C'est l'histoire de la chute de pionniers de l'industrie dans leurs secteurs respectifs, que ce soit la photographie ou la téléphonie mobile. En effet, deux groupes nord-américains sont actuellement en proie à de sérieuses difficultés sur leur marché. Avec leur avenir en question.
Ainsi, le géant américain de la photographie, Kodak, traverse une crise sans précédent dans son histoire. Largement distancé par ces concurrents asiatiques (Nikon, Sony, Canon Fujifilm...), en crise de liquidité face à des pertes qui s'accumule depuis 2005, Eastman Kodak envisage de se mettre en faillite, ce qui correspond aux Etats-Unis à se mettre sous la protection du chapitre 11. Se placer sous la protection de la loi ne signifierait pas nécessairement la disparition de la firme de Rochester. D'autres firmes y ont eu recours auparavant : la compagnie aérienne United Airlines, le groupe de télécoms Wordcom, le courtier Enron ou encore l'équipementier automobile Delphi. Mais ce serait néanmoins un coup très rude porté à l'entreprise. Seule alternative, la vente du précieux portefeuille de brevets et d'invention de l'entreprise qui pourrait trouver des acquéreurs. Mais, ceux-ci ont plutôt intérêt à temporiser pour attendre que les prix baissent. Le temps joue contre Kodak. Le groupe espérerait en tirer 500 millions de dollars. Mais doit absolument trouver 1 milliard de dollars pour espérer financer le fonctionnement de l'entreprise pendant son hypothétique protection sous le chapitre 11. Cette situation financière catastrophique impacte bien évidemment le cours de l'action de la firme. A la fin des années 1990, l'action était valorisé à 90 dollars. L'année dernière, elle atteignait encore les 5 dollars. Elle a désormais chuté à moins de 50 cents, et est menacé de suspension de cotation par la bourse de New York.
C'est néanmoins un énorme gâchis pour la firme basé à Rochester. Fondée en 1884 par Georges Eastman, elle est l'une des pionnières de la photographie et marquera profondément le XXème siècle par ses nombreux brevets. C'est en effet à Eastman Kodak que l'on doit l'invention du fameux négatif, qui démocratisera l'appareil photo. On lui doit également au cours du siècle la pellicule argentique Kodachrome, ou encore l'appareil photo Instamatic, best seller des années 1960. Kodak devient alors le géant incontesté de l'argentique. Pourtant, c'est dans ses propres laboratoires de recherche que l’entreprise creuse sa tombe. En 1975, elle est la première à mettre au point la photo numérique et dépose même le premier brevet avec le capteur CCD. Pourtant, la direction de l'entreprise ne croit pas au numérique et préfère se concentrer sur l'argentique qui lui réussit si bien. Grave erreur. Le groupe ne s'en remettra pas.
La suite n'est qu'un lent déclin qui voit la montée en puissance de ses concurrents asiatiques (Nikon, Sony...). Ces derniers, au contraire, vont à partir des années 1990 se concentrer sur la photographie numérique que Kodak avait dédaigné. Avec la démocratisation du numérique des années 2000, c'est le pari gagnant. Kodak a perdu et ne réagit que trop tardivement en lancement ses propres produits. Le marché lui a déjà échappé. Eastman Kodak tente de reprendre la main avec le lancement de logiciels de traitement de photos ou la mise en place de bornes de développement de photos numériques. Mais le groupe est moribond et survit tout juste. L'ère Kodak est passé...
Un autre géant, canadien celui-là, est également en situation délicate. Certes, il n'est pas dans la situation catastrophique de Kodak, mais RIM (Research In Motion), fondé en 1984 par Mike Lazaridis, et célèbre pour sa gamme de téléphone intelligent (Smartphone) BlackBerry, va mal. Pionnier dans le lancement des Smartphones, notamment en Amérique du nord, BlackBerry a construit son image sur la capacité à échanger et lire des e-mails sur téléphone de façon totalement sécurisée. Et ce, dès le début des années 2000, alors que le téléphone portable commençait seulement à être disponible pour le grand public. Très vite, BlackBerry a séduit les entreprises et devient le mobile préféré des cadres. Réputé pour son infaillibilité, les plus grands de ce monde confiaient leur destin au petit appareil. Barack Obama est le plus célèbre "BlackBerry addict". Celui de Dominique Strauss Kahn resta célèbre pour avoir été oublié dans une certaine chambre d'un Sofitel à New York... Chez les ados, le Smartphone de la firme de Waterloo (Ontario) faisait également une percée significative...
