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samedi 17 mars 2012

Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia

C'est l'histoire d'un enfant des années 50-60, Michel Marini. Et quelque part donc un peu de l'Histoire de France qui est racontée dans ce captivant livre de Jean-Michel Guenassia, "Le Club des incorrigibles Optimistes".

C'est d'abord l'histoire de deux familles que tout oppose. D'un côté les Marini, issus de l'immigration italienne, qui s'installeront à Lens au début du siècle et viendront travailler dans les mines du nord de la France. Profondément attachés à cette patrie d'accueil, ils feront disparaître la langue italienne du foyer familiale par volonté d'assimilation. De l'autre, les Delaunay, famille de la petite bourgeoisie parisienne du 5ème arrondissement de Paris et commerçant respecté du quartier. L'union du fils Marini avec la fille de son patron, Monsieur Delaunay, va unir le destin de ses deux familles. De cette union naîtra trois enfants : Franck, Juliette et le narrateur Michel.

Ce roman, est d'abord celui le début des années 60 et de son atmosphère si particulière, qui suscite aujourd'hui de la nostalgie. C'est évidemment l'avènement du Rock & roll qui fait une entrée fracassante dans les foyers grâce aux pick-ups et  aux disques 33 tours, des biens extrêmement précieux à une époque ou cette musique passait aux yeux de certains pour subversive. Un quatuor de pop anglaise marque également profondément cette période et laissera une trace indélébile dans l'histoire de la musique : Les Beatles. 

Politiquement, cette période est extrêmement riche. C'est d'abord le retour au pouvoir du Général de Gaulle, après sa traversé du désert, et l'adoption par celui-ci d'une nouvelle constitution : la 5ème république. La période est également profondément marquée par la guerre d'Algérie, qui est en permanence la toile de fond du roman. Celle-ci modifiera le destin des principaux personnages du roman : d'abord celui de Franck, le frère de Michel, qui devance l'appel pour partir faire la révolution marxiste au sein du contingent. C'est un échec. Sur place, Il tuera un officier français, ce qui l’entraînera sa fuite et une vie de fugitif. Il y a ensuite Pierre, l'ami de Franck et de Michel, adepte des idéologies anarchisantes, pour qui partir avec le contingent est l'occasion de convertir à la révolution ses jeunes français des classes modestes enrôlés sous les drapeaux. Là encore c'est un échec. Ses compagnons de régiment ont confiance en De Gaulle pour résoudre la question algérienne, et plutôt que de faire la révolution, ils aspirent à la société de consommation. Pierre perd ses illusions de révolutionnaires et finit même par prendre la défense de l'armée contre les élites intellectuelles parisiennes soutenance le FLN et les Fellagas. Il tombera finalement dans une embuscade à quelques jours des accords d'Evian. Sa soeur Cécile ne s'en remettra pas. La guerre d'algérie, c'est aussi le destin des pieds noirs. L'oncle et la tante de Michel habitent en Algérie où ils ont investi toutes leurs économies. Jusqu'au bout ils vont croire à un miracle, jusqu'au bout ils penseront que l'Algérie va rester française, que la France ne lâchera pas ce bout de terre française. Ils n'ont de toute façon pas d'autres choix. L'OAS veille et leur interdit de partir et de vendre leurs biens. Ils devront finalement les abandonner pour fuir dans la panique générale, comme les 800 000 pieds rapatriés en France, après avoir tout perdu. 

L'autre toile de fond du roman est aussi la guerre froide, et cet affrontement entre le bloc de l'ouest et le bloc de l'est. Le livre met ainsi en scène les nombreux affrontements idéologiques de l'époque, divisant profondément les familles. Les Marini d'une part proche du parti communiste. Franck, le frère de Michel vendra même l'Humanité Dimanche. Et les Delaunay de l'autre, farouche anti-communistes. Nous rencontrons également au cours de ce récit de nombreux réfugiés d'Europe de l'est et notamment d'URSS ayant réussi à franchir le si fameux rideau de fer qui va profondément marquer l'histoire de l’Europe, la coupant durablement en deux jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989.

