Il y a quelques années, Jean Sévillia avait publié Historiquement Correct, livre qui connu à l'époque un grand succès, surtout pour un livre d'Histoire. Fort de ce bon accueil, l'auteur, qui est aussi journaliste et critique littéraire, revient avec un nouveau titre : Historiquement Incorrect.
Dans ce nouvel opus, Sévillia se concentre sur 10 thèmes ayant trait à l'Histoire du monde ou plus particulièrement à l'Histoire de France. Ces sujets sont souvent sujets à polémiques, et font l'objet de nombreux débats chez les historiens. Et parfois, le jugement politique et idéologique s'en mêle prenant le pas sur les faits, même les mieux établis.
On peut apprécier la rigueur et la prudence de Jean Sévillia dans son propos. Celui-ci cite beaucoup d'ouvrages et de travaux d'historiens et met souvent en lumière les dernières découvertes et recherches effectuées. Du coup, les avis exposés divergent forcément de la pensée dominante, parfois partiale et simpliste.
A titre d'exemple, l'auteur revient sur la seconde guerre mondiale, et plus précisément sur l'évolution au cours du temps du points de vue des historiens sur deux sujets essentiels de cette période: le rôle exacte du régime de Vichy pendant l'occupation, et la perception de la Shoah à la fin de la guerre. Et ce qui frappe, c'est que la vision que l'on en a aujourd'hui est très différente de celle que l'on avait après guerre.
Ainsi, les historiens de référence qui ont travaillé sur le sujet après la guerre, Robert Aron ou Henri Amouroux notamment, ont sur le gouvernement de Vichy un jugement critique mais plus indulgent qu'aujourd'hui. A l'époque, la théorie du glaive (De Gaulle qui combat) et du bouclier (Pétain qui protège) est encore dans beaucoup d'esprits. Et il n'est pas rare de voir des résistants également partisans de Pétain sans que cela ne soit choquant. L'avis de ces historiens à l'époque, c'est surtout que c'est l'Allemagne occupante est maître du pays. Vichy est soumit à son diktat. Cette vision est largement soutenue par les gaullistes et les communistes, diffusant largement l'idée d'une France résistance et vainqueur de la guerre. C'est donc une bombe qui éclate dans les années 1970 quand l'historien américain Robert Paxton sort son Histoire de Vichy. Non toute la France n'a pas résisté, oui Vichy a collaboré, devançant parfois les désirs des Allemands. La charge est lourde contre la France et le régime du Maréchal Pétain. Trop peut être. Paxton semble parfois oublier ou sous estimer dans son analyse qu'il y avait une occupation du pays par les nazis. C'est ce que pointe les historiens actuels, tel Henri Rousso. La vérité se situe donc vraisemblablement entre Aron et Paxton.
De la même façon le traitement de la Shoah a beaucoup varié au fil du temps. Ce qui peut frapper, c'est qu'elle est à peine évoquée au sortir de la guerre, même avec la découverte en 1945 des camps de concentrations et d'exterminations. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette question n'est presque pas abordée dans les procès d'épuration de 1945 (Pétain, Laval...). On juge avant tout des traîtres et des collaborateurs. La question de l'antisémitisme ou de la déportation spécifique des juifs n'est pas tellement évoquée. On parle alors plutôt des prisonniers et des déportés en général, qu'ils soient prisonniers de guerre, communistes, gaullistes, résistants, juifs ou tziganes. Ce n'est que progressivement, avec le devoir de mémoire et les recherches que l'on parlera plus spécifiquement de l'effroyable entreprise de la mort mis en place par les nazis. Des films, tels que Nuit et Brouillard d'Alain Resnais ou Shoah de Claude Lanzmann, marqueront durablement l'opinion sur ce sujet. La littérature aussi, tels que La mort est mon métier de Robert Merle ou Si c'est un homme de Primo Lévi.
Autre exemple, la position du Vatican pendant la seconde guerre mondiale et plus précisément vis à vis du régime nazi. Si la perception actuelle est que le Vatican a été silencieux pendant la guerre, et a fermé les yeux sur les exactions nazis, on se rend compte que la réalité était assez différente. Et on peut s'appuyer pour cela sur un certain nombre d'éléments, notamment des témoignages et documents de l'époque, attestant au contraire d'une condamnation sans réserve des papes successifs Pie XI et Pie XII contre les crimes commis. Mais il faut bien évidemment tenir compte des moyens d'information et de communication de l'époque qui n'avaient rien à voir avec ceux à disposition aujourd'hui, surtout dans un contexte de guerre. L'auteur nous décrit le courage du clergé allemand qui, parfois au péril de sa vie, s'est opposé à un ordre nazi martyrisant les juifs, les catholiques et plus généralement les chrétiens.
D'autres chapitres nous apprennent également beaucoup sur des points méconnus de l'Histoire. Les rapports de l'Eglise et de la science sont ainsi examinés à la lumière du cas de Galilée. Et l'on y apprend que l'Eglise romaine, loin d'être hostile aux scientifiques avait un véritable intérêt pour les nouvelles théories, y compris l'héliocentrisme. Et qui sait que l'un des plus fameux savant de l'héliocentrisme, Nicolas Copernic, était même prêtre. D'autres chapitres valent le détour. Un jugement très nuancé sur l'époque coloniale, certainement à confronter à d'autres points de vue. Et un retour sur la guerre 14-18, et sur l'esprit qui régnait à l'époque chez les combattants, loin des présentations qu'on en fait quelquefois. .
Ce qui frappe finalement à la lecture de ce livre, c'est la partialité de certains historiens dans leur traitement d'un sujet. Avec les nouvelles découvertes et l'accès aux archives récentes, il est normal que le jugement sur certains épisodes de l'Histoire change, l'histoire vit. Mais ce qui frappe, c'est la paresse intellectuelle d'une part, et l'idéologie du moment de l'autre, qui sont parfois plus forts que des faits établis, des recherches sérieuses, des témoignages précis. Ainsi selon l'époque, la période coloniale ou le régime de Vichy, par exemple, n'ont pas été appréhendés et jugés de la même façon. Avec à chaque fois une perception fausse et exagérée. Méfions nous donc des idées trop arrêtées.
Cet ouvrage est donc une contribution pour mieux comprendre certains épisodes de notre Histoire et sortir des présentations parfois simples et manichéennes. Il ne remet pas en cause des fondements historiques, mais permet de nuancer son jugement personnel sur certaines périodes plus complexe qu'on ne le pense. L'auteur nous apprend donc à nous méfier de la tentation du jugement lapidaire et anachronique. Ce qui était bien hier ne l'ai plus aujourd'hui. Qu'en sera-t-il demain ?
A noter que d'autres ouvrages existent pour bousculer de la même façon les idées reçues sur l'Histoire. Les avis peuvent d'ailleurs être fort différents et compléter ou contre balancer ce livre. Je pense par exemple aux ouvrages suivants : Les tabous de l'Histoire de L'historien Marc Ferro (que j'ai lu), ou Nos ancêtres les gaulois et autres fadaises du journaliste François Reynaert (que je n'ai pas lu).
Bonnes lectures. La vérité se trouve souvent dans la nuance, et toujours dans connaissance.
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