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jeudi 24 mai 2012

Croissance ! croissance ! croissance !...

"Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien". Le général de Gaulle, alors en pleine campagne électorale d'entre deux tours lors de la présidentielle de 1965, prononça cette célébrissisme phrase lors d'un entretien télévisé avec Michel Droit. Remplaçons maintenant le mot "Europe" (quoique ?) par "Croissance", et la phrase prend tout son sens. Oui, on entend beaucoup ces jours-ci "Croissance ! Croissance ! Croissance !...", sans que cela ne fasse bouger d'un iota les problèmes européens de croissance. Dans le rôle du cabri, il y a bien sûr François Hollande, ainsi que Barack Obama, mais aussi d'autres dirigeants européens (Monti, Rajoy...), qui espèrent encore échapper aux lourdes et douloureuses réformes qui les attendent et qu'ils peinent à engager dans leurs pays.

Le nouveau président français, François Hollande, se targue d'avoir été le premier à parler de croissance, et semble vouloir prendre la tête des pays qui veulent de la croissance. Il s'est d'ailleurs félicité qu'au cours du G8, ses voeux de croissance aient reçu le soutien du président Obama, et de certains partenaires européens (Monti). "Oui à la croissance", telle est donc la conclusion de ce sommet. Mais de qui se moque-t-on ? Fallait-il donc organiser un aussi coûteux barnum pour affirmer une pareille évidence ? Y a t il donc des gens pour contester que la croissance est nécessaire pour assurer la prospérité de nos sociétés ? A part quelques militants écologistes de la décroissance, je ne crois pas. Ce sommet entre les grands dirigeants de ce monde avait en réalité plutôt des allures de réunion de politburo, comme au temps de l'URSS avec ses Staline et Molotov. Manquait néanmoins une information au sortir de ce G8. Quel taux de croissance le soviet suprême a-t-il officiellement fixé aux planificateurs de l'économie ?

Blague à part, ce G8, ainsi que la réunion "informelle" d'hier soir entre les 27 dirigeants européens, semblaient marquer l'offensive des pro-croissance contre les pro-austérité. Avec un objectif, isoler la chancelière allemande Angela Merkel, qui défend bec et ongle son pacte budgétaire européen, et se veut gardienne de la bonne gestion de l'économie allemande depuis 10 ans. Cette offensive du président français pour faire adopter un pacte de croissance rencontre d'ailleurs, il faut bien le dire, un certain engouement, notamment s'agissant de sa proposition d'émission d'eurobonds (ou euro-obligations). Ces euro-bonds, c'est en quelque sorte une mutualisation des dettes de tous les pays de la zone euro, qu'ils soient très endettés ou pas, qu'ils aient une gestion rigoureuse ou non. En somme, la solution miracle pour secourir les pays de la zone euro asphyxiés par des taux d'intérêt très élevés (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, Italie...). Pas étonnant donc que, lors de la réunion d'hier, le président Hollande ait précisément reçu le soutien de la Grèce, du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie... Au delà des étiquettes politiques. La chancelière allemande, qui a opposé une fin de non recevoir à ce projet d'euro-bonds, a , quant à elle, été soutenue par les Pays Bas, la Finlande ou encore la Suède (qui n'est pas dans l'euro). Précisément les pays d'Europe les plus vertueux. On ne peut que regretter que, dans cette confrontation entre les bons et les mauvais élèves, la France ait pris la tête de la seconde catégorie.

Car dans l'esprit du nouveau président français, pas de doute. Plutôt que de l'austérité, il faut de la croissance par la relance. La règle d'or budgétaire attendra, les réformes de l'Etat attendront, les coupes douloureuses dans les budgets sociaux attendront. Car, pour créer de la croissance, rien de tel que de la relance keynésienne : hausses des dépenses publiques, programmes de grands travaux, hausse des prestations sociales. Cela a un coût, certes, mais avec la magie du "multiplicateur keynésien", l'économie se relance, et la dette est remboursée plus tard... ou jamais. Car le mécanisme fonctionne mal. La référence des keynésiens, c'est le New Deal de l'après crise de 1929, lancé par le président Roosevelt. On sait depuis, en observant les chiffres de l'économie américaine des années 1930 (Chômage, croissance...), que c'est la guerre de 39-45 et la demande massive en armement qui ont véritablement relancé la machine économique américaine, et assez peu les plans de Roosevelt. Mais l'illusion est restée. Les pays européens subissent d'ailleurs précisément l'échec et l'endettement des plans keynésiens de 2008-2009.

L'austérité, voilà donc l'ennemi. C'est elle qui tue la croissance. Arrêtons donc immédiatement ces terribles plans de rigueur qui font plonger l'Europe un peu plus dans la crise. Cependant, à y regarder de plus près, il n'en est rien. A écouter les médias, de terribles coupes budgétaires seraient en train d'asphyxier les populations italiennes, espagnoles, portugaises, et bien sûr grecques. En réalité, il n'y a pas de coupes budgétaires drastiques. Les salaires de la fonction publique sont gelés, certes, mais ne baissent pas. Les pensions de retraite sont gelées, mais ne baissent pas. Elles augmentent même légèrement en Espagne. La terrible hausse de la fiscalité se traduit en fait essentiellement par une légère augmentation de la TVA. Les gouvernements ne remplacent pas la majorité des fonctionnaires partant à la retraite, mais n'en licencient pas. Plus révélateur, il n'y a en réalité pas d'austérité à proprement parler, puisque les dépenses publiques des Etats sont, malgré tout, en hausse ! On a simplement freiné la hausse, en limitant, comme le propose en France François Hollande, l'augmentation des dépenses à 1% du PIB. C'est loin d'être la fête, mais ce n'est pas ça l'austérité.

La politique de rigueur, l'Allemagne l'a connu depuis 2002. Initiée par Gehrard Schroeder, chancelier social-démocrate, elle a été strictement poursuivie par sa successeur, Angela Merkel, démocrate-chrétienne. Une politique économique cohérente sur la durée, malgré l'alternance. Voilà déjà un élément clé. Conscient, dès l'entrée dans l'euro, des failles du modèle social allemand, ces deux chanceliers se sont donnés le temps d'adapter leur pays à la compétition mondiale. Pour en tirer aujourd'hui les bénéfices. Et, puisqu'on décrit l'austérité comme ennemie de la croissance, intéressons nous au cas allemand. En 2011, l'Allemagne est à 3% de croissance quand la France est à 1,7%. Et pour le 2ème trimestre 2012, voici les prévisions : Allemagne +0,7%, France +0%, Espagne en récession, Italie en récession, Portugal en récession, Grèce en récession. Tout est dit. Une bonne gestion budgétaire tuerait donc la croissance. Encore un mythe à combattre. A noter un fait historique hier. L'Allemagne émet avec succès des obligations d'Etat sur 2 ans à 0% de taux d’intérêt ! Les investisseurs préfèrent perdre un peu d'argent, à cause de l'inflation, plutôt que d'aller sur de la dette toxique. C'est un signal particulièrement alarmant.

Admettons en tout cas que la situation de l'Europe, et particulièrement de la zone euro, est dramatique du point de vue de la croissance. Pour 2012, les Etats Unis prévoit une croissance d'au moins 2%, La Chine pourrait avoisiner les 7,5%. La zone euro, elle, sera au mieux à croissance nulle, au pire en récession. Les Etats Unis, comme souvent, ont su rebondir après la crise financière, en faisant confiance à son secteur privé pour rester le moteur de l'innovation mondiale, et le paradis des entrepreneurs. La croissance est cependant timide, car plombée par une lourde dette, sorte de gigantesque bombe à retardement. La Chine, elle, n'innove pas encore, mais reste l'usine du monde. Avec ce modèle, parfois contestable au regard du droit social, le pays trouve toujours son compte. Innovation aux Etats Unis, travail en Asie. L'Europe peine à trouver sa place dans le schéma économique mondial. En pleine désindustrialisation, et avec une frénésie de consommation, elle peine cependant à concurrencer les innovateurs américains. Clairement, l'Europe est en panne et sa croissance aussi.

