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lundi 30 avril 2012

Le 7 mai 2012

La campagne électorale vit ces derniers jours. "Enfin !", aimerait-on dire. Il faut dire que le niveau, loin de s'élever, touche plutôt le fond. Les affaires refont surface. Entre les multiples coucheries de DSK et les soupçons de financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, nous ne sommes pas vraiment au plus près des débats, pourtant cruciaux, qui doivent engager l'avenir de notre pays. A gauche, l'anti-sarkozysme fonctionne toujours à plein, et des points Godwin sont même atteints en accusant le président sortant de "néo-pétainisme" pour sa drague, certes lourdingue, des électeurs de premier tour de Marine Le Pen. Les courbes de sondages sont elles invariablement stables, en moyenne à 54 % - 46 %. Les jeux sont pliés, les votes se sont cristallisés depuis déjà bien longtemps, et François Hollande sera élu dimanche prochain président de la république. Le 6 mai 2012 n'a donc plus guère d'importance. Le 7 mai 2012 est en revanche beaucoup plus intéressant.

Le 7 mai 2012, et dans les jours qui suivront, nous sortirons de l'amnésie dans laquelle la campagne électorale nous avait plongée pour revenir à la dure réalité. Première conséquence, les cours de la bourse de Paris devraient plonger. La bourse avait déjà accueilli plutôt fraîchement les résultats du premier tour, perdant près de 3 %. Néanmoins, l'indice CAC 40 a déjà anticipé la victoire du candidat socialiste depuis la mi-mars avec une chute continue de plus de 300 points. 

Deuxième conséquence, le discours du Bourget de François Hollande en Janvier dernier. Dans son discours de candidature, le député de Corrèze affirmait n'avoir qu'un seul ennemi, le monde de la finance. A partir de lundi, le nouveau président élu risque de subir un sévère retour de bâton. Car ces marchés financiers, à qui il a déclaré la guerre en bon Don Quichotte, vont se rappeler à son bon souvenir et les taux d'intérêt de la France pour ses obligations à 10 ans seront très certainement attaqués. Tombés actuellement à moins de 3%, le taux risque de connaître une flambée significative dans les jours et semaines qui viennent. En cause, non pas seulement la déclaration bravache du socialiste, mais aussi, et c'est plus grave, son programme.

Le pacte budgétaire européen, adopté en fin d'année dernière par l'ensemble des pays européens (Hormis la Grande Bretagne), a fait son chemin et ses recettes commencent à s'appliquer un peu partout en Europe. En Italie, le président du conseil Mario Monti a axé son action réformatrice vers une plus grande rigueur budgétaire, avec notamment des hausses de TVA pour volet recette, et une reforme des retraites avec un allongement de cotisations pour réduire les dépenses. Pour relancer la croissance, Monti mise sur la libéralisation de secteurs protégés, en mettant en oeuvre les recommandations de la commission Attali dont il faisait parti à l'époque. Ironie du sort, l'Italie met donc en place, dans la douleur, les mesures les plus controversées de cette commission française, dont Nicolas Sarkozy n'a lui-même pas repris toutes les préconisations. L'Espagne souffre terriblement. Elle pointe à 8% de déficit en ce début d'année et rentre en récession. Le gouvernement de Mariano Rajoy a donc décidé de larges coupes dans les dépenses, et les puissants gouvernements régionaux sont invités à faire de même. Les fonctionnaires partant à la retraite ne sont pas remplacés dans la plupart des secteurs et les salaires de ceux qui restent sont gelés. La fameuse règle d'or a été adoptée. Côté recette, tout le monde met la main à la poche, avec une hausse des impôts sur le revenu et des impôts fonciers. En Grande Bretagne, le gouvernement de David Cameron a mis en place, depuis son arrivé, des coupes drastiques dans son budget, pour tenter d'enrayer un déficit vertigineux. L'Angleterre de la puissante finance souffre et s'est donc lancée donc dans une cure d'austérité particulièrement sévère : baisse des frais de fonctionnement de l'administration, gel des recrutements dans la fonction publique. Et pour le volet recette, des hausses des impôts ont été décidées, ainsi qu'une hausse de la TVA. C'est le triomphe de la rigueur partout en Europe, et du chantre de celle-ci, l'économiste David Ricardo. 