Ce livre, c'est aussi Paris et notamment de son quartier Latin. Les familiers du 5ème arrondissement auront en tête chacun des lieux évoqués : Le lycée Henri IV, la rue Soufflot, la rue Mouffetard, la place contrescarpe, les arènes de lutèce, le boulevard Saint Michel et sa Sorbonne, les jardins du Luxembourg et sa fontaine médicis, le lycée Fénelon, le quai des grands Augustin ou encore Saint Sulpice. Le décor se plante aussi jusqu'à la place Denfert Rochereau, à l'intersection avec la rue Raspail, dans un petit café qui fait office de siège social d'un club au nom mystérieux de "Club des incorrigibles optimistes".

Ce café, dans lequel pénètre Michel et son ami Nicolas, sera d'abord le lieu de leurs exploits au baby foot. Puis, intrigué, Michel fera connaissance avec les membres de ce club, les Léonid, Igor, Vladimir, Tibor, Imré ou encore Sacha. Presque tous sont issus de l'autre côté du rideau de fer, notamment de l'URSS. Ils ont souvent dû abandonner pour toujours femmes et enfants, pour passer à l'ouest. La raison principale : un régime communiste paranoïaque, capable de soupçonner de trahison ou de subversion même ses plus fidèles serviteurs comme Sacha, ex-haut fonctionnaire au service de la propagande. Une exception peut être : Léonid, communiste convaincu et héros de la guerre en union soviétique, qui profitera d'un passage à Paris pour rester en France, par amour pour une femme. Que font-ils en France ? Des petits boulots, tout juste de quoi survivre. Certains sont chauffeurs de Taxi. Victor fait même croire à ses clients qu'il détient le couteau qui a tué Raspoutine. Il en vend d'ailleurs quelques uns aux plus crédules. Sacha fait du développement photographique. D'autres des travaux de traduction qui arrivent au compte goutte. Ils sont souvent en proie aux tracasseries d'une administration française comptant nombre de sympathisants communistes, voyant d'un mauvais oeil ces immigrés venus d'URSS et demandant l'asile politique. Ce club est donc un lieu où se retrouve tous ses bougres ont souvent une histoire lourde sur leur coeur, et une famille qu'ils ont quitté et qu'ils ne reverront jamais. Quelquefois deux illustres personnages passent la porte du club pour se joindre à leurs activités ou leur venir en aide : Jean-Paul Sartre et Joseph Kessel. Et pour passer le temps, sans jamais rien oublier, ils jouent aux échecs dans l'arrière salle du café où la quiétude ne s'interrompt qu'à l'occasion d'une violente, mais courte, dispute politique...

lundi 14 novembre 2011

Limonov d'Emmanuel Carrère

Je viens d'achever la lecture du récent prix Renaudot, attribué à Emmanuel Carrère pour Limonov.

Amateur des précédents livres de Carrère (La classe de neige, l'adversaire...) et intrigué par le destin peu commun de ce Limonov, je me suis donc atteler à la lecture de ce livre, tout juste auréolé de son prix.

Je vais donc vous en dire quelques mots.




Carrère retrace les différentes vies d'Edouard Limonov,  écrivain russe intrépide qui vit le jour dans la Russie stalienne des années 40. Fils d'un officier du NKVD (le KGB de l'époque), il vit dans le culte de la grande armée rouge qui stoppa les armées nazies dans cette "Guerre patriotique" comme elle est appelée en Russie.

D'abord la vie de Limonov et de ces parents dans la banlieue de Kharkov en Ukraine où il sera tour à tour voyou, ouvrier, apprenti poète. Il sera parmi ses amis d'enfance un des seuls rescapé d'une URSS violente où alcool, banditisme et répression de toute dissidence font des ravages.

Mais c'est aussi une URSS cultivé, où les ouvrages d'auteurs français comme Jules Verne et Alexandre Dumas ont leur place dans tous les foyers russes, même dans la banlieue reculé de Kharkov, à Saltov. Une URSS où les petits voyous peuvent aussi être des poètes en herbes et pour certain talentueux. Limonov est de ceux là.Fils d'un petit officier du NKVD sans envergure, Limonov rejette cette vie là. Il veut être célèbre, être un grand écrivain. Voyant cette vie lui échapper, il pense en finir. Sorti de l’hôpital psychatrique, il devient vendeur à Kharkov pour une librairie. C'est sa chance.

Il va alors tout conquérir: La libraire, Anna, le milieu littéraire de Kharkov pour en être une des figures incontournables. Mais déjà Kharkov n'est plus à la mesure de ses ambitions. Il part avec Anna pour Moscou, et mène une vie de misère et de bohème. Mais là encore parvient à conquérir le milieu underground de Moscou et une femme appelé Elena. Une femme de catégorie A puisqu'il note les femmes avec qui il sort.