Reste donc les fameuses initiatives pour la croissance proposées par certains, François Hollande en tête. Au programme : Une taxe sur les transactions financières, que la Suède a déjà testé il y a plus 20 ans sans succès, au point d'y renoncer. Des projets keynésiens d'infrastructures, sous forme de "project bonds", qui peuvent avoir une utilité, à condition d'en avoir besoin, mais qui se révèlent surtout être de la dette supplémentaire, et un moyen de placer ses amis politiques au chaud au sein de technostructures ingérables. Le New Deal des années 30 l'a déjà fait. La palme du non sens économique enfin : les fameux "eurobonds". Certainement le meilleur exemple d'aléa moral qui soit. Suite à une mauvaise gestion vous devez emprunter à 6% ? Pas de problème, on mutualise avec un bon gestionnaire qui emprunte à 0%, et vous allez désormais emprunter à seulement 3%. Magique non ? Alors ruez vous à nouveau sur les emprunts, c'est pas cher. Il est tout de même frappant de constater que la principale réponse à la crise de la dette est, pour certain, d'émettre encore et toujours plus de dettes. Mais si on n'y réfléchit bien, pourquoi des Etats comme la Grèce, L'Espagne ou l'Italie ont pu s'endetter à ce point ? Tout simplement par le mécanisme implicite des euro-bonds qu'est la monnaie unique, l'Euro. Car pendant des années, la magie de l'Euro a fait que les Grecs empruntaient au même prix que les allemands. Jusqu'à ce que la réalité économique les rattrape.

Pour la croissance, il n'y aurait donc rien de mieux que de la dette et les fumeux euro-bonds ? Si. Le 22 février dernier, pendant la campagne présidentielle française, et avant même que François Hollande ne se fasse chantre de la croissance, plusieurs dirigeants européens (David Cameron, Mariano Rajoy, Mario Monti, Mark Rutte, Donald Tusk...) ont envoyé une lettre à Herman Von Rompuy et  José Manuel Barroso, proposant un certain nombre de pistes pour doper la croissance européenne. Et ici, pas de nouvelles dettes, pas de frénésie fiscale, pas de solutions gadgets coûteuses. Essentiellement des réformes de structures, et une convergence européenne accrue : achèvement du marché unique, élimination des obstacles à la concurrence dans certains secteurs protégés, ouverture du marché des services, marché unique de l'énergie, espace unique de transport européen, réduction des réglementations sur les entreprises, mesures en faveur d'un meilleur fonctionnement du marché du travail, responsabilisation et renforcement du secteur financier... Presque un retour au grand rêve du marché unique européen finalement. Mais surtout, la philosophie des initiatives proposées, c'est de faire confiance aux entreprises, aux entrepreneurs, aux hommes, à leurs idées, à leurs innovations... Ce qui reste la seule et unique façon de créer de la croissance. A l'heure de l'euro-bond triomphant, il n'est peut être pas trop tard pour exhumer ce texte...

mardi 22 mai 2012

Quand Milton Friedman parlait de la fin de l'Euro...

L'euro est voué à l'échec. D'ailleurs, les pays de l'Euroland vont connaitre une période de fortes turbulences, et la zone euro risque d'imploser d'ici 5 à 15 ans. En effet, le moindre problème économique d'un des pays de la zone se propagera et contaminera les autres. De plus, la structure économique de l'Europe ne plaide pas en faveur de l'adoption d'une monnaie unique : la force de travail en Europe est insuffisamment mobile, les blocages économiques difficiles à résoudre, et les barrières culturelles nombreuses. "Ennemi de la démocratie", l'euro ne fera qu’accroître les différences économiques des pays de la zone, au lieu d'apporter de la stabilité. "Illusion technocratique", elle ne parviendra pas à remplacer le dollar comme monnaie de référence. "Contre-nature", cette monnaie engendrera des crises que l'Europe paiera un jour au prix fort.

Cette analyse ne date pas de 2011 ou 2012 comme on pourrait s'y attendre, mais de 1992, l'année de ratification du traité de Maastricht, établissant une monnaie unique en Europe. Et les propos précis, cités en préambule, ne datent pas d'il y a quelques jours, mais de 2002, l'année d'entrée en vigueur de l'euro. Enfin, cette démonstration, qui nous frappe par sa justesse et son caractère prémonitoire, n'est pas l'oeuvre d'un souverainiste, mais d'un économiste éminent : Milton Friedman. En effet, le prix Nobel d'économie 1976, pape du libéralisme, et chef de file de l'école monétariste de Chicago, s'est opposé dès le départ au projet de monnaie unique en Europe. C'est ainsi que, dès 1992, il mettait en garde l'Europe contre un tel projet, pointant du doigt les différences profondes entre les économies et cultures des nations européennes. Avertissement qu'il renouvela plus précisément en 2002, par le biais d'une série d'interviews dont on a compilé ci-dessus les propos.

Au regard de l'actualité de ces derniers mois, et particulièrement de ces dernières jours, on ne peut qu'être frappé par l'exactitude du scénario décrit 10 ans auparavant par l'économiste américain. Oui, la zone euro risque d'imploser. Oui, les problèmes économiques d'un pays se propagent dans le reste de la zone. Oui, la structure économique de l'Europe s'est révélée trop hétérogène, et a pâti de l'absence de convergence. Oui, la monnaie unique voit se dresser contre elle de plus en plus de peuples européens. Oui, elle est perçue comme le fruit de la technocratie européenne. Oui, l'euro n'arrive pas supplanter le dollar comme monnaie de référence. Et oui, l’Europe va le payer le prix fort. Cependant, si en 1992 Milton Friedman a eu une certaine perspicacité, en 2002, il avait surtout sous les yeux un exemple de crise due à de mauvaises décisions de gestion monétaire : l'Argentine. Et quand on regarde de plus près l'exemple Argentin, on comprend mieux les déboires de l'euro, tant les similitudes sont frappantes.

Mais que s'est il passé en Argentine ? Petit retour en arrière. Dans les années 80, le peso argentin souffrait d'une instabilité chronique et le pays était touché par l'hyper-inflation. Pour stabiliser cela, l'Argentine du président Menem va adopter le système du "Currency board" ("Caisse d'émission monétaire"). Le principe est très simple : Le peso argentin devient lié au dollar américain par un système de change fixe. Sorte de "dollarisation" de l'économie argentine. Si cette politique porte ses fruits dans un premier temps et stabilise l'économie, le vent tourne à partir de 1998. Crise financière en Asie, crise des matières premières. Le pays rentre à son tour en crise, et les recettes fiscales chutent. Plus grave, le pays n'a pas fait de réformes structurelles et mène au contraire une politique budgétaire laxiste. Il n'est pas préparé pour amortir la crise. Normalement, dans cette situation, c'est la dévaluation assurée. Impossible avec le "Currency board". Le peso suit le cours du dollar, alors très haut à l'époque. Incapable de se réformer, le pays plonge dans une très grave crise. Déficit des balances extérieures qui creusent davantage encore le déficit face à des économies à plus faibles devises (Brésil...). Les problèmes s'accumulent alors : hausse du chômage, forte inflation, taux d'intérêt vertigineux, incapacité de rembourser la dette... Les remèdes d'austérité budgétaire préconisé par le FMI ne suffisent plus. Le peso-dollar devient clairement le problème de l'Argentine. Pour s'en sortir, les remèdes incontournables arrivent à la rescousse. D'abord une forte dévaluation du peso qui redevient flottant face au dollar. Ensuite une renégociation avec les créanciers pour le remboursement de la dette. Ces derniers doivent renoncer à une grande partie du remboursement (de 60% à 75%). Enfin pour tenter d'équilibrer les comptes, des réformes fiscales conduisent à une hausse importante des impôts. Ajouter à cela, des réformes structurelles, notamment sur le partage des pouvoirs entre gouvernement fédéral et les provinces. Avec notamment une sorte de "règle d'or" budgétaire pour revenir à l'équilibre. Moyennant quoi l'Argentine a pu repartir, et son économie se porte aujourd'hui nettement mieux, malgré des zones d'ombres persistantes sur ses déficits et la solidité de sa monnaie.

Revenons maintenant au cas de l'euro. L'adoption de cette monnaie unique a repris un principe similaire au "Currency board" argentin : le change fixe. En effet, exit le change flottant entre les devises européennes, dont certaines étaient en proie à des instabilités chroniques, et place au change fixe. Toutes les monnaies deviennent en gros indexé sur le Deutchmark, la monnaie la plus forte des pays de l'euro.

