années 40. Fils d'un officier du NKVD (le KGB de l'époque), il vit dans le culte de la grande armée rouge qui stoppa les armées nazies dans cette "Guerre patriotique" comme elle est appelée en Russie.

D'abord la vie de Limonov et de ces parents dans la banlieue de Kharkov en Ukraine où il sera tour à tour voyou, ouvrier, apprenti poète. Il sera parmi ses amis d'enfance un des seuls rescapé d'une URSS violente où alcool, banditisme et répression de toute dissidence font des ravages.

Mais c'est aussi une URSS cultivé, où les ouvrages d'auteurs français comme Jules Verne et Alexandre Dumas ont leur place dans tous les foyers russes, même dans la banlieue reculé de Kharkov, à Saltov. Une URSS où les petits voyous peuvent aussi être des poètes en herbes et pour certain talentueux. Limonov est de ceux là.Fils d'un petit officier du NKVD sans envergure, Limonov rejette cette vie là. Il veut être célèbre, être un grand écrivain. Voyant cette vie lui échapper, il pense en finir. Sorti de l’hôpital psychatrique, il devient vendeur à Kharkov pour une librairie. C'est sa chance.

Il va alors tout conquérir: La libraire, Anna, le milieu littéraire de Kharkov pour en être une des figures incontournables. Mais déjà Kharkov n'est plus à la mesure de ses ambitions. Il part avec Anna pour Moscou, et mène une vie de misère et de bohème. Mais là encore parvient à conquérir le milieu underground de Moscou et une femme appelé Elena. Une femme de catégorie A puisqu'il note les femmes avec qui il sort.

Puis direction New York, Manhattan pour un aller sans retour hors d'Union Soviétique avec cette femme qu'il aime tant. Mais New York est plus difficile à conquérir et il n'y arrive pas. Il y écrit d'ailleurs Le Journal d'un raté. Il tombe dans la misère la plus noire, s'adonne à des essais de pédérastie, et deviendra pour finir majordome d'un millionnaire.

Rencontrant enfin un petit succès littéraire grâce à un éditeur parisien pour son premier livre Le poéte russe préfére les grands nègres. Il devient coqueluche du milieu littéraire parisien, vivant modestement dans un studio du Marais avec Natasha, chanteuse de cabaret. Il collaborera notamment à l'Idiot International du sulfureux Jean-Edern Hallier, et croisera dans l'appartement de celui ci d'autres personnages non moins sulfureux comme Marc Edouard Nabe. De là viens peut être son ambiguïté politique Rouge-Brun.

L'URSS se désagrège en 1991. C'est pour lui un choc mais dans le mauvais sens. Il n'a jamais été un dissident comme Soljenitisne ou Sakharov qu'il déteste. Il en veux à Gorbatchev de cette liquidation de la patrie. Cet éclatement du bloc soviétique lui permet néanmoins de rentrer en Russie.

A presque 50 ans, il a encore besoin d'adrénaline et part rejoindre Arkan dans la serbie de 1992 en pleine désagrégation pour soutenir les serbes, mis au bans des nations. Mi-soldat, mi journaliste, il participera au siège de Sarajevo et sera l'un des derniers combattants d'Arkan à défendre les divers républiques de serbie.

Brun-rouge, il lance ensuite en Russie son mouvement national bolchevique, à l'allure fascisante. Il tente de faire la révolution contre Eltsine. Échec. C'est l'âge d'or de Moscou, des privatisations et des années frics. Limonov enrage de voir son URSS ainsi bradé à quelques investisseurs. Il se présente aux élections législatives en Ukraine. Échec. Il tente ensuite de préparer une déstabilisation des états d'Asie centrale. Échec là encore et à la clé presque trois ans de prisons. Mais entre temps, sa notoriété a grandi, le succès littéraire est venu. S'il ferraille toujours contre le régime Poutinien, il semble davantage proner une révolution orange comme en Ukraine. Sa dernière ambition: fondé une religion. Rien que cela.

Carrère nous plonge dans une vie incroyable, aux multiples décors (la banlieue pauvre d’Ukraine, l'underground moscovite, les hôtels sordides puis les appartements luxeux de Manhattan, le milieu littéraire parisien de Saint Germain des prés et de la place des Vosges, les paysages dévastés par la guerre de la Serbie,  les steppes d’Asie centrale, un bunker moscovite comme siège de parti politique, les prisons de l'ex KGB...).

Limonov n'a pas des idées politiques très claire. Tentative de restauration du communisme ? Révolution pacifique, nationalisme russe. Un peu de tout ça. Mais dans quel ordre. C'est un homme d'action plus que de doctrine politique. Il n'aime pas Gorbatchev, Eltsine, Poutine, le libéralisme, qu'on critique le KGB ou l'armée rouge. Non, la russie n'a pas été pendant 70 ans aux mains d'une bande de criminel pense t il. 
C'est aussi un coureur de femmes et le livre est rempli d'histoire et d'expérience sexuelle. A la limite de l'indigeste par moment.

Le personnage a des ambiguïtés, il s'est beaucoup fourvoyé et souvent trompé.Mais il faut reconnaître que c'est un écrivain qui s'engage, qui n'a pas peur, et qui en à payer les conséquences. Il ne cherche pas le confort des terrasses de Saint Germain des prés, au contraire il rejette cette sécurité dans laquelle se sont réfugiés nombre d'intellectuels. Il tombe parfois très bas, touche le fond et les bas fonds, mais à chaque fois repart. Sa quête est de tout expérimenter. C'est la vie qu'il a choisi. Comme l'écrit Carrère dans le livre, ne faut il pas avoir vécu des choses pour avoir quelquechose a écrire ? Limonov aura fait de sa vie de nombreux livres en tout cas.