Une page se tourne ce jeudi 15 octobre dans l'histoire de la presse française. Le grand quotidien d'après guerre, France-Soir, ne paraîtra plus dans les kiosques. Le propriétaire russe du journal, Alexandre Pougatchev, a décidé d'arrêter l'édition papier au profit d'une publication uniquement sur le site web.
Cette fin peut laisser un goût amer. Les locaux ont été démolis et sont toujours occupés par les syndicalistes CGT de l'impression et de la distribution, habitués de telles violences. L'accès au journal est interdit aux journalistes eux-mêmes, qui ont pourtant toujours une version numérique à faire paraître. Il n'y aura donc pas de dernier numéro papier pour conclure cette grande aventure journalistique.
Elle ponctue un lent déclin pour celui qui fut le quotidien emblématique de la presse française d'après guerre. France-Soir est issu en 1944 du journal de la résistance Défense de la France, qui fut imprimé clandestinement pendant la guerre dans les sous sols de la Sorbonne. Ces fondateurs sont Robert Salmon et Philippe Viannay, auquel se joindra Pierre Lazareff qui en prendra la direction. Ancien directeur de rédaction de Paris-Soir dans les années 1930, il développera France-Soir pour en faire le quotidien de référence des années 1950-1960. C'est l'époque des grandes figures du journalisme et des grands reporters. Collaboreront entre autres à France-Soir, l'aventurier et académicien Joseph Kessel, le reporter pour l’Indochine Lucien Bodard, le journaliste et écrivain Philippe Labro ou encore l'historien Henri Amouroux. De 1953 à 1969, France-Soir se targuera d'être le journal à plus de 1 million de lecteurs, fort de plus de 400 journalistes et de sept éditions par jours. Pierre Lazareff décède en 1972. S'ensuit un long déclin du titre qui verra passer de multiples repreneurs : Robert Hersant, Philippe Bouvard, Olivier Rey. France-Soir vivra de multiples tentatives de relances, tantôt centrées sur les sports, ou les médias, ou format tabloïd. Rien n'y fera et France-Soir doit se contenter de 60 000 lecteurs, loin du million des années fastes.
Néanmoins, si le contexte est particulier dans le cas de France-Soir, il préfigure la mutation qui va inexorablement s'opérer pour la presse papier. Nous voyons bien que depuis plusieurs années déjà, les principaux journaux voient la vente de leurs éditions papiers ne pas progresser, voir décliner. Pendant ce temps là, la fréquentation des sites web de ces mêmes journaux se portent bien, voire explose. Avec l'énorme avantage d'être, au moins partiellement, gratuit.
Les importantes mutations des technologies de l'information ont et vont changer la diffusion du contenu des médias. On ne vend plus de l'information comme il y a 50 ans. La plateforme internet a profondément changé la donne il y a quelques années. Si les générations nés avec les éditions papiers continuent et continueront encore à acheter sur papier, les plus jeunes générations sont déjà familiers de cette diffusion interactive et dématérialisée des médias. La mobilité a également bouleversé la donne. Jusqu'à présent, s'il était possible de lire une version numérique de son journal via internet sur son ordinateur, il fallait être devant son ordinateur. Désormais, l'accès en ligne aux journaux sur les nouveaux téléphones, les "smartphones" rend beaucoup moins nécessaire l'achat de ceux-ci en support papier. Le lancement ces dernières années de tablettes tactiles, connectées en Wifi et 3G, est en train de porter le coup de grâce. Le coût encore élevé de celles-ci et la force de l'habitude permettront aux éditions papiers de survivre encore quelques années. Mais la mutation est en marche.
France-Soir n'est donc pas mort. Il entame simplement sa mutation vers le tout numérique, pour peut être retrouver une seconde vie. D'autres titres suivront lentement c'est inexorable. Tout simplement parce que les lecteurs se détournent progressivement du papier pour adopter ces nouveaux moyens technologiques de diffusion de l'information. Mais pas de panique, ce n'est pas la presse qui meurt, mais un changement du support de diffusion de celle-ci. Nous vivons donc une période de transition ou coexiste papier et numérique. Rappelons nous qu'avec l'invention de l'imprimerie par Gutenberg au XVeme siècle, celui-ci a causé beaucoup de tort aux moines copistes qui protestèrent. Fallait-il pour autant refuser ce progrès qui avait à l'époque bouleversé le monde ? Les syndicalistes CGT sont simplement nos nouveaux moines copistes.
En espérant que ces titres une fois exclusivement sur la toile n'utiliseront pas abusivement la commande magique du "copier-coller". Espérons aussi, dans un environnement qui s'annonce compétitif et privilégiant l'instantané, qu'ils auront encore les moyens de dépêcher des journalistes sur le terrain pour vérifier la véracité de l'information, plutôt que de se copier les uns les autres.
L'ère de la presse numérique prend en tout cas aujourd'hui un tournant décisif.
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