Sauf qu'avoir une monnaie forte peut être un désavantage compétitif majeur à l'exportation. Pour prévenir cela, des politiques de déflation compétitive, de modération salariale, d'équilibre budgétaire, et de réformes structurelles s'imposent. L'Allemagne, que Milton Friedman considérait en 2002 comme le maillon faible (!), a fait ses réformes structurelles. Et s'est accommodée de l'Euro. Les autres pays de la zone ne les ont pas poussées assez loin (pour les pays du nord de l'Europe), voire pas commencé du tout (La France et les pays du sud de l'Europe). Suivant en cela le modèle argentin. Arrivée la première grave crise financière de son histoire (subprimes), et l'Euro tangue. La Grèce, la plus fragile, se retrouve alors, de façon extrêmement frappante, dans la même situation que l'Argentine dans les années 1998-2002 : chômage, récession, dette abyssale, taux d'intérêt astronomique, situation de défaut partiel, et sous perfusion du FMI et de l'Union Européenne, qui ont déjà mis plus de 130 milliards d'euro sur la table. A fond perdu. Les timides mesures d'austérités arrivent bien trop tard. Et l'économie grecque ne fonctionne clairement plus avec l'euro.

Car enfin, soyons clair : la Grèce va évidemment sortir de l'Euro dans les mois qui viennent. A la lumière de l'exemple argentin, on comprend bien que le système de change fixe imposé à la Grèce l'empêche de redémarrer. Elle va donc devoir retourner aux drachmes, qui sera immédiatement, et très fortement, dévalué. Ensuite, il ne faudra pas se faire d'illusion. La Grèce va renégocier et rééchelonner le remboursement de sa dette, devenu impossible à rembourser. Clairement, certains épargnants et établissement bancaires n'en reverront pas une bonne partie de la couleur. Enfin, la Grèce va devoir se contraindre à des ajustements structurels, toujours repoussés, et à mettre en place une profonde réforme fiscale. A moins de descendre encore davantage en enfer. Les grecs anticipent déjà ce scénario. Des centaines de millions d'euro sortent chaque jour des banques grecques. Les investisseurs et les capitaux fuient.

L'éclatement de la zone euro devient donc clairement d'actualité. Après la Grèce, le Portugal et l'Espagne pourrait suivre le même chemin que l'Argentine. De même que l'Italie. Les réformes structurelles arrivent là aussi beaucoup trop tard, et ne sont pas à la mesure du drame qui se préparent. On se contente d'une limitation de la hausse des dépenses, plutôt que d'une vrai réforme de l'Etat. Et leurs dettes ne sont tout simplement plus soutenables. Un défaut partiel est inéluctable. La France va, quant à elle, passer la barre symbolique des 90% d'endettement. D'après les économistes, en dessous de cette barre, c'est 1% de croissance en moins par an. On se prépare donc à une décennie très difficile. Quant à l'Allemagne, même ce bon élève pourrait se lasser d'être une locomotive d'un train devenu trop lourd à tirer. Elle pourrait vouloir sortir d'une zone euro qui prend l'eau de toute part. Les défauts qui s'annoncent sont d'une ampleur incomparable avec la Grèce, qui représente seulement 2,5% du PIB de la zone euro. Ni le FMI, ni l'union européenne, prêteurs de dernier ressort, ne sont préparés à l'ampleur du défaut qui ce dessine, et qui sera un cataclysme à l'échelle européenne et mondial.  

Reste une dernière option sur la table, mais qui n'est que rarement évoquée : une forte dévaluation de l'euro. Ce serait pour les Allemands manger leurs chapeaux, après tous les ajustements et réformes entreprises depuis 2002. Mais, pour la plupart des pays de la zone euro, ce pourrait être un peu d'oxygène, notamment face au dollar et au yuan, tombés à des niveaux relativement bas. L'avantage, c'est que cela pourrait assurer la survie à court terme de la zone euro. Et favoriser les exportations, à condition toutefois d'avoir des produits à exporter. Le danger, c'est évidemment un appauvrissement de la zone, le retour d'une inflation monstre sur nos importations, et une hausse des taux d'intérêt, qui pesera à nouveau sur notre dette. Quoiqu'il en soit, le pire est clairement devant nous...

Quand Milton Friedman parlait de la fin de l'euro...

lundi 30 avril 2012

Le 7 mai 2012

La campagne électorale vit ces derniers jours. "Enfin !", aimerait-on dire. Il faut dire que le niveau, loin de s'élever, touche plutôt le fond. Les affaires refont surface. Entre les multiples coucheries de DSK et les soupçons de financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, nous ne sommes pas vraiment au plus près des débats, pourtant cruciaux, qui doivent engager l'avenir de notre pays. A gauche, l'anti-sarkozysme fonctionne toujours à plein, et des points Godwin sont même atteints en accusant le président sortant de "néo-pétainisme" pour sa drague, certes lourdingue, des électeurs de premier tour de Marine Le Pen. Les courbes de sondages sont elles invariablement stables, en moyenne à 54 % - 46 %. Les jeux sont pliés, les votes se sont cristallisés depuis déjà bien longtemps, et François Hollande sera élu dimanche prochain président de la république. Le 6 mai 2012 n'a donc plus guère d'importance. Le 7 mai 2012 est en revanche beaucoup plus intéressant.

Le 7 mai 2012, et dans les jours qui suivront, nous sortirons de l'amnésie dans laquelle la campagne électorale nous avait plongée pour revenir à la dure réalité. Première conséquence, les cours de la bourse de Paris devraient plonger. La bourse avait déjà accueilli plutôt fraîchement les résultats du premier tour, perdant près de 3 %. Néanmoins, l'indice CAC 40 a déjà anticipé la victoire du candidat socialiste depuis la mi-mars avec une chute continue de plus de 300 points. 

Deuxième conséquence, le discours du Bourget de François Hollande en Janvier dernier. Dans son discours de candidature, le député de Corrèze affirmait n'avoir qu'un seul ennemi, le monde de la finance. A partir de lundi, le nouveau président élu risque de subir un sévère retour de bâton. Car ces marchés financiers, à qui il a déclaré la guerre en bon Don Quichotte, vont se rappeler à son bon souvenir et les taux d'intérêt de la France pour ses obligations à 10 ans seront très certainement attaqués. Tombés actuellement à moins de 3%, le taux risque de connaître une flambée significative dans les jours et semaines qui viennent. En cause, non pas seulement la déclaration bravache du socialiste, mais aussi, et c'est plus grave, son programme.

Le pacte budgétaire européen, adopté en fin d'année dernière par l'ensemble des pays européens (Hormis la Grande Bretagne), a fait son chemin et ses recettes commencent à s'appliquer un peu partout en Europe. En Italie, le président du conseil Mario Monti a axé son action réformatrice vers une plus grande rigueur budgétaire, avec notamment des hausses de TVA pour volet recette, et une reforme des retraites avec un allongement de cotisations pour réduire les dépenses. Pour relancer la croissance, Monti mise sur la libéralisation de secteurs protégés, en mettant en oeuvre les recommandations de la commission Attali dont il faisait parti à l'époque. Ironie du sort, l'Italie met donc en place, dans la douleur, les mesures les plus controversées de cette commission française, dont Nicolas Sarkozy n'a lui-même pas repris toutes les préconisations. L'Espagne souffre terriblement. Elle pointe à 8% de déficit en ce début d'année et rentre en récession. Le gouvernement de Mariano Rajoy a donc décidé de larges coupes dans les dépenses, et les puissants gouvernements régionaux sont invités à faire de même. Les fonctionnaires partant à la retraite ne sont pas remplacés dans la plupart des secteurs et les salaires de ceux qui restent sont gelés. La fameuse règle d'or a été adoptée. Côté recette, tout le monde met la main à la poche, avec une hausse des impôts sur le revenu et des impôts fonciers. En Grande Bretagne, le gouvernement de David Cameron a mis en place, depuis son arrivé, des coupes drastiques dans son budget, pour tenter d'enrayer un déficit vertigineux. L'Angleterre de la puissante finance souffre et s'est donc lancée donc dans une cure d'austérité particulièrement sévère : baisse des frais de fonctionnement de l'administration, gel des recrutements dans la fonction publique. Et pour le volet recette, des hausses des impôts ont été décidées, ainsi qu'une hausse de la TVA. C'est le triomphe de la rigueur partout en Europe, et du chantre de celle-ci, l'économiste David Ricardo. 

