Dans Le Magazine Littéraire du mois de février, un dossier est consacré aux écrivains français sous l'occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale. Le sujet avait déjà été traité sur ce blog il y a quelques semaines avec un post sur le livre de Dan Franck, Minuit. Retour sur le sujet à travers le portrait de quelques uns de ces écrivains et de leurs itinéraires dans cette période troublée.
Il a d'abord les collabos, ces "salauds" qui vont se perdre avec l'ennemi. Au premier rang de ceux-là, Robert Brasillach, le féroce rédacteur en chef du journal Je suis partout, organe le plus fameux de la collaboration. Normalien de la rue d'Ulm, brillant poète et écrivain à l'avenir prometteur, Brasillach se tourne rapidement vers le journalisme. Il passe par l'école de l'Action Française, organe de la droite nationaliste et royaliste de Charles Maurras. Il s'y consacrera à la rédaction des pages culturelles, passionné qu'il est de cinéma et de théâtre. Mais c'est le virus de la politique qui va naître. Il quitte cependant rapidement l'Action Française, après l'échec du 6 février 1934, qu'il juge trop molle. Le lettré va se laisser séduire par un fascisme dur, couplé d'un antisémitisme virulent. Il suit alors avec enthousiasme la montée du nazisme en Allemagne et la prise de pouvoir de la jeunesse aryenne. En 1937, il est propulsé à la tête de l'hebdomadaire Je suis partout. Après la défaite de la France, il fait de cet organe de presse le fer de lance de la collaboration avec l'Allemagne. Jusqu'à l'immonde. "Il faut séparer des Juifs en bloc et ne pas garder les petits." écrit-il notamment pour donner corps à son antisémitisme de raison. Ce sera le point de non retour. Il sera pourtant évincer du journal en 1943 par plus dur que lui encore, notamment Pierre-Antoine Cousteau et Lucien Rebatet. A la libération, Brasillach se cache, puis finit par se rendre aux autorités pour faire libérer sa mère. Emprisonné à Fresnes, il sera condamné à mort et exécuté, malgré la mobilisation de nombreux écrivains de tout bord. De Gaulle refuse la demande de grâce : "Il a joué, il a perdu, il doit payer".
Il y a aussi, Pierre Drieu La Rochelle qui se cherchera toute sa vie sans parvenir à démêler ses contradictions. Il finira par se perdre. Écrivain dandy et libertin avant guerre, il est l'auteur de Gilles, roman qui retrace l'itinéraire d'un fascisme, en forme d'autoportrait. Venu de la droite nationaliste et barrèsienne au début des années 20, il penchera progressivement pour le pacifisme et sera un temps tenté par le communisme. Personnage très en vue, il fréquentera aussi les surréalistes (Louis Aragon, André Breton...). Les années 30 et la montée des fascismes le fond basculer, notamment lors des évènements du 6 février 1934. Il épousera la cause fasciste et s'adonnera à l'antisémitisme, bien qu'ayant épousé en première noce une juive qui l'entretiendra jusqu'à la fin de sa vie. La victoire de l'Allemagne achève de le faire basculer. Pour lui, le nazisme concrétise son vieux rêve d’Europe fédérale. Les occupants lui confient le poste stratégique de directeur la NRF (Nouvel Revue Française), André Gide s'étant réfugié dans le sud de la France. Il donnera tous les gages aux Allemands, notamment l'ambassadeur francophile Otto Abetz ou le contact des milieux culturels Gehrard Heller. Mais la défaite approche, le rêve de Drieu s'effondre. Compromis, il met fin à ses jours. Le rêve d’Europe fédérale sera mis en oeuvre après sa mort, et l'effondrement du nazisme.
