En 1990, l'avocat américain Mike Godwin énonce une loi qui portera son nom, la loi de Godwin. Celle-ci stipule que lors d'une discussion en ligne, plus celle-ci se prolonge, plus la probabilité pour que l'un des intervenants fasse une comparaison en rapport à la seconde guerre mondiale (Les nazis, Hitler, les camps de concentrations...) se rapproche de 1. Vérifier la loi de Godwin revient donc, à franchir un point, dit le point Godwin. A l'origine énoncé à propos des discussions en ligne observées sur internet, cette loi peut se généraliser pour l'ensemble des discussions, notamment du débat public et politique.
Les commentateurs peuvent ainsi chercher, à chaque fois que le point de Godwin est franchi dans le débat public, à attribuer un point à l'interlocuteur qui la vérifie. Un point négatif. Il est en effet considéré qu'invoquer ces références particulièrement odieuses de la seconde guerre mondiale revient à brandir l'ultime repoussoir possible pour discréditer son interlocuteur. Et c'est plutôt la preuve que celui qui l'a lancée est à court d'arguments, et qu'il préfère donc invoquer ces références totalement extrêmes. Mais atteindre ce point Godwin a aussi généralement comme caractéristique de tout simplement clore le débat.
Avant la seconde guerre mondiale, d'autres points Godwin existaient, sans être énoncés sous cette forme bien évidemment. Ils matérialisaient les détestations de l'époque, avec la même utilisation dans le débat, ou plutôt le non-débat. Dans le monde chrétien par exemple, les figures de Judas ou de Ponce-Pilate tenaient bonne place. Des figures sanguinaires tels Gengis Khan ou Ivan le Terrible ont également figuré dans l'imaginaire collectif comme incarnation de la monstruosité. Aux Etats Unis, dans le sud ségrégationniste, c'est la figure du président républicain abolitionniste Abraham Lincoln qui fut l'objet de toutes les détestations.
Mais revenons au point Godwin tel qu'il est utilisé de nos jours, c'est à dire en référence aux monstruosité de la seconde guerre mondiale. On se rend compte qu'en France, les hommes politiques le dépassent allègrement. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent, tant cette période a marqué notre mémoire collective. Avec également des références, spécifiques à notre pays, sur le régime collaborateur de Vichy.
Le président Nicolas Sarkozy et ministre Brice Hortefeux expulsent les Roms à l'été 2010. Le député Jean-Pierre Grand évoque les "rafles pendant la guerre". Pour l'ex-premier ministre Michel Rocard, c'est le retour de "Vichy et des Nazis". Le ministre Eric Besson lance le débat sur l'identité nationale. Encore "Vichy" pour ces adversaires PS, le traitant même de "Marcel Déat" (chef de file des collaborateurs de gauche en rupture avec la SFIO). A l'opposé pour le député Christian Estrosi, le débat sur l'identité nationale aurait évité l'arrivée au pouvoir d'Hitler dans les années 30 s'il avait eu lieu. Rien que ça. Chahutée par ses adversaires à l'assemblée nationale, la ministre Christine Albanel défend HADOPI en déclarant que ce n'est pas la "Gestapo" que l'on restaure. Ou encore Bernard Kouchner qui compara le génocide du Rwanda aux génocides perpétrés par les nazis. La liste est sans fin, tant l'imagination des politiques limitée. Ainsi, à gauche comme à droite, les points Godwin s'accumulent.
Tout récemment encore, la crise de l'euro et la vague montante d'anti-germanisme ont généré quelques points supplémentaires de Godwin. Entre Arnaud Montebourg et sa comparaison d'Angela Merkel à Bismarck (nous sommes avant la seconde guerre mondiale, mais le mécanisme est bien le même), ou bien Julien Dray, rappelant, à l'occasion du discours du président à Toulon, que le contrôle des politiques budgétaires au niveau européen ressemblait à l'abdication de la marine française dans la rade de cette ville en 1940, ou encore Jean-Marie Le Guen comparant Nicolas Sarkozy à Edouard Daladier à Munich en 1938.
On ne peut que regretter cette inflation sans fin de références à cette triste période dans les débats entre les politiques. Celles-ci sont généralement sorties par des historiens très amateurs, et n'ont aucune pertinence. Loin de nourrir le débat, elles ne servent qu'à le clore à base d'insultes et d'énormités.
Mais c'est aussi et surtout le symptôme que notre société n'est toujours pas sortie de cette période d'après guerre, puisque nous nous referons aux horreurs de celles ci constamment. Loin d'être le devoir de mémoire qu'il convient d'entretenir, c'est plutôt une utilisation abusive de la mémoire de ceux qui ont souffert et ceux qui en sont mort. Et n'oublions pas qu'à force de crier au loup, nous ne le verrons peut être pas arriver.
La critique est souhaitable et indispensable. Mais la caricature et l'insulte sur ce qui fut l'un des plus grands drames de notre temps, ne nous élève pas. Au contraire.
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