Certains économistes et politiques critiquent évidemment ces politiques d'austérité mis en place en Europe. Car l'austérité, on le sait depuis la crise des années 30, tue la croissance. D'ailleurs, la meilleure preuve de l'inefficacité de ces politiques n'est-elle pas que l'Espagne et La Grande Bretagne viennent d'entrer en récession ? Certes, mais la mise en place de reformes structurelles met du temps à porter ses fruits. A titre exemple, les politiques de rigueur initiées par Gehrard Schroeder aux débuts des années 2000 en Allemagne ont mis plus de 5 ans avant de commencer à porter ses fruits. Si la rigueur peut tuer la croissance à court terme, la dette tue la croissance tout court. Avons nous déjà oublié la Grèce ? Préférons nous aujourd'hui être l'Allemagne ou la Grèce ?

Hausse des impôt sur le revenu, hausse de la TVA, gel du remplacement des fonctionnaires, réformes des retraites, règle d'or budgétaire, coupes dans les budgets de fonctionnement, libéralisation de certains secteurs protégés... Ce sont les mesures mis en place partout en Europe par les nouveaux gouvernements en place. Et, quand on regarde le programme de François Hollande, rien de tout cela : Hausse d'impôt uniquement pour les plus fortunés, pas de hausse de la TVA, création de nouveaux postes dans la fonction publique, remise en cause de la reforme des retraites, refus de règle d'or, pas de coupes claires dans les budgets de l'Etat, pas de libéralisation... La France se prépare donc à aller à rebours de tous ces partenaires européens. Pas étonnant donc que tous les acteurs financiers s'y préparent eux aussi et nous le fassent payer cher à partir de la semaine prochaine.

Le candidat socialiste, lui, a préféré privilégier dans son programme le problème de la croissance plutôt que celui de la rigueur budgétaire. La croissance en Europe est clairement en panne. La question est donc plus que légitime, elle est cruciale. Le programme de François Hollande prévoit donc des soutiens à la consommation (embauche dans la fonction publique, subventions...) dont on se demande comment il pourra sérieusement les financer. On ressuscite faussement Keynes en lui faisant porter le chapeau d'un soutien de la demande par la consommation, alors que lui même prônait l'investissement et les grands travaux. Le candidat socialiste se croit pourtant soutenu lorsque le président de la BCE (Banque Centrale Européenne), Mario Draghi a prononcé le mot "croissance", et par la rumeur du lancement par la BCE et de la BEI (Banque Européenne d'Investissement) d'un plan Marshall pour la croissance. Il a tort. La BCE ne dévaluera pas, les Etats Européens ne reviendront pas sur le pacte budgétaire européen, et la BEI ne prêtera pas pour finir les fins de mois d'un Etat français qui ne se restructure pas.

L'initiative conjointe de la BCE et de la BEI, si elle devait se confirmer, pour un plan Marshall de 200 milliards de financement de grands travaux et d'investissements d'avenir (Energies renouvelables, Haute Technologie, Infrastructures...) s'inscrit largement dans une initiative de relance Keynésienne. Mais réelle celle-là, par les investissements et non par la consommation à la François Hollande. On peut néanmoins être très mesuré par le lancement de cette mesure. C'était d'ailleurs la réaction des bourses Européennes après l'annonce. Aucune euphorie. Car le financement reste encore à définir dans une zone euro rongée par la dette. Et le risque est fort de financer  en pure perte de grands consortiums bureaucratiques de recherches et ou de grosses entreprises déjà puissantes, plutôt que des petites PME innovantes. Comme souvent, les institutions pensent avoir l'initiative de définir ce que sera l'économie de demain, et néglige Schumpeter et son petit entrepreneur qui sont pourtant en train de sortir les Etats Unis du marasme économique. 

Dernier risque pour toute la zone euro dans les semaines et mois qui viennent : un défaut. Oui, un défaut global de toute la zone euro, voir même de certains pays européen hors zone euro. Ce serait un séisme pour l'économie mondiale, mais c'est un scénario que les observateurs n'excluent plus du tout. l'Espagne, l'Italie, le Portugal, La France et demain peut être les Pays Bas, l'Autriche... L'endettement atteint des niveaux de plus en plus vertigineux partout en Europe, et les bons élèves se font rares (Qui a part l'Allemagne ?). Dès lors, il n'est pas impossible que ces Etats fassent un défaut partiel sur leurs créances de l'ordre de 25 % à 30 % de leurs dettes. Prenons le cas de la France. Sa dette est détenue pour 1/3 par les ménages et établissements bancaires français et 2/3 par des fonds d'investissement étrangers (Asiatiques, Moyen Orientaux...). Cela signifie que ces ménages et fonds d'investissement vont devoir s'asseoir sur une partie de l'épargne qu'ils avaient investi pour leurs retraites ou futurs achats immobiliers. Des conséquences que l'on à peine à imaginer, mais basées sur des scénarios de plus en plus probables. 

Il va s'en passer des choses à partir du 7 mai 2012...

jeudi 26 avril 2012

Keynes, Ricardo, Schumpeter... face à la crise

Faut-il mieux réglementer les marchés financiers ? Et pourquoi pas les taxer ? Doit-on séparer les activités bancaires entre des banques de dépôts et des banques d'affaires ? Quel rôle doit jouer la banque centrale ? Son rôle doit-il devenir celui de prêteur de dernier ressort ? Et celle-ci doit elle être indépendante ? Doit elle émettre une monnaie forte ou faible ? Pourquoi les défaillances de la zone euro ? Faut-il sortir de cette zone monétaire ? Ou aller vers davantage de fédéralisme par une convergence budgétaire, sociale et fiscale ? Quels plans de relance pour quelle efficacité ?  Et quid des plans de rigueur et de leur pertinence en temps de crise ? Va-t-on irrémédiablement vers une augmentation des impôts ? ...

Depuis maintenant plus de 4 ans et le début de la crise, se posent d'innombrables questions sur les politiques économiques à mener pour en sortir. Loin d'avoir trancher tous ces débats, les gouvernements et institutions internationales ont néanmoins pris certaines décisions, en fonction d'analyses macroéconomiques, mais aussi souvent en fonction de considérations politiques, électoralistes et donc court-termiste. Ce qui a parfois conduit dans l'impasse. Pourtant, la théorie économique, bien que riche en controverses, nous apporte des réponses. Examinons donc ces questions en s'appuyant sur la pensée de quelques uns des grands penseurs de l"économie.

Retour à l'été 2007. Crise des subprimes, ces crédits hypothécaires américains sur les achats immobiliers, accordés avec trop de largesse par les banques à des ménages peu solvables, mais cautionnés par les institutions publiques de refinancement Fannie Mae et Freddie Mac. Par le mécanisme de "titrisation", ces crédits pourris se sont répandus dans la sphère financière mondiale. Une hausse maladroite des taux américains, suivi de la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008, et c'est la catastrophe. A tort et à raison, les coupables sont trouvés : les banques irresponsables et les marchés financiers devenus fous. Dans ce contexte, ces institutions doivent être mises au pas. Pour cela, on fait appel à Keynes bien évidemment. Économiste le plus connu du XX ème siècle, l'anglais John Maynard Keynes s'est fait connaître par sa Théorie générale de la monnaie et les plans de relance qui portent son nom. Sur les marchés financiers, l'économiste de Cambridge avait émis un certain nombre de recommandations. Réglementation des marchés bien évidemment, mais aussi séparation stricte, au niveau des banques, entre les activités de détail et celles de marchés.

Un autre économiste, tombé aux oubliettes, fait également un retour remarqué dans les discours et les analyses : Marx. Le théoricien du communisme avait en effet prédit l'effondrement du capitalisme dans son oeuvre majeure Le Capital. Karl Marx y avait ainsi décrit le mécanisme de baisse tendancielle des profits. A l'origine, il aurait eu une sur-accumulation de capital, par euphorie et mimétisme des investisseurs. D'où une baisse tendancielle du fameux taux de profit. Pour maintenir leurs marges, les capitalistes vont agir en compressant les salaires. Ce qui engendre une sous-consommation, et donc la crise. Sauf que l'explication ne tient pas vraiment. Le choc de 2008 ne vient pas d'une sous consommation des ménages, mais clairement de produits financiers toxiques, basés plus ou moins sciemment sur des créances non solvables.