Et puis il y a celui qui va se compromettre, sans pour autant véritablement collaborer. Il s'agit de Ramon Fernandez. Disciple à la Sorbonne d'Henri Bergson dans les années, Ramon Fernandez joue les play-boy dans le quartier Latin et fréquente les cercles mondains. Politiquement, il est de gauche et adhère même au parti socialiste, la SFIO. Après le 6 février 1934, il devient même antifasciste et se rallie un temps aux communistes. Pourtant en 1936, Ramon Fernandez Bascule. Opposition au Front Populaire de Léon Blum, sympathie pour les nationalistes espagnols, et anti-communisme à la lecture du Retour d'URSS de Gide. Finalement, Fernandez se tourne en 1937 vers le PPF (Parti Populaire Français) nouvellement créé par Jacques Doriot, transfuge du parti communiste. Ici, joue à plein la fascination commune à l'époque de l'intellectuel rafiné (Ramon Fernandez) pour l'ouvrier inculte et homme fort providentiel (Jacques Doriot). Après la défaite de 1940, Fernandez suit son maître dans la collaboration. Il sera du voyage des écrivains à Weimar, comme Brasillach ou Drieu. Pourtant Ramon Ferandez n'est pas porté sur l'antisémitisme. Il partage finalement peu de valeurs communes avec les occupants allemands, et entretient de bonnes relations avec les milieux écrivains non collabos, voire résistants. Il n'hésite pas à faire l'éloge de Marcel Proust, l'écrivain qu'il admire par dessus tout, mais jugé décadent et subversif par l'occupant, car notamment juif et homosexuel. Mystérieuse trajectoire donc que celle de Ramon Fernandez. Il mourra en 1944, avant la fin de la guerre, laissant planer nombres d'interrogations sur ses motivations profondes.
Et puis il y a ceux qui résistent. Depuis Londres pour certain, comme le philosophe Raymond Aron, qui prend la tête de la revue gaulliste La France Libre. Rejoignant De Gaulle dès juin 1940, après la défaite, il apportera sa contribution intellectuelle à La France Libre, mais refusera de basculer dans le culte de la personnalité envers le général. Il en critique d'ailleurs l'héritage autoritaire et bonapartiste. Il adoptera donc un soutien critique envers lui. Position qu'il continuera d'adopter après la guerre et l'arrivée de De Gaulle au pouvoir. S'il combat de sa plume les écrivains collaborationnistes, il se veut plus mesuré sur le régime de Vichy qu'il hésite à condamner. Il rappelle que la France de 1940 était en pleine débâcle, et ne veut pas risquer de fracturer ce qu'il en reste. Position qui paraîtra à posteriori trop mesurée pour certains. Les résistants de la 25ème heure donnant parfois la leçon à ceux de la première.
Les écrivains de la résistance, c'est aussi Les éditions de Minuits, fer de lance de la littérature de la clandestine de la résistance. Lancé par Pierre de Lescure et Jean Bruller (alias Vercors), ces éditions diffuseront les plus grandes signatures entré en résistance, voire en clandestinité. Vercors publiera le célèbre Silence de la mer, ode à la résistance passive face à l'occupant. Jean Guéhenno, sous le pseudonyme Cévennes diffusera des extraits de son Journal des années noires. De nombreux écrivains publieront dans ces éditions tels Louis Aragon, Julien Benda, André Gide ou encore François Mauriac, en faisant un des catalogues les plus prestigieux de l'histoire de la littérature française.
D'autres écrivains partent en exil. C'est le cas de Georges Bernanos. Eloigné depuis le début des années 30 de la droite maurassienne, suite à son livre La Grande Peur des bien-pensants, il dénonca les exactions franquistes de la guerre civile espagnole dans Les Grands Cimetères sous la lune. Il préfère logiquement partir pour le brésil ou il passera la guerre, dénonçant la politique du Maréchal Pétain. Antoine de Saint-Exupéry, André Breton, Saint John-Perse ou encore Claude Lévi-Strauss s'installent eux à New York. Ces exilés seront largement méprisés, autant par les collaborateurs pendant la guerre que les résistants à la libération. Antoine de Saint-Exupery disparaitra à la fin de la guerre en effectuant un vol pour les alliés dans la méditerranée. Claude Lévi-Strauss ne perdra pas son temps. Au contact du milieu multiculturel New Yorkais, il sera profondément marqué par ce séjour pour ces travaux d'anthropologie. Jetant les bases de ses théories sur le structuralisme.