Certains économistes et politiques critiquent évidemment ces politiques d'austérité mis en place en Europe. Car l'austérité, on le sait depuis la crise des années 30, tue la croissance. D'ailleurs, la meilleure preuve de l'inefficacité de ces politiques n'est-elle pas que l'Espagne et La Grande Bretagne viennent d'entrer en récession ? Certes, mais la mise en place de reformes structurelles met du temps à porter ses fruits. A titre exemple, les politiques de rigueur initiées par Gehrard Schroeder aux débuts des années 2000 en Allemagne ont mis plus de 5 ans avant de commencer à porter ses fruits. Si la rigueur peut tuer la croissance à court terme, la dette tue la croissance tout court. Avons nous déjà oublié la Grèce ? Préférons nous aujourd'hui être l'Allemagne ou la Grèce ?

Hausse des impôt sur le revenu, hausse de la TVA, gel du remplacement des fonctionnaires, réformes des retraites, règle d'or budgétaire, coupes dans les budgets de fonctionnement, libéralisation de certains secteurs protégés... Ce sont les mesures mis en place partout en Europe par les nouveaux gouvernements en place. Et, quand on regarde le programme de François Hollande, rien de tout cela : Hausse d'impôt uniquement pour les plus fortunés, pas de hausse de la TVA, création de nouveaux postes dans la fonction publique, remise en cause de la reforme des retraites, refus de règle d'or, pas de coupes claires dans les budgets de l'Etat, pas de libéralisation... La France se prépare donc à aller à rebours de tous ces partenaires européens. Pas étonnant donc que tous les acteurs financiers s'y préparent eux aussi et nous le fassent payer cher à partir de la semaine prochaine.

Le candidat socialiste, lui, a préféré privilégier dans son programme le problème de la croissance plutôt que celui de la rigueur budgétaire. La croissance en Europe est clairement en panne. La question est donc plus que légitime, elle est cruciale. Le programme de François Hollande prévoit donc des soutiens à la consommation (embauche dans la fonction publique, subventions...) dont on se demande comment il pourra sérieusement les financer. On ressuscite faussement Keynes en lui faisant porter le chapeau d'un soutien de la demande par la consommation, alors que lui même prônait l'investissement et les grands travaux. Le candidat socialiste se croit pourtant soutenu lorsque le président de la BCE (Banque Centrale Européenne), Mario Draghi a prononcé le mot "croissance", et par la rumeur du lancement par la BCE et de la BEI (Banque Européenne d'Investissement) d'un plan Marshall pour la croissance. Il a tort. La BCE ne dévaluera pas, les Etats Européens ne reviendront pas sur le pacte budgétaire européen, et la BEI ne prêtera pas pour finir les fins de mois d'un Etat français qui ne se restructure pas.

L'initiative conjointe de la BCE et de la BEI, si elle devait se confirmer, pour un plan Marshall de 200 milliards de financement de grands travaux et d'investissements d'avenir (Energies renouvelables, Haute Technologie, Infrastructures...) s'inscrit largement dans une initiative de relance Keynésienne. Mais réelle celle-là, par les investissements et non par la consommation à la François Hollande. On peut néanmoins être très mesuré par le lancement de cette mesure. C'était d'ailleurs la réaction des bourses Européennes après l'annonce. Aucune euphorie. Car le financement reste encore à définir dans une zone euro rongée par la dette. Et le risque est fort de financer  en pure perte de grands consortiums bureaucratiques de recherches et ou de grosses entreprises déjà puissantes, plutôt que des petites PME innovantes. Comme souvent, les institutions pensent avoir l'initiative de définir ce que sera l'économie de demain, et néglige Schumpeter et son petit entrepreneur qui sont pourtant en train de sortir les Etats Unis du marasme économique. 