Puis direction New York, Manhattan pour un aller sans retour hors d'Union Soviétique avec cette femme qu'il aime tant. Mais New York est plus difficile à conquérir et il n'y arrive pas. Il y écrit d'ailleurs Le Journal d'un raté. Il tombe dans la misère la plus noire, s'adonne à des essais de pédérastie, et deviendra pour finir majordome d'un millionnaire.

Rencontrant enfin un petit succès littéraire grâce à un éditeur parisien pour son premier livre Le poéte russe préfére les grands nègres. Il devient coqueluche du milieu littéraire parisien, vivant modestement dans un studio du Marais avec Natasha, chanteuse de cabaret. Il collaborera notamment à l'Idiot International du sulfureux Jean-Edern Hallier, et croisera dans l'appartement de celui ci d'autres personnages non moins sulfureux comme Marc Edouard Nabe. De là viens peut être son ambiguïté politique Rouge-Brun.

L'URSS se désagrège en 1991. C'est pour lui un choc mais dans le mauvais sens. Il n'a jamais été un dissident comme Soljenitisne ou Sakharov qu'il déteste. Il en veux à Gorbatchev de cette liquidation de la patrie. Cet éclatement du bloc soviétique lui permet néanmoins de rentrer en Russie.

A presque 50 ans, il a encore besoin d'adrénaline et part rejoindre Arkan dans la serbie de 1992 en pleine désagrégation pour soutenir les serbes, mis au bans des nations. Mi-soldat, mi journaliste, il participera au siège de Sarajevo et sera l'un des derniers combattants d'Arkan à défendre les divers républiques de serbie.

Brun-rouge, il lance ensuite en Russie son mouvement national bolchevique, à l'allure fascisante. Il tente de faire la révolution contre Eltsine. Échec. C'est l'âge d'or de Moscou, des privatisations et des années frics. Limonov enrage de voir son URSS ainsi bradé à quelques investisseurs. Il se présente aux élections législatives en Ukraine. Échec. Il tente ensuite de préparer une déstabilisation des états d'Asie centrale. Échec là encore et à la clé presque trois ans de prisons. Mais entre temps, sa notoriété a grandi, le succès littéraire est venu. S'il ferraille toujours contre le régime Poutinien, il semble davantage proner une révolution orange comme en Ukraine. Sa dernière ambition: fondé une religion. Rien que cela.

Carrère nous plonge dans une vie incroyable, aux multiples décors (la banlieue pauvre d’Ukraine, l'underground moscovite, les hôtels sordides puis les appartements luxeux de Manhattan, le milieu littéraire parisien de Saint Germain des prés et de la place des Vosges, les paysages dévastés par la guerre de la Serbie,  les steppes d’Asie centrale, un bunker moscovite comme siège de parti politique, les prisons de l'ex KGB...).

Limonov n'a pas des idées politiques très claire. Tentative de restauration du communisme ? Révolution pacifique, nationalisme russe. Un peu de tout ça. Mais dans quel ordre. C'est un homme d'action plus que de doctrine politique. Il n'aime pas Gorbatchev, Eltsine, Poutine, le libéralisme, qu'on critique le KGB ou l'armée rouge. Non, la russie n'a pas été pendant 70 ans aux mains d'une bande de criminel pense t il. 
C'est aussi un coureur de femmes et le livre est rempli d'histoire et d'expérience sexuelle. A la limite de l'indigeste par moment.

Le personnage a des ambiguïtés, il s'est beaucoup fourvoyé et souvent trompé.Mais il faut reconnaître que c'est un écrivain qui s'engage, qui n'a pas peur, et qui en à payer les conséquences. Il ne cherche pas le confort des terrasses de Saint Germain des prés, au contraire il rejette cette sécurité dans laquelle se sont réfugiés nombre d'intellectuels. Il tombe parfois très bas, touche le fond et les bas fonds, mais à chaque fois repart. Sa quête est de tout expérimenter. C'est la vie qu'il a choisi. Comme l'écrit Carrère dans le livre, ne faut il pas avoir vécu des choses pour avoir quelquechose a écrire ? Limonov aura fait de sa vie de nombreux livres en tout cas.