Et puis voilà, RIM s'est peut être un peu reposé sur son leadership acquis sur le marché des Smartphones. Elle n'a pas vu le vent tourner. A partir de 2007, le marché du Smartphone se démocratise. Lancé en grande pompe par la firme à la pomme, l'iphone va significativement changer la donne. Le petit bijou de Steve Jobs rencontre un succès foudroyant aux quatre coins de la planète. S’enchaînent les sorties, toujours très attendues, des versions suivantes : iphone 2, iphone 3, iphone 4, iphone 4S, bientôt iphone 5... Apple met surtout sur la table de nouveaux enjeux sur le marché des Smartphones : le design et l'ergonomie deviennent ainsi prépondérant, les fonctionnalités (téléphone, messagerie, mail...) allant de soi. Le tactile devient un passage obligé. Enfin, la possibilité de télécharger des applications via itunes pour gérer ses activités quotidiennes (lecture, jeu, utilitaire...) devient là encore un modèle de consommation nouveau et de plus en plus incontournable. Les constructeurs asiatiques (Samsung, HTC, LG...) emboîtent le pas et fabriquent des Smartphones plus soignés et ergonomiques. Ils s'associent alors à Google pour utiliser l'OS Android de la firme de Mountain View. Google va également mettre au point un Android market pour télécharger des applications, sur le même modèle que l'itunes d'Apple. Et c'est le pari gagnant.
Pendant ce temps là, BlackBerry est plus conservateur, et ne fait aucun effort spécifique pour revoir le design de ses appareils et la facilité d'utilisation. La technologie tactile reste l'exception sur les BlackBerry, alors qu'il devient la norme chez les concurrents. L'OS n'est pas le plus performant et n'a que peu évolué par rapport à l'OS Android, particulièrement réactif et de philosophie open source. La firme de Waterloo se met aussi aux applications, mais timidement, et son catalogue est extrêmement modeste par rapport à celui d'Apple ou d'Android. Et c'est l’hémorragie. Les nouveaux consommateurs et les jeunes veulent un iphone ou un Samsung. Même les cadres, coeur de cible de la firme depuis toujours, désertent pour des iphones eux aussi. Question image, les entreprises préfèrent s'associer à la dynamique firme à la pomme.
Dans la foulée, 2011 est une annus horribilis pour BlackBerry. Les ventes baissent, alors même que le marché mondial à conquérir ne cesse de croître. A l'automne 2011, la firme connait une panne de serveur spendant trois jours. Les mails ne passent plus. L'image de marque de BlackBerry en prend un coup. Le PDG doit s'excuser et c'est le modèle, spécifique à RIM, de serveur sécurisé qui est en question. Dans la foulée, La firme annonce un an de retard sur le développement de son prochain OS. Et la commercialisation de la tablette tactile Playbook est également un échec. Elle est finalement bradée.
BlackBerry, contrairement à Kodak, a encore de la liquidité et son avenir n'est pas aussi sombre. Mais elle a malgré tout annoncé le licenciement de 2000 personnes. Mais ce qui la rapproche de Kodak, c'est qu'elle a perdu la main dans un secteur qu'elle avait pourtant sous son contrôle il y a peu. Elle est désormais condamnée à suivre et survivre, avec l'illusion de rattraper son retard ou de guetter la faute de ses concurrents. Mais n'est ce pas déjà trop tard ? L'innovation n'attend pas. Etre un leader confortablement installé ne suffit pas et la démocratisation des produits sur le marché est un défi sans cesse à renouveler. C'est la dynamique du capitalisme telle que la décrivait l'économiste autrichien Joseph Schumpeter.
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