Dernier risque pour toute la zone euro dans les semaines et mois qui viennent : un défaut. Oui, un défaut global de toute la zone euro, voir même de certains pays européen hors zone euro. Ce serait un séisme pour l'économie mondiale, mais c'est un scénario que les observateurs n'excluent plus du tout. l'Espagne, l'Italie, le Portugal, La France et demain peut être les Pays Bas, l'Autriche... L'endettement atteint des niveaux de plus en plus vertigineux partout en Europe, et les bons élèves se font rares (Qui a part l'Allemagne ?). Dès lors, il n'est pas impossible que ces Etats fassent un défaut partiel sur leurs créances de l'ordre de 25 % à 30 % de leurs dettes. Prenons le cas de la France. Sa dette est détenue pour 1/3 par les ménages et établissements bancaires français et 2/3 par des fonds d'investissement étrangers (Asiatiques, Moyen Orientaux...). Cela signifie que ces ménages et fonds d'investissement vont devoir s'asseoir sur une partie de l'épargne qu'ils avaient investi pour leurs retraites ou futurs achats immobiliers. Des conséquences que l'on à peine à imaginer, mais basées sur des scénarios de plus en plus probables. 

Il va s'en passer des choses à partir du 7 mai 2012...

jeudi 26 avril 2012

Keynes, Ricardo, Schumpeter... face à la crise

Faut-il mieux réglementer les marchés financiers ? Et pourquoi pas les taxer ? Doit-on séparer les activités bancaires entre des banques de dépôts et des banques d'affaires ? Quel rôle doit jouer la banque centrale ? Son rôle doit-il devenir celui de prêteur de dernier ressort ? Et celle-ci doit elle être indépendante ? Doit elle émettre une monnaie forte ou faible ? Pourquoi les défaillances de la zone euro ? Faut-il sortir de cette zone monétaire ? Ou aller vers davantage de fédéralisme par une convergence budgétaire, sociale et fiscale ? Quels plans de relance pour quelle efficacité ?  Et quid des plans de rigueur et de leur pertinence en temps de crise ? Va-t-on irrémédiablement vers une augmentation des impôts ? ...

Depuis maintenant plus de 4 ans et le début de la crise, se posent d'innombrables questions sur les politiques économiques à mener pour en sortir. Loin d'avoir trancher tous ces débats, les gouvernements et institutions internationales ont néanmoins pris certaines décisions, en fonction d'analyses macroéconomiques, mais aussi souvent en fonction de considérations politiques, électoralistes et donc court-termiste. Ce qui a parfois conduit dans l'impasse. Pourtant, la théorie économique, bien que riche en controverses, nous apporte des réponses. Examinons donc ces questions en s'appuyant sur la pensée de quelques uns des grands penseurs de l"économie.

Retour à l'été 2007. Crise des subprimes, ces crédits hypothécaires américains sur les achats immobiliers, accordés avec trop de largesse par les banques à des ménages peu solvables, mais cautionnés par les institutions publiques de refinancement Fannie Mae et Freddie Mac. Par le mécanisme de "titrisation", ces crédits pourris se sont répandus dans la sphère financière mondiale. Une hausse maladroite des taux américains, suivi de la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008, et c'est la catastrophe. A tort et à raison, les coupables sont trouvés : les banques irresponsables et les marchés financiers devenus fous. Dans ce contexte, ces institutions doivent être mises au pas. Pour cela, on fait appel à Keynes bien évidemment. Économiste le plus connu du XX ème siècle, l'anglais John Maynard Keynes s'est fait connaître par sa Théorie générale de la monnaie et les plans de relance qui portent son nom. Sur les marchés financiers, l'économiste de Cambridge avait émis un certain nombre de recommandations. Réglementation des marchés bien évidemment, mais aussi séparation stricte, au niveau des banques, entre les activités de détail et celles de marchés.

Un autre économiste, tombé aux oubliettes, fait également un retour remarqué dans les discours et les analyses : Marx. Le théoricien du communisme avait en effet prédit l'effondrement du capitalisme dans son oeuvre majeure Le Capital. Karl Marx y avait ainsi décrit le mécanisme de baisse tendancielle des profits. A l'origine, il aurait eu une sur-accumulation de capital, par euphorie et mimétisme des investisseurs. D'où une baisse tendancielle du fameux taux de profit. Pour maintenir leurs marges, les capitalistes vont agir en compressant les salaires. Ce qui engendre une sous-consommation, et donc la crise. Sauf que l'explication ne tient pas vraiment. Le choc de 2008 ne vient pas d'une sous consommation des ménages, mais clairement de produits financiers toxiques, basés plus ou moins sciemment sur des créances non solvables.