La crise des milieux financiers américains s'internationalise rapidement, et se répand comme une tâche d'huile dans l'économie dite "réelle" à partir de fin 2008. Le crédit se fait plus difficile pour les entreprises et les ménages. Les faillites d'entreprises augmentent, de même que le chômage. Comment faire pour éteindre l'incendie ? En appelant là encore Keynes à la rescousse. La relance keynésienne se base principalement sur une variable : le taux d’intérêt. Keynes l'a démontré, une hausse des taux d'intérêt rend l'argent plus cher à emprunter sur les marchés monétaires, alors qu'une baisse diminue le coût de l'argent auprès des institutions émettrices de monnaie. C'est le premier volet de la relance Keynésienne : la relance monétaire. Le deuxième volet consiste à accroître les dépenses publiques des États, de façon à stimuler les investissements et financer des grands travaux. A court terme, le déficit budgétaire se creuse, mais à long terme, l'économie est censé tirer bénéfice de ces investissements : c'est la relance budgétaire.

Début 2009, Barack Obama a ainsi largement recours aux recettes de l'ancien maître de Cambridge. Relance budgétaire d'abord, avec un plan de plusieurs centaines de milliards de dollars, creusant considérablement le déficit, déjà colossal, des États Unis. Relance monétaire ensuite, par le biais de la FED, la banque centrale américaine, qui fait marcher à plein régime la planche à billets avec la baisse des taux d'intérêts, alors proches de zéro. En Europe, les plans de relance Keynésien se multiplient dans tous les pays, creusant là encore sensiblement les niveaux d'endettement des États, bien au delà des limites autorisées par les critères de Maastricht. Incontestablement, l'année 2009 est celle de Keynes, célébré et encensé par les commentateurs politiques et économiques.

Pourtant, un bastion fait de la résistance : la BCE, Banque Centrale Européenne. Dirigée alors par Jean-Claude Trichet, elle rechigne à émettre massivement des euros en faisant baisser ces taux d'intérêts directeurs (les taux auxquels se refinancement les banques). Car la BCE, de part ses prérogatives, se doit avant tout de lutter contre l'inflation, et de maintenir une monnaie forte, chère aux allemands. Du point de vue de la théorie économique, on se trouve clairement dans un bastion "Monétariste", du nom de la doctrine de l'Ecole de Chicago, et de son chef de file, le libéral Milton Friedman. Celui-ci démontra en effet que l'origine de l'inflation est purement monétaire, et que seule une banque centrale et indépendante pouvait lutter contre ce phénomène en maîtrisant ses taux d'intérêt. C'est donc paradoxalement la Banque Centrale Européenne qui est la  bonne élève de l'économiste américain, pendant que la FED viole allègrement les fondements de la doctrine monétariste, pourtant en vigueur depuis les années 1980.

Cependant, si Keynes triomphe, c'est un peu malgré lui. Keynes était partisan de l’interventionnisme de l'Etat, notamment pour stimuler l'investissement et corriger les inégalités. Mais Keynes restait avant tout un libéral, faisant confiance au marché. Or certains gouvernement ont cru avoir le feu vert de l'économiste anglais pour faire marcher à fond la machine administrative et stimuler la consommation des ménages. La mise en oeuvre de ces plans s'est en réalité révélée coûteuse, et surtout peu efficace. D'un côté ou de l'autre de l'atlantique, les indicateurs (croissance, chômage...) sont toujours à la peine.

Mais au delà des manoeuvres étatiques, il existe en économie un personnage central, largement ignoré en ce début de crise : l'entrepreneur. C'est l'économiste classique français du XIX ème Jean Baptiste Say qui, le premier met en lumière son rôle moteur dans l'économie capitaliste. Mais c'est un économiste de l'école autrichienne du début du XIX ème siècle qui en sera le plus fervent avocat : Joseph Schumpeter. Celui-ci a une vision ouvertement libérale de l'économie. Celle-ci réagit, selon lui, par cycle, avec comme moteur l'innovation, et comme héros à la manœuvre, l'entrepreneur. Concernant le mythe du progrès destructeur d'emploi et engendrant des crises, Schumpeter répond par le concept de "destruction créatrice". La crise fait un tri dans les industries et les idées : certaines sont condamnées à disparaître, quand d'autres émergent. Des emplois sont détruits et d'autres sont créés, à plus forte valeur ajoutée. L'économiste autrichien ressuscite au passage les travaux de l'économiste russe Kondratiev, qui mettait en évidence l'existence de cycles successifs longs (environ 30 ans) dans le capitalisme. Le russe sera fusillé par Staline pour avoir émis l'idée très peu marxiste d'un capitalisme capable de se renouveler sans cesse. Mais Schumpeter mettra cette idée au coeur de sa réflexion. Inutile de dire que l'économiste autrichien a connu un engouement certain ces dernières années, notamment dans la Sillicon Valley américaine, où les géants Apple et Google répondent à la crise par une soif d'innovation, et la naissance de l'économie numérique.

Mais l'innovation repose sur des cycles longs, et les effets sur la reprise économique ne sont pas encore très visibles. En 2011, la croissance européenne et américaine est toujours proche de zéro, et les effets de la crise sont particulièrement violents sur le chômage. Ce qui met également en lumière l'échec des faux plans Keynésien mis en oeuvre en 2008-2009. Sauf que cette relance a laissé une dette colossale. Panne de croissance, endettement vertigineux, c'est la crise des dettes souveraines qui prend le relais. Les taux grimpent de façon inconsidérée, et c'est toute l’Europe du sud qui est dans le rouge, la Grèce en tête. C'est alors que le discours politique commence à changer. David Cameron est élu en Angleterre sur un programme de rigueur particulièrement sévère. Les gouvernements italiens et espagnoles changent, pour mettre en place, là encore, des politiques de baisse des dépenses publiques, hausse des impôts et objectif de retour à l'équilibre. En France aussi le ton change, même si c'est surtout dans le discours, notamment celui de François Fillon, le premier ministre. Ce revirement donne raison à la chancelière allemande, Angela Merkel, à la tête d'un pays en cure d'austérité depuis bientôt 10 ans. Et côté théorie économique, un économiste anglais est, là encore, appelé à la rescousse : David Ricardo. Économiste de l'école classique du début XIX ème, cet ancien agent de change se fera connaître pour ces théories sur les avantages comparatifs et la nécessité de promouvoir le libre échange pour une efficacité optimale de l'économie. Il met aussi en garde contre les politiques économiques basées sur le recours excessif à l'emprunt et à l'impôt. En effet, l'économiste met en évidence le risque d'une accumulation sans fin de la dette publique jusqu'à la faillite de l'état. Au coeur de sa démonstration, le principe des "équivalences ricardienne" : L'impôt et l'endettement sont un prélèvement sur les revenus privés et donc la demande privée. Mais bien souvent, la dépense publique qui s'y substitue est moins efficace. Dès lors, les ménages anticipent les inéluctables hausses d'impôts à venir pour rembourser les emprunts, et épargnent donc davantage, faisant encore baisser la demande privée.

La crise de la dette souveraine de 2011-2012, nous l'avons vu, c'est aussi une crise plus générale de la construction européenne, et notamment de la monnaie unique : l'euro. Se pose l'interrogation du rôle de la Banque Centrale Européenne (BCE), et de son rôle éventuel de prêteur de dernier ressort. Mais l'interrogation principale sur l'euro revient à s'interroger sur la définition de ce qu'est une zone monétaire optimale. C'est tout le sens des travaux récents de l'économiste canadien Robert Mundell. Celui-ci définit quatre critères : mobilité des travailleurs pour chercher du travail, liberté de mouvement du capital, économie diversifiée, système fiscal capable de transférer de l'argent. Au regard de ces critères, il parait évident que la plupart d'entre eux ne sont pas remplis, du moins pas complètement. L'euro s'est fait sans chercher une homogénéité de l'économie européenne. Dès lors, une des planches de salut si on veut sauver l'euro sera la convergence européenne en allant vers plus de fédéralisme. Difficile à mettre en oeuvre...

mardi 14 février 2012

Les leurres de la taxe Tobin

Quand une idée fait consensus entre gauche et droite, attention méfiance. Un exemple ? Le projet d'instauration de la taxe Tobin, appelée aussi taxe sur les transactions financières ou taxe Robin des bois.