Il y a les parcours hésitants. Le pacifiste Jean Giono jouit d'une certaine sympathie auprès des partisans de Vichy pour son roman Colline, publié en 1929. Bien qu'ayant abrité des réfractaires du STO, il sera emprisonné quelques mois à la libération. Il y a les mondains, tels que Sacha Guitry ou Jean Cocteau, qui s'accommoderont de l'occupant en partageant avec lui spectacle et réception. Ils seront néanmoins blanchis par les comités d'épuration. Du côté de l'académie française, les membres sont plutôt maréchalistes, sauf François Mauriac et Georges Duhamel qui "sauveront" son honneur en rejoignant les rangs de la résistance et en intégrant le CNE (Conseil National des Ecrivains). Louis Ferdinand Céline côtoiera l'occupant, notamment pour son antisémitisme. Ce qui ne l'empêchera pas une critique acerbe des autorités françaises de Vichy, réfugié à Sigmaringen en 1944, dans son roman D'un Château l'Autre. Il y a aussi le cas Jean-Paul Sartre. Après une vaine tentative de constitution d'un réseau de résistance avec Simone de Beauvoir (alias le castor), il consacrera l'occupation à son oeuvre, notamment l'Etre ou le néant. Sa pièce, Les Mouches, sera jouée au théâtre devant les officiers allemands. Louis Ferdinand Céline ricane : "c'est le maquis des deux magots", en réference au café de Saint Germain des prés refuge de Sartre, avec bien sûr le café de flore. Ce dernier admettra lui-même : "Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande". Épurateur zélé, il fera oublier sa grande discrétion pendant la guerre. Un reportage de Camus sur le Paris libéré de 1944 aidera également à le faire passer à la postérité. Reste le cas André Malraux. Très discret pendant toute la durée de la guerre, il prend la tête d'un réseau de résistance à quelques mois de la libération seulement, mais y met tout son zèle. Son éloge de Jean Moulin, en tant que ministre de la culture, lors de son entrée au panthéon, le placera dans la case des grands résistants.
Reste pour finir, les aventuriers, volontairement provocateurs et anti-idéologue, n'hésitant pas à aller à l'encontre de la mémoire officielle et des mythologies héroïques de la résistance. Il s'agit de la génération des hussards, une jeune garde d'écrivains de 20 ans emmené par Roger Nimier, mais aussi Antoine Blondin. Avec les Épées et le Hussard bleu, Roger Nimier plante le décor d'une période propice à l'aventure plus qu'à l'idéologie. Le héros des Epées, François Sanders s'engage dans la résistance par désœuvrement, plus que par idéal ou patriotisme. Chargé d'infiltrer la Milice, il se comporte à la libération en milicien, et ne sait plus lui même s'il est "milicien ou un résistant camouflé en milicien". Avec des récits pleins de désinvolture et de cynisme, cette génération insolente détonne, mais veut dénoncer une morale de la résistance et de l'occupation trop manichéenne. Cette génération fera des émules bien des années plus tard avec par exemple Patrick Modiano dans La Place de L'étoile.
Voilà, il y aurait encore tant à dire. Ce que l'on néanmoins souligner au regard de ces portraits, c'est la singularité et la complexité du parcours de chacun. Des itinéraires souvent plus subtiles et ambigus qu'on ne veut bien nous les présenter. Le dossier est passionnant, je ne peux que recommander de le lire, ainsi que les ouvrages que j'ai pu citer (et que je n'ai pas forcément tous lus je l'admets). Bonnes lectures en tout cas...
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