La crise des milieux financiers américains s'internationalise rapidement, et se répand comme une tâche d'huile dans l'économie dite "réelle" à partir de fin 2008. Le crédit se fait plus difficile pour les entreprises et les ménages. Les faillites d'entreprises augmentent, de même que le chômage. Comment faire pour éteindre l'incendie ? En appelant là encore Keynes à la rescousse. La relance keynésienne se base principalement sur une variable : le taux d’intérêt. Keynes l'a démontré, une hausse des taux d'intérêt rend l'argent plus cher à emprunter sur les marchés monétaires, alors qu'une baisse diminue le coût de l'argent auprès des institutions émettrices de monnaie. C'est le premier volet de la relance Keynésienne : la relance monétaire. Le deuxième volet consiste à accroître les dépenses publiques des États, de façon à stimuler les investissements et financer des grands travaux. A court terme, le déficit budgétaire se creuse, mais à long terme, l'économie est censé tirer bénéfice de ces investissements : c'est la relance budgétaire.

Début 2009, Barack Obama a ainsi largement recours aux recettes de l'ancien maître de Cambridge. Relance budgétaire d'abord, avec un plan de plusieurs centaines de milliards de dollars, creusant considérablement le déficit, déjà colossal, des États Unis. Relance monétaire ensuite, par le biais de la FED, la banque centrale américaine, qui fait marcher à plein régime la planche à billets avec la baisse des taux d'intérêts, alors proches de zéro. En Europe, les plans de relance Keynésien se multiplient dans tous les pays, creusant là encore sensiblement les niveaux d'endettement des États, bien au delà des limites autorisées par les critères de Maastricht. Incontestablement, l'année 2009 est celle de Keynes, célébré et encensé par les commentateurs politiques et économiques.

Pourtant, un bastion fait de la résistance : la BCE, Banque Centrale Européenne. Dirigée alors par Jean-Claude Trichet, elle rechigne à émettre massivement des euros en faisant baisser ces taux d'intérêts directeurs (les taux auxquels se refinancement les banques). Car la BCE, de part ses prérogatives, se doit avant tout de lutter contre l'inflation, et de maintenir une monnaie forte, chère aux allemands. Du point de vue de la théorie économique, on se trouve clairement dans un bastion "Monétariste", du nom de la doctrine de l'Ecole de Chicago, et de son chef de file, le libéral Milton Friedman. Celui-ci démontra en effet que l'origine de l'inflation est purement monétaire, et que seule une banque centrale et indépendante pouvait lutter contre ce phénomène en maîtrisant ses taux d'intérêt. C'est donc paradoxalement la Banque Centrale Européenne qui est la  bonne élève de l'économiste américain, pendant que la FED viole allègrement les fondements de la doctrine monétariste, pourtant en vigueur depuis les années 1980.

Cependant, si Keynes triomphe, c'est un peu malgré lui. Keynes était partisan de l’interventionnisme de l'Etat, notamment pour stimuler l'investissement et corriger les inégalités. Mais Keynes restait avant tout un libéral, faisant confiance au marché. Or certains gouvernement ont cru avoir le feu vert de l'économiste anglais pour faire marcher à fond la machine administrative et stimuler la consommation des ménages. La mise en oeuvre de ces plans s'est en réalité révélée coûteuse, et surtout peu efficace. D'un côté ou de l'autre de l'atlantique, les indicateurs (croissance, chômage...) sont toujours à la peine.