Le président Sarkozy affirme vouloir la mettre en place au plus vite, même s'il est tout seul en Europe, même dans la précipitation, même à une poignée de jours de l'élection présidentielle. Et si finalement il renonce, c'est son challenger socialiste, François Hollande, qui s'y collera. C'est ce qu'il a confirmé dans son discours du Bourget le mois dernier. Non vraiment, plus moyen d'y échapper.

Cette taxe fut imaginée en 1972 par un économiste américain, le keynésien James Tobin. Il en gardera une notoriété mondiale, alors qu'on lui doit des travaux de plus grande importance, notamment sur le calcul économétrique, et surtout la théorie dite du "Q de Tobin", prenant d'ailleurs comme hypothèse de départ l'existence de marché financier en concurrence pure et parfaite. Paradoxale pour un keynésien...

Quelle est son idée de taxe? Il faut pour cela se replacer dans le contexte des années 70, marquées par une forte volatilité sur les taux de change entre les devises, accentuée en cela fortement par les politiques de dévaluations compétitives qui sont alors monnaie courante. L'économiste américain émet donc l'idée d'instaurer une taxe, à faible taux (entre 0,05% et 0,2%), sur les transactions sur les devises, de façon à limiter la volatilité sur les taux de change. L'utilisation de la recette de cette taxe n'est pas, pour lui, le point primordial. Il suggère qu'elle pourrait alimenter l'aide au développement.

L'idée va mûrir au fil du temps, pour finalement se transformer radicalement. Depuis 1998, ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l'Action Citoyenne) soutient la proposition, et souhaite l'étendre à l'ensemble des transactions financières, et non plus seulement aux transactions sur les devises, pour lutter contre la spéculation. Quant à la recette de cette taxe, elle ira bien à l'aide au développement. C'est même devenu un des arguments d'ATTAC. Si on instaurait cette taxe,  c'est tout juste si on ne pourrait pas presque éradiquer la pauvreté dans le monde... ça laisse rêveur. D'ailleurs, l'un des premiers à protester est Jame Tobin lui même. Il conteste l'utilisation de son nom dans la définition de cette taxe ATTAC, dont les objectifs n'ont plus rien à voir avec son idée initiale. D'une proposition économique, on est passé à un chantage politique. L'utilisation de la recette était secondaire pour Tobin. Elle devient désormais le sujet principal, en plus de vouloir bien entendu combattre la finance et les spéculateurs.

Venue plutôt de la gauche, l'idée à petit à petit fait son chemin. Le président Sarkozy, qui jugeait cette idée encore saugrenue il y a quelques années, en fait désormais son cheval de bataille. La majorité parlementaire de droite le suit plutôt dans la démarche. L'idée trouve même quelques échos outre-Rhin par un oui timide d'Angela Merkel. Il faut dire que la crise est passée par là, et notamment la crise financière de 2008. Les institutions financières et les banques sont les boucs émissaires évidents de cette crise, et il y a une envie de nombreux dirigeants politiques de "se faire" ces fauteurs de troubles de la finance. Une façon aussi de détourner l'attention de l'opinion sur leurs propres erreurs. Sur le papier, le bénéfice politique et économique est évident. Sur le plan comptable, c'est en effet de l'argent qui rentre dans les caisses de l'état, sans être  comme d'habitude prélevé sur les classes moyennes. Une manne bienvenue est cette période de crise de la dette, où il faut faire les fonds de tiroirs. Et sur le plan politique, c'est aller largement dans le sens de l'opinion, de gauche comme de droite. C'est tout bénéf en somme.

Sauf qu'en examinant cette idée de plus près, ça ne tient guère la route. Et là, c'est plus gênant. D'abord, concernant la lutte contre la volatilité ou spéculation, les études montrent que l'idée ne semble pas fonctionner. On pourra citer quelques un des nombreux travaux d'économistes sur le sujet : Ronen et Weaver (2001), Bessembinder et Rath (2002), Harald Hau à la bourse de Paris, ou encore l'étude d'économie expérimentale de Hanke. Entre autres. Et tous arrivent à la même conclusion. La taxe ne freine pas la volatilité ou l'instabilité des cours. Au contraire, tous en conclut qu'elle semble même l'accentuer ! Plus grave encore est l'incidence fiscale de l'instauration de cette mesure. Les études sur le sujet ne sont pas nombreuses (On peut citer celles de McCulloch et Pacillo) mais ne sont pas vraiment rassurante. Ce qui s'en dégage, c'est que, comme souvent avec les taxes, ce n'est pas ceux qui devaient initialement la payer qui paieront. En effet, pour conserver leurs marges, les institutions financières répercuteront la taxe dans leurs prix auprès de leurs clients en rendant le crédit plus cher, et donc l'investissement plus difficile. L'Etat, gros émetteurs d'obligations, va donc par ce stratagème se taxer lui même en payant plus chers ses créances. Le contraire de l'effet attendu ! Sans compter bien évidemment les risques de fuites massives de capitaux vers des places financières n'ayant pas mis au point un tel dispositif. D'ailleurs, la presse financière, ces dernières semaines, ne manquait pas de rappeler qu'une telle mesure pouvait avoir pour l'économie un impact sur le PIB bien plus négatif que ce que rapporterait pareil taxe. Et qui plus est si la France fait cavalier seul.

Sans surprise, les politiques sont plutôt pour (Sarkozy et timidement Merkel et Rajoy). Les économistes en revanche sont plutôt septiques hormis Joseph Stiglitz. Ainsi pour une fois, les libéraux (Milton Friedman et des disciples de Chicago ont toujours été contre) et les Keynésiens (Paul Krugman, Robert Mundell, James Tobin !) font cause commune et dénoncent cette tentative irréaliste et vaine. Elle instaurait du protectionisme en ayant l'illusion de lutter contre la spéculation.

Mais pour trancher le débat, le mieux reste encore de se référer à un exemple concret de la mise en place de pareil mesure. Car la Suède, de 1984 à 1990 avait instauré une taxe Tobin, sous deux formes. D'abord par une taxe sur les transactions financières de 0,5%, complétée ensuite par une taxe sur les revenus des valeurs mobilières (0,002%). Résultat : le volume des échanges s’effondrent de 90%. On pourrait alors en conclure que la taxe à rempli son rôle : stabiliser les échanges. Sauf que cet effondrement n'est dû qu'à une fuite des capitaux financiers. Les marchés financiers suédois sont mort-vivants. La collecte de la taxe se révèle bien évidemment très décevante (80 millions de couronnes par an contre 1500 millions espérés initialement). Et bien évidemment, les institutions répercutent la taxe sur ses clients : l'état et les ménages. La mesure est impopulaire et met en danger les finances suédoise. La Suède met fin à l'expérience en 1990. Les marchés et le pays connaissent depuis une réelle embellie.

Comme quoi, il faut se méfier des consensus...

vendredi 3 février 2012

Et revoilà la TVA sociale

La TVA sociale, c'est un de ces vieux serpents de mer dont on entend parler depuis 20 ans. Introduit avec succès au Danemark et plus modestement en Allemagne, elle est censée résoudre tous nos problèmes de compétitivité tout en faisant financer la protection sociale par nos importations. Sur le papier, ça semble formidable. Avec une grosse interrogation cependant sur le pouvoir d'achat des ménages. Du coup les adversaires ne manquent pas : TVA patronale dit Marine Le Pen, c'est une TVA anti-social pour Jean-Luc Mélenchon. Ses partisans préfèrent parler de TVA emploi ou TVA anti-délocalisation. Chacun baptise donc cette TVA comme il l'entend, selon son adhésion ou non au principe.

Mais sur quel principe repose-t-elle ? Eh bien c'est assez simple. En échange d'une baisse des cotisations sociales qui pèsent sur le travail, la TVA est augmentée de plusieurs points. Double effet attendu : D'une  part, le salarié devient moins coûteux pour l'entreprise qui améliore sa compétitivité. D'autre part, les importations se renchérissent alors que les exportations bénéficient d'un gain de compétitivité. C'est globalement l'effet d'une dévaluation, chose que l'euro nous interdit désormais de faire. Mais attention, certains, tel le président de la république, martèlent une idée fausse et très en vogue au sujet de cette TVA : avec son instauration, ce sont les produits importés qui vont désormais financer la protection sociale en France. C'est évidemment faux. Comme le rappelle l'ancien ministre de l'économie, Alain Madelin : "A-t-on déjà vu une vache payer une taxe sur les vaches ?". Cette formule humoristique illustre à l'évidence que celui qui paye la TVA sur les produits fabriqués en Chine, ce n'est pas le produit, ni même la Chine, mais bien le consommateur français.

