Quand une idée fait consensus entre gauche et droite, attention méfiance. Un exemple ? Le projet d'instauration de la taxe Tobin, appelée aussi taxe sur les transactions financières ou taxe Robin des bois.
Le président Sarkozy affirme vouloir la mettre en place au plus vite, même s'il est tout seul en Europe, même dans la précipitation, même à une poignée de jours de l'élection présidentielle. Et si finalement il renonce, c'est son challenger socialiste, François Hollande, qui s'y collera. C'est ce qu'il a confirmé dans son discours du Bourget le mois dernier. Non vraiment, plus moyen d'y échapper.
Cette taxe fut imaginée en 1972 par un économiste américain, le keynésien James Tobin. Il en gardera une notoriété mondiale, alors qu'on lui doit des travaux de plus grande importance, notamment sur le calcul économétrique, et surtout la théorie dite du "Q de Tobin", prenant d'ailleurs comme hypothèse de départ l'existence de marché financier en concurrence pure et parfaite. Paradoxale pour un keynésien...
Quelle est son idée de taxe? Il faut pour cela se replacer dans le contexte des années 70, marquées par une forte volatilité sur les taux de change entre les devises, accentuée en cela fortement par les politiques de dévaluations compétitives qui sont alors monnaie courante. L'économiste américain émet donc l'idée d'instaurer une taxe, à faible taux (entre 0,05% et 0,2%), sur les transactions sur les devises, de façon à limiter la volatilité sur les taux de change. L'utilisation de la recette de cette taxe n'est pas, pour lui, le point primordial. Il suggère qu'elle pourrait alimenter l'aide au développement.
L'idée va mûrir au fil du temps, pour finalement se transformer radicalement. Depuis 1998, ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l'Action Citoyenne) soutient la proposition, et souhaite l'étendre à l'ensemble des transactions financières, et non plus seulement aux transactions sur les devises, pour lutter contre la spéculation. Quant à la recette de cette taxe, elle ira bien à l'aide au développement. C'est même devenu un des arguments d'ATTAC. Si on instaurait cette taxe, c'est tout juste si on ne pourrait pas presque éradiquer la pauvreté dans le monde... ça laisse rêveur. D'ailleurs, l'un des premiers à protester est Jame Tobin lui même. Il conteste l'utilisation de son nom dans la définition de cette taxe ATTAC, dont les objectifs n'ont plus rien à voir avec son idée initiale. D'une proposition économique, on est passé à un chantage politique. L'utilisation de la recette était secondaire pour Tobin. Elle devient désormais le sujet principal, en plus de vouloir bien entendu combattre la finance et les spéculateurs.
Venue plutôt de la gauche, l'idée à petit à petit fait son chemin. Le président Sarkozy, qui jugeait cette idée encore saugrenue il y a quelques années, en fait désormais son cheval de bataille. La majorité parlementaire de droite le suit plutôt dans la démarche. L'idée trouve même quelques échos outre-Rhin par un oui timide d'Angela Merkel. Il faut dire que la crise est passée par là, et notamment la crise financière de 2008. Les institutions financières et les banques sont les boucs émissaires évidents de cette crise, et il y a une envie de nombreux dirigeants politiques de "se faire" ces fauteurs de troubles de la finance. Une façon aussi de détourner l'attention de l'opinion sur leurs propres erreurs. Sur le papier, le bénéfice politique et économique est évident. Sur le plan comptable, c'est en effet de l'argent qui rentre dans les caisses de l'état, sans être comme d'habitude prélevé sur les classes moyennes. Une manne bienvenue est cette période de crise de la dette, où il faut faire les fonds de tiroirs. Et sur le plan politique, c'est aller largement dans le sens de l'opinion, de gauche comme de droite. C'est tout bénéf en somme.
Sauf qu'en examinant cette idée de plus près, ça ne tient guère la route. Et là, c'est plus gênant. D'abord, concernant la lutte contre la volatilité ou spéculation, les études montrent que l'idée ne semble pas fonctionner. On pourra citer quelques un des nombreux travaux d'économistes sur le sujet : Ronen et Weaver (2001), Bessembinder et Rath (2002), Harald Hau à la bourse de Paris, ou encore l'étude d'économie expérimentale de Hanke. Entre autres. Et tous arrivent à la même conclusion. La taxe ne freine pas la volatilité ou l'instabilité des cours. Au contraire, tous en conclut qu'elle semble même l'accentuer ! Plus grave encore est l'incidence fiscale de l'instauration de cette mesure. Les études sur le sujet ne sont pas nombreuses (On peut citer celles de McCulloch et Pacillo) mais ne sont pas vraiment rassurante. Ce qui s'en dégage, c'est que, comme souvent avec les taxes, ce n'est pas ceux qui devaient initialement la payer qui paieront. En effet, pour conserver leurs marges, les institutions financières répercuteront la taxe dans leurs prix auprès de leurs clients en rendant le crédit plus cher, et donc l'investissement plus difficile. L'Etat, gros émetteurs d'obligations, va donc par ce stratagème se taxer lui même en payant plus chers ses créances. Le contraire de l'effet attendu ! Sans compter bien évidemment les risques de fuites massives de capitaux vers des places financières n'ayant pas mis au point un tel dispositif. D'ailleurs, la presse financière, ces dernières semaines, ne manquait pas de rappeler qu'une telle mesure pouvait avoir pour l'économie un impact sur le PIB bien plus négatif que ce que rapporterait pareil taxe. Et qui plus est si la France fait cavalier seul.
Sans surprise, les politiques sont plutôt pour (Sarkozy et timidement Merkel et Rajoy). Les économistes en revanche sont plutôt septiques hormis Joseph Stiglitz. Ainsi pour une fois, les libéraux (Milton Friedman et des disciples de Chicago ont toujours été contre) et les Keynésiens (Paul Krugman, Robert Mundell, James Tobin !) font cause commune et dénoncent cette tentative irréaliste et vaine. Elle instaurait du protectionisme en ayant l'illusion de lutter contre la spéculation.
Mais pour trancher le débat, le mieux reste encore de se référer à un exemple concret de la mise en place de pareil mesure. Car la Suède, de 1984 à 1990 avait instauré une taxe Tobin, sous deux formes. D'abord par une taxe sur les transactions financières de 0,5%, complétée ensuite par une taxe sur les revenus des valeurs mobilières (0,002%). Résultat : le volume des échanges s’effondrent de 90%. On pourrait alors en conclure que la taxe à rempli son rôle : stabiliser les échanges. Sauf que cet effondrement n'est dû qu'à une fuite des capitaux financiers. Les marchés financiers suédois sont mort-vivants. La collecte de la taxe se révèle bien évidemment très décevante (80 millions de couronnes par an contre 1500 millions espérés initialement). Et bien évidemment, les institutions répercutent la taxe sur ses clients : l'état et les ménages. La mesure est impopulaire et met en danger les finances suédoise. La Suède met fin à l'expérience en 1990. Les marchés et le pays connaissent depuis une réelle embellie.
Comme quoi, il faut se méfier des consensus...
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