Mais au delà des manoeuvres étatiques, il existe en économie un personnage central, largement ignoré en ce début de crise : l'entrepreneur. C'est l'économiste classique français du XIX ème Jean Baptiste Say qui, le premier met en lumière son rôle moteur dans l'économie capitaliste. Mais c'est un économiste de l'école autrichienne du début du XIX ème siècle qui en sera le plus fervent avocat : Joseph Schumpeter. Celui-ci a une vision ouvertement libérale de l'économie. Celle-ci réagit, selon lui, par cycle, avec comme moteur l'innovation, et comme héros à la manœuvre, l'entrepreneur. Concernant le mythe du progrès destructeur d'emploi et engendrant des crises, Schumpeter répond par le concept de "destruction créatrice". La crise fait un tri dans les industries et les idées : certaines sont condamnées à disparaître, quand d'autres émergent. Des emplois sont détruits et d'autres sont créés, à plus forte valeur ajoutée. L'économiste autrichien ressuscite au passage les travaux de l'économiste russe Kondratiev, qui mettait en évidence l'existence de cycles successifs longs (environ 30 ans) dans le capitalisme. Le russe sera fusillé par Staline pour avoir émis l'idée très peu marxiste d'un capitalisme capable de se renouveler sans cesse. Mais Schumpeter mettra cette idée au coeur de sa réflexion. Inutile de dire que l'économiste autrichien a connu un engouement certain ces dernières années, notamment dans la Sillicon Valley américaine, où les géants Apple et Google répondent à la crise par une soif d'innovation, et la naissance de l'économie numérique.

Mais l'innovation repose sur des cycles longs, et les effets sur la reprise économique ne sont pas encore très visibles. En 2011, la croissance européenne et américaine est toujours proche de zéro, et les effets de la crise sont particulièrement violents sur le chômage. Ce qui met également en lumière l'échec des faux plans Keynésien mis en oeuvre en 2008-2009. Sauf que cette relance a laissé une dette colossale. Panne de croissance, endettement vertigineux, c'est la crise des dettes souveraines qui prend le relais. Les taux grimpent de façon inconsidérée, et c'est toute l’Europe du sud qui est dans le rouge, la Grèce en tête. C'est alors que le discours politique commence à changer. David Cameron est élu en Angleterre sur un programme de rigueur particulièrement sévère. Les gouvernements italiens et espagnoles changent, pour mettre en place, là encore, des politiques de baisse des dépenses publiques, hausse des impôts et objectif de retour à l'équilibre. En France aussi le ton change, même si c'est surtout dans le discours, notamment celui de François Fillon, le premier ministre. Ce revirement donne raison à la chancelière allemande, Angela Merkel, à la tête d'un pays en cure d'austérité depuis bientôt 10 ans. Et côté théorie économique, un économiste anglais est, là encore, appelé à la rescousse : David Ricardo. Économiste de l'école classique du début XIX ème, cet ancien agent de change se fera connaître pour ces théories sur les avantages comparatifs et la nécessité de promouvoir le libre échange pour une efficacité optimale de l'économie. Il met aussi en garde contre les politiques économiques basées sur le recours excessif à l'emprunt et à l'impôt. En effet, l'économiste met en évidence le risque d'une accumulation sans fin de la dette publique jusqu'à la faillite de l'état. Au coeur de sa démonstration, le principe des "équivalences ricardienne" : L'impôt et l'endettement sont un prélèvement sur les revenus privés et donc la demande privée. Mais bien souvent, la dépense publique qui s'y substitue est moins efficace. Dès lors, les ménages anticipent les inéluctables hausses d'impôts à venir pour rembourser les emprunts, et épargnent donc davantage, faisant encore baisser la demande privée.

La crise de la dette souveraine de 2011-2012, nous l'avons vu, c'est aussi une crise plus générale de la construction européenne, et notamment de la monnaie unique : l'euro. Se pose l'interrogation du rôle de la Banque Centrale Européenne (BCE), et de son rôle éventuel de prêteur de dernier ressort. Mais l'interrogation principale sur l'euro revient à s'interroger sur la définition de ce qu'est une zone monétaire optimale. C'est tout le sens des travaux récents de l'économiste canadien Robert Mundell. Celui-ci définit quatre critères : mobilité des travailleurs pour chercher du travail, liberté de mouvement du capital, économie diversifiée, système fiscal capable de transférer de l'argent. Au regard de ces critères, il parait évident que la plupart d'entre eux ne sont pas remplis, du moins pas complètement. L'euro s'est fait sans chercher une homogénéité de l'économie européenne. Dès lors, une des planches de salut si on veut sauver l'euro sera la convergence européenne en allant vers plus de fédéralisme. Difficile à mettre en oeuvre...

vendredi 13 janvier 2012

Kodak, Blackberry... la chute des pionniers

C'est l'histoire de la chute de pionniers de l'industrie dans leurs secteurs respectifs, que ce soit la photographie ou la téléphonie mobile. En effet, deux groupes nord-américains sont actuellement en proie à de sérieuses difficultés sur leur marché. Avec leur avenir en question.