Et c'est là qu'est la source du débat. Ne va t-on pas alimenter l'inflation dans cette histoire ? Non répondent ses partisans. L'ancien président de la commission des finances au Sénat, le centriste Jean Arthuis, le démontre : en exonérant partiellement les cotisations sociales, on baisse le coût de revient du produit. Le prix de vente hors taxe peut alors baisser en conséquence. Et, à ce prix hors taxe, on y ajoute le surplus de TVA. Finalement, le prix TTC reste stable, voire diminue légèrement. Il n'y aurait donc eu qu'un simple transfert des cotisations vers la TVA. Et c'est là que les sceptiques de la mesure se réveillent. Car l'instauration de cette mesure suppose qu'automatiquement les entreprises vont répercuter les exonérations partielles de cotisations sociales sur le prix des produits hors taxes. Et ça, rien ne le garantie. Il est possible de voir apparaître un effet d'aubaine pour les entreprises qui pourront, pour certaines, accroître leurs marges sur le dos des consommateurs, ou simplement sortir la tête de l'eau pour les plus fragiles, ce qui serait en revanche une bonne chose. Il y a fort à parier que les comportements varieront d'un secteur à l'autre selon l'importance de la concurrence. Une chose en revanche est certaine. Les produits étrangers qui seront importés verront bel et bien leurs prix augmenter avec le taux de TVA, leurs cotisations sociales restant inchangées. A moins que des pays voisins mettent à leur tour en oeuvre cette mesure pour contrebalancer. Il y a un vrai risque. On se retrouverait alors dans le même schéma que par le passé, avec une course des pays industriels aux dévaluations compétitives pour exporter. 

Néanmoins, si l'on peut raisonnablement penser qu'une inflation peut poindre par l'application de cette mesure, il y a fort à parier qu'elle sera faible, celle-ci étant instaurer dans une période économique difficile, avec une faible croissance et une faible inflation. L'exemple de son instauration en Allemagne, depuis 2007, semble aller dans ce sens. On avait estimer à l'époque une accélération des prix de 0,6% à imputer à cette mesure. Il convient également de modérer les attentes et les risques de cette décision. L'augmentation de la TVA n'est que de 1,6% quand d'autres préconisaient plusieurs points, voire comme au Danemark à 25%. Finalement, avec cette augmentation, la TVA "normal" passe à 21,2% et se situe ainsi dans la moyenne de la zone euro (environ 21%). Et en contrepartie, les cotisations sociales, plus élevées en France qu'ailleurs, vont baisser. On est  finalement en pleine convergence européenne . Il faut aussi dénoncer les critiques infondées. Les produits de premières nécessité, aux taux réduits de 5,5% et 7%, restent inchangés. Quand aux produits importés, ce sont souvent des produits chers (Téléviseur écran plat, Smartphone...). Quand on peut mettre 700 euros dans un téléviseur, on peut surement payer 10 euros de plus de TVA. 

Loin d'être une idée géniale, cette décision tardive de Sarkozy ne mérite cependant pas toute cette agitation économico-médiatique et va plutôt dans le bon sens. Dans le sens d'une plus grande compétitivité des entreprises françaises qui en ont bien besoin dans le climat économique actuel, et surtout futur. Il était temps d'ouvrir le débat...

vendredi 13 janvier 2012

Kodak, Blackberry... la chute des pionniers

C'est l'histoire de la chute de pionniers de l'industrie dans leurs secteurs respectifs, que ce soit la photographie ou la téléphonie mobile. En effet, deux groupes nord-américains sont actuellement en proie à de sérieuses difficultés sur leur marché. Avec leur avenir en question.

Ainsi, le géant américain de la photographie, Kodak, traverse une crise sans précédent dans son histoire. Largement distancé par ces concurrents asiatiques (Nikon, Sony, Canon Fujifilm...), en crise de liquidité face à des pertes qui s'accumule depuis 2005, Eastman Kodak envisage de se mettre en faillite, ce qui correspond aux Etats-Unis à se mettre sous la protection du chapitre 11. Se placer sous la protection de la loi ne signifierait pas nécessairement la disparition de la firme de Rochester. D'autres firmes y ont eu recours auparavant : la compagnie aérienne United Airlines, le groupe de télécoms Wordcom, le courtier Enron ou encore l'équipementier automobile Delphi. Mais ce serait néanmoins un coup très rude porté à l'entreprise. Seule alternative, la vente du précieux portefeuille de brevets et d'invention de l'entreprise qui pourrait trouver des acquéreurs. Mais, ceux-ci ont plutôt intérêt à temporiser pour attendre que les prix baissent. Le temps joue contre Kodak. Le groupe espérerait en tirer 500 millions de dollars. Mais doit absolument trouver 1 milliard de dollars pour espérer financer le fonctionnement de l'entreprise pendant son hypothétique protection sous le chapitre 11. Cette situation financière catastrophique impacte bien évidemment le cours de l'action de la firme. A la fin des années 1990, l'action était valorisé à 90 dollars. L'année dernière, elle atteignait encore les 5 dollars. Elle a désormais chuté à moins de 50 cents, et est menacé de suspension de cotation par la bourse de New York.

C'est néanmoins un énorme gâchis pour la firme basé à Rochester. Fondée en 1884 par Georges Eastman,  elle est l'une des pionnières de la photographie et marquera profondément le XXème siècle par ses nombreux brevets. C'est en effet à Eastman Kodak que l'on doit l'invention du fameux négatif, qui démocratisera l'appareil photo. On lui doit également au cours du siècle la pellicule argentique Kodachrome, ou encore l'appareil photo Instamatic, best seller des années 1960. Kodak devient alors le géant incontesté de l'argentique. Pourtant, c'est dans ses propres laboratoires  de recherche que l’entreprise creuse sa tombe. En 1975, elle est la première à mettre au point la photo numérique et dépose même le premier brevet avec le capteur CCD. Pourtant, la direction de l'entreprise ne croit pas au numérique et préfère se concentrer sur l'argentique qui lui réussit si bien. Grave erreur. Le groupe ne s'en remettra pas. 

La suite n'est qu'un lent déclin qui voit la montée en puissance de ses concurrents asiatiques (Nikon, Sony...). Ces derniers, au contraire, vont à partir des années 1990 se concentrer sur la photographie numérique que Kodak avait dédaigné. Avec la démocratisation du numérique des années 2000, c'est le pari gagnant. Kodak a perdu et ne réagit que trop tardivement en lancement ses propres produits. Le marché lui a déjà échappé. Eastman Kodak tente de reprendre la main avec le lancement de logiciels de traitement de photos ou la mise en place de bornes de développement de photos numériques. Mais le groupe est moribond et survit tout juste. L'ère Kodak est passé...

Un autre géant, canadien celui-là, est également en situation délicate. Certes, il n'est pas dans la situation catastrophique de Kodak, mais RIM (Research In Motion), fondé en 1984 par Mike Lazaridis, et célèbre pour sa gamme de téléphone intelligent (Smartphone) BlackBerry, va mal. Pionnier dans le lancement des Smartphones, notamment en Amérique du nord, BlackBerry a construit son image sur la capacité à échanger et lire des e-mails sur téléphone de façon totalement sécurisée. Et ce, dès le début des années 2000, alors que le téléphone portable commençait seulement à être disponible pour le grand public. Très vite, BlackBerry a séduit les entreprises et devient le mobile préféré des cadres. Réputé pour son infaillibilité, les plus grands de ce monde confiaient leur destin au petit appareil. Barack Obama est le plus célèbre "BlackBerry addict". Celui de Dominique Strauss Kahn resta célèbre pour avoir été oublié dans une certaine chambre d'un Sofitel à New York... Chez les ados, le Smartphone de la firme de Waterloo (Ontario) faisait également une percée significative...