Ainsi, le géant américain de la photographie, Kodak, traverse une crise sans précédent dans son histoire. Largement distancé par ces concurrents asiatiques (Nikon, Sony, Canon Fujifilm...), en crise de liquidité face à des pertes qui s'accumule depuis 2005, Eastman Kodak envisage de se mettre en faillite, ce qui correspond aux Etats-Unis à se mettre sous la protection du chapitre 11. Se placer sous la protection de la loi ne signifierait pas nécessairement la disparition de la firme de Rochester. D'autres firmes y ont eu recours auparavant : la compagnie aérienne United Airlines, le groupe de télécoms Wordcom, le courtier Enron ou encore l'équipementier automobile Delphi. Mais ce serait néanmoins un coup très rude porté à l'entreprise. Seule alternative, la vente du précieux portefeuille de brevets et d'invention de l'entreprise qui pourrait trouver des acquéreurs. Mais, ceux-ci ont plutôt intérêt à temporiser pour attendre que les prix baissent. Le temps joue contre Kodak. Le groupe espérerait en tirer 500 millions de dollars. Mais doit absolument trouver 1 milliard de dollars pour espérer financer le fonctionnement de l'entreprise pendant son hypothétique protection sous le chapitre 11. Cette situation financière catastrophique impacte bien évidemment le cours de l'action de la firme. A la fin des années 1990, l'action était valorisé à 90 dollars. L'année dernière, elle atteignait encore les 5 dollars. Elle a désormais chuté à moins de 50 cents, et est menacé de suspension de cotation par la bourse de New York.

C'est néanmoins un énorme gâchis pour la firme basé à Rochester. Fondée en 1884 par Georges Eastman,  elle est l'une des pionnières de la photographie et marquera profondément le XXème siècle par ses nombreux brevets. C'est en effet à Eastman Kodak que l'on doit l'invention du fameux négatif, qui démocratisera l'appareil photo. On lui doit également au cours du siècle la pellicule argentique Kodachrome, ou encore l'appareil photo Instamatic, best seller des années 1960. Kodak devient alors le géant incontesté de l'argentique. Pourtant, c'est dans ses propres laboratoires  de recherche que l’entreprise creuse sa tombe. En 1975, elle est la première à mettre au point la photo numérique et dépose même le premier brevet avec le capteur CCD. Pourtant, la direction de l'entreprise ne croit pas au numérique et préfère se concentrer sur l'argentique qui lui réussit si bien. Grave erreur. Le groupe ne s'en remettra pas. 

La suite n'est qu'un lent déclin qui voit la montée en puissance de ses concurrents asiatiques (Nikon, Sony...). Ces derniers, au contraire, vont à partir des années 1990 se concentrer sur la photographie numérique que Kodak avait dédaigné. Avec la démocratisation du numérique des années 2000, c'est le pari gagnant. Kodak a perdu et ne réagit que trop tardivement en lancement ses propres produits. Le marché lui a déjà échappé. Eastman Kodak tente de reprendre la main avec le lancement de logiciels de traitement de photos ou la mise en place de bornes de développement de photos numériques. Mais le groupe est moribond et survit tout juste. L'ère Kodak est passé...

Un autre géant, canadien celui-là, est également en situation délicate. Certes, il n'est pas dans la situation catastrophique de Kodak, mais RIM (Research In Motion), fondé en 1984 par Mike Lazaridis, et célèbre pour sa gamme de téléphone intelligent (Smartphone) BlackBerry, va mal. Pionnier dans le lancement des Smartphones, notamment en Amérique du nord, BlackBerry a construit son image sur la capacité à échanger et lire des e-mails sur téléphone de façon totalement sécurisée. Et ce, dès le début des années 2000, alors que le téléphone portable commençait seulement à être disponible pour le grand public. Très vite, BlackBerry a séduit les entreprises et devient le mobile préféré des cadres. Réputé pour son infaillibilité, les plus grands de ce monde confiaient leur destin au petit appareil. Barack Obama est le plus célèbre "BlackBerry addict". Celui de Dominique Strauss Kahn resta célèbre pour avoir été oublié dans une certaine chambre d'un Sofitel à New York... Chez les ados, le Smartphone de la firme de Waterloo (Ontario) faisait également une percée significative...

Et puis voilà, RIM s'est peut être un peu reposé sur son leadership acquis sur le marché des Smartphones.   Elle n'a pas vu le vent tourner. A partir de 2007, le marché du Smartphone se démocratise. Lancé en grande pompe par la firme à la pomme, l'iphone va significativement changer la donne. Le petit bijou de Steve Jobs rencontre un succès foudroyant aux quatre coins de la planète. S’enchaînent les sorties, toujours très attendues, des versions suivantes : iphone 2, iphone 3, iphone 4, iphone 4S, bientôt iphone 5... Apple met surtout sur la table de nouveaux enjeux sur le marché des Smartphones : le design et l'ergonomie deviennent ainsi prépondérant, les fonctionnalités (téléphone, messagerie, mail...) allant de soi. Le tactile devient un passage obligé. Enfin, la possibilité de télécharger des applications via itunes pour gérer ses activités quotidiennes (lecture, jeu, utilitaire...) devient là encore un modèle de consommation nouveau et de plus en plus incontournable. Les constructeurs asiatiques (Samsung, HTC, LG...) emboîtent le pas et fabriquent des Smartphones plus soignés et ergonomiques. Ils s'associent alors à Google pour utiliser l'OS Android de la firme de Mountain View. Google va également mettre au point un Android market pour télécharger des applications, sur le même modèle que l'itunes d'Apple. Et c'est le pari gagnant.

Pendant ce temps là, BlackBerry est plus conservateur, et ne fait aucun effort spécifique pour revoir le design de ses appareils et la facilité d'utilisation. La technologie tactile reste l'exception sur les BlackBerry, alors qu'il devient la norme chez les concurrents. L'OS n'est pas le plus performant et n'a que peu évolué par rapport à l'OS Android, particulièrement réactif et de philosophie open source. La firme de Waterloo se met aussi aux applications, mais timidement, et son catalogue est extrêmement modeste par rapport à celui d'Apple ou d'Android. Et c'est l’hémorragie. Les nouveaux consommateurs et les jeunes veulent un iphone ou un Samsung. Même les cadres, coeur de cible de la firme depuis toujours, désertent pour des iphones eux aussi. Question image, les entreprises préfèrent s'associer à la dynamique firme à la pomme. 

Dans la foulée, 2011 est une annus horribilis pour BlackBerry. Les ventes baissent, alors même que le marché mondial à conquérir ne cesse de croître. A l'automne 2011, la firme connait une panne de serveur spendant trois jours. Les mails ne passent plus. L'image de marque de BlackBerry en prend un coup. Le PDG doit s'excuser et c'est le modèle, spécifique à RIM, de serveur sécurisé qui est en question. Dans la foulée, La firme annonce un an de retard sur le développement de son prochain OS. Et la commercialisation de la tablette tactile Playbook est également un échec. Elle est finalement bradée. 

BlackBerry, contrairement à Kodak, a encore de la liquidité et son avenir n'est pas aussi sombre. Mais elle a malgré tout annoncé le licenciement de 2000 personnes. Mais ce qui la rapproche de Kodak, c'est qu'elle a perdu la main dans un secteur qu'elle avait pourtant sous son contrôle il y a peu. Elle est désormais condamnée à suivre et survivre, avec l'illusion de rattraper son retard ou de guetter la faute de ses concurrents. Mais n'est ce pas déjà trop tard ? L'innovation n'attend pas. Etre un leader confortablement installé ne suffit pas et la démocratisation des produits sur le marché est un défi sans cesse à renouveler. C'est la dynamique du capitalisme telle que la décrivait l'économiste autrichien Joseph Schumpeter.