Et puis voilà, RIM s'est peut être un peu reposé sur son leadership acquis sur le marché des Smartphones.   Elle n'a pas vu le vent tourner. A partir de 2007, le marché du Smartphone se démocratise. Lancé en grande pompe par la firme à la pomme, l'iphone va significativement changer la donne. Le petit bijou de Steve Jobs rencontre un succès foudroyant aux quatre coins de la planète. S’enchaînent les sorties, toujours très attendues, des versions suivantes : iphone 2, iphone 3, iphone 4, iphone 4S, bientôt iphone 5... Apple met surtout sur la table de nouveaux enjeux sur le marché des Smartphones : le design et l'ergonomie deviennent ainsi prépondérant, les fonctionnalités (téléphone, messagerie, mail...) allant de soi. Le tactile devient un passage obligé. Enfin, la possibilité de télécharger des applications via itunes pour gérer ses activités quotidiennes (lecture, jeu, utilitaire...) devient là encore un modèle de consommation nouveau et de plus en plus incontournable. Les constructeurs asiatiques (Samsung, HTC, LG...) emboîtent le pas et fabriquent des Smartphones plus soignés et ergonomiques. Ils s'associent alors à Google pour utiliser l'OS Android de la firme de Mountain View. Google va également mettre au point un Android market pour télécharger des applications, sur le même modèle que l'itunes d'Apple. Et c'est le pari gagnant.

Pendant ce temps là, BlackBerry est plus conservateur, et ne fait aucun effort spécifique pour revoir le design de ses appareils et la facilité d'utilisation. La technologie tactile reste l'exception sur les BlackBerry, alors qu'il devient la norme chez les concurrents. L'OS n'est pas le plus performant et n'a que peu évolué par rapport à l'OS Android, particulièrement réactif et de philosophie open source. La firme de Waterloo se met aussi aux applications, mais timidement, et son catalogue est extrêmement modeste par rapport à celui d'Apple ou d'Android. Et c'est l’hémorragie. Les nouveaux consommateurs et les jeunes veulent un iphone ou un Samsung. Même les cadres, coeur de cible de la firme depuis toujours, désertent pour des iphones eux aussi. Question image, les entreprises préfèrent s'associer à la dynamique firme à la pomme. 

Dans la foulée, 2011 est une annus horribilis pour BlackBerry. Les ventes baissent, alors même que le marché mondial à conquérir ne cesse de croître. A l'automne 2011, la firme connait une panne de serveur spendant trois jours. Les mails ne passent plus. L'image de marque de BlackBerry en prend un coup. Le PDG doit s'excuser et c'est le modèle, spécifique à RIM, de serveur sécurisé qui est en question. Dans la foulée, La firme annonce un an de retard sur le développement de son prochain OS. Et la commercialisation de la tablette tactile Playbook est également un échec. Elle est finalement bradée. 

BlackBerry, contrairement à Kodak, a encore de la liquidité et son avenir n'est pas aussi sombre. Mais elle a malgré tout annoncé le licenciement de 2000 personnes. Mais ce qui la rapproche de Kodak, c'est qu'elle a perdu la main dans un secteur qu'elle avait pourtant sous son contrôle il y a peu. Elle est désormais condamnée à suivre et survivre, avec l'illusion de rattraper son retard ou de guetter la faute de ses concurrents. Mais n'est ce pas déjà trop tard ? L'innovation n'attend pas. Etre un leader confortablement installé ne suffit pas et la démocratisation des produits sur le marché est un défi sans cesse à renouveler. C'est la dynamique du capitalisme telle que la décrivait l'économiste autrichien Joseph Schumpeter. 

vendredi 16 décembre 2011

Le retour du Made in France

La semaine dernière, François Bayrou a déclaré sa candidature à l'élection présidentielle. En fait, il s'était déjà déclaré plusieurs fois ces dernières semaines, mais il faut croire que ça ne s'était pas suffisamment vu. Passons. Cette fois-ci c'était la bonne pour le candidat centriste, qui l'annonce en grande pompe, mais pas trop, à la maison de la chimie. Un des axes de sa campagne électorale est lancé : ce sera le Made in France. Son slogan sera "Acheter français", ce qui n'a rien de nouveau. C'est même un grand classique des campagnes électorales. Le parti communiste l'utilisait déjà en 1946.

Toujours la semaine dernière, un autre François, Hollande celui-là, s'est également invité dans le monde de l'industrie. Au côté d'Arnaud Montebourg, le chantre de la dé-mondialisation, le candidat socialiste était au Creusot à la rencontre des ouvriers d'Alstom. Bien que les ouvriers ne soient pas répertoriés par Terra Nova (le Think Tank socialiste) comme le coeur de cible à conquérir par le parti socialiste, François Hollande déclare lui aussi sa flamme et son soutien à l'industrie française et en appelle au "patriotisme industriel". Il faut donc produire français martèlent ses lieutenants Michel Sapin et Pierre Moscovici. Et non pas seulement "Acheter français" comme le souhaite Bayrou. Dommage que le candidat Hollande se soit mis à dos l'industrie nucléaire suite à l'accord Verts-PS.

Depuis 2006, et ses désormais fameux déplacements à Charleville Mézière et à Gandrange, le président Sarkozy se pose en défenseur de l'industrie en France. Les usines c'est son truc répète-t-il souvent, bien plus que les financiers qu'ils fustigent régulièrement dans ces discours. Et pour cela, il faut une industrie française forte en France. Il continuera à la soutenir. Mais derrière le discours, l'industrie a continué à décliner ces dernières années. Charleville-Mézière n'a plus guère d'illusions et Gandrange a fermé. Les rares relocalisations comme Rossignol en Savoie n'inversent pas la tendance.

Depuis près de trois décennies, il a été fait le choix de miser la croissance économique de la France sur les services plutôt que l'industrie. La part de l'industrie est passée en 30 ans de près de 30% du PIB à seulement 15%. Les services devaient être l'avenir de notre économie.  L'agriculture, c'était finie. L'industrie, c'était finie. Au nom de la division internationale du travail cher à l'économiste classique anglais David Ricardo, chaque pays devait se spécialiser. A l’Afrique et l’Amérique du sud la mission de nourrir la planète. A l'Asie celui de devenir l'usine du monde. L'occident se concentrant sur les services.

Sauf que certains pays comme l'Angleterre se sont jeter à corps perdu dans les services financiers. La crise des subprimes de 2007-2008 a plongé le pays dans une grave crise, n'ayant plus une assise industrielle solide pour l'amortir. Et on a simplement oublié que pour un emploi existant dans l'industrie, c'est parfois plusieurs emplois de services que l'on crée autour localement, que ce soit dans l'informatique, dans l'ingénierie ou encore dans la logistique. Faute de projets industriels, certaines régions restent condamnées à l'abandon et au chômage massif.

Cette campagne de Made in France qui se développe n'est pas inutile, malgré les tendances rampantes de protectionnistes que peuvent porter des Arnaud Montebourg ou Marine Le Pen. Cependant, si cela se bouscule pour défendre l'industrie dans le verbe, dans les faits, les ambitions sont nettement revues à la baisse, et les solutions sont souvent obsolètes et inefficaces, entre les tentations protectionnistes et l'investissement public, souvent en pur perte pour un Etat de toute façon très mal au point du point de vue de ses finances publiques.

Pourtant, les consommateurs sont d'après les sondages prêt à acheter français, même un peu plus cher. Mais il semble qu'on oublie quelque chose : les caractéristiques des produits conçus et fabriqués. Nos entreprises, outre un problème de compétitivité lié au coût du travail ne sortent pas systématiquement les produits qui répondent le mieux aux attentes du client. Par exemple, Apple et Amazon vendent plus d'Ipad et de Kindle en France que ses concurrents français (Archos, Danew...) sur le marché de la tablette tactile. Est ce la faute au consommateur ? 

Les politiques publiques et d'incitations fiscales (comme le crédit impôt recherche), utiles en dernier ressort, trouvent rapidement leurs limites. Pour renouer avec la croissance et l'emploi industriel, c'est plutôt en soutenant les entrepreneurs et en redonnant le goût de l'innovation et de l'entreprise. Les PME françaises ne se développent pas suffisamment par rapport à ses concurrentes Allemandes ou Italiennes. Pourtant, des pistes existent, souvent peu coûteuses. Des politiques de simplifications administratives (guichet unique), de déréglementations et de flexibilité sur le marché de l'emploi pourraient soutenir ces entreprises. Car c'est là où se trouvent les potentielles créations emplois.