Pour une fois, ce n'est pas un livre, mais un DVD. Réalisé par Patrick Buisson et Guillaume Laidet, Paris Céline met en scène l'acteur Lorant Deutsch sur les traces de Louis-Ferdinand Céline. Sur le modèle du livre et documentaire à succès de Lorant Deutsch, Metronome, le film nous fait découvrir et revivre les lieux de Paris, mais aussi de sa banlieue, étroitement liés à la vie et à l'oeuvre du sulfureux écrivain.
Car Louis-Ferdinand Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, sent la poudre. Le génial styliste n'en demeure pas moins un antisémite abjecte, un collabo zélé pendant l'occupation, et un misanthrope jusqu'au boutiste. Bref, un parfais salaud. Pourtant, depuis 20 ans, son oeuvre littéraire est redécouverte et largement plébisicitée, y compris par la jeune génération. Il reste celui qui a inventé un style inimitable, que l'on a coutume d'appeler la petite musique célinienne. Deuxième auteur français du XXème siècle le plus traduit dans le monde, après Marcel Proust, son style et son oeuvre ont inspiré des écrivains aussi divers que Charles Bukowski, Frédéric Dard, Patrick Modiano ou encore Michel Audiard. Ces derniers années, de nombreuses études sur la vie et la production littéraire de l'écrivain parisien ont fleuri dans les librairies. Pressenti pour faire parti des célébrations nationales de l'année 2011, Louis-Ferdinand Céline a été retiré in extremis du programme après une belle polémique. Céline reste un sulfureux. Dans Paris Céline, Lorant Deutsch fait revivre les lieux parisiens de la vie de l'écrivain, a grand renfort de documents, d'archives de l'époque et d'illustrations du dessinateur Jacques Tardi. L'occasion aussi de relire des extraits de l'oeuvre de l'écrivain, décrivant à sa manière le Paris de l'époque.
Louis-Ferdinand Destouches est né en 1894 à Courbevoie. Il le répétera inlassablement dans son oeuvre. Mais c'est dans Paris, au passage Choiseul, que le jeune Louis-Ferdinand passe son enfance. Avec Lorant Deutsch, nous partons donc sur les traces de sa maison d'enfance, dans ce fameux passage, où sa mère tenait une boutique de mode. Il ne reste évidemment plus aucune trace de Céline. Le théâtre des Bouffes-Parisiens a avalé la petite boutique ainsi que la chambre de Céline. Néanmoins, la visite du théâtre et des toits laisse deviner le passage de l'écrivain. Et puis, on peut se référer à sa description dans Mort à Crédit, l'oeuvre qui retrace son enfance dans le quartier. Le Passage, il le décrit comme une "Cloche de gaz", en référence à tous les becs de gaz qui s'allument le soir pour éclairer le passage. Et puis, c'est évidemment les odeurs et la puanteur qui dominent sa description. Ainsi que la violence de son père à son encontre, ou encore la méchanceté des voisins et des passants. Qu'il méprise évidemment. Mort à Crédit dépeint une enfance noire de Louis-Ferdinand au Passage Choiseul. Description évidemment très éloignée de la réalité, mais à l'image de son oeuvre, empreinte de mythomanie et de délire paranoiaque. La vie du jeune Louis-Ferdinand semble en réalité bien plus heureuse et aisée. Ses relations avec ses parents sont noircies, et sa grand-mère, Céline, l'emmène le jeudi au cinéma voir les premiers films de Georges Méliès. De cette grand-mère aimante, il en gardera son patronyme d'écrivain, Céline.
Bien des années plus tard, après avoir servi dans le 12 ème régiment de cuirassiers pendant la guerre 14-18, puis suivi une formation de médecine à Rennes, voyagé aux Etats Unis et en Afrique, le docteur Destouches revient en région parisienne et ouvre un cabinet médical à Clichy-la-Garenne. Il y travaillera ensuite dans un dispensaire, où il y côtoiera toute la misère humaine. Car Clichy-la Garenne, Céline va la croquer dans Le Voyage au bout de la Nuit. Dans cette oeuvre, c'est La Garenne-Rancy. Banlieue prolo, il y voit les bas-fonds, les cas médicaux les plus graves : les tuberculoses, les syphilis, les ivrognes, les ouvriers qui crachent de leurs poumons toute cette poussière d'usine. Et, même si Céline, comme à son habitude, en rajoute des tonnes, ce n'était pas rose tous les jours. Étrangement magnanime, il éprouve malgré tout de la compassion pour les malades, et souvent ne les fait pas payer. Même chez le plus misanthrope des hommes, peut se cacher une part d'humanité. Il y a aussi une autre explication. Le docteur Destouches aime les gens malades, car quand ils sont malades, ils ne font pas ch... Avec Lorant Deutsch, c'est l'occasion de revenir dans ce quartier de Clichy, tout de brique rouge, pour voir le cabinet médical du docteur Destouches, ainsi que le dispensaire, qui existe toujours.
Mais bientôt, Céline déménage à Paris, rue Lepic, dans le quartier de Montmartre. Il est suivi par Elisabeth Graig, une danseuse, qu'il surnomme son "impératrice" et a connu à Genève. Après les petits commerçants du Passage Choiseul et les prolos de Clichy, Céline s'installe au milieu des artistes de la butte Montmartre. Et en choisisant la rue Lepic, il est plutôt bien entouré. Y habitèrent les peintres Maurice Utrillo et Vincent Van Gogh, ainsi que le romancier et dramaturge Georges Courteline. C'est d'ailleurs à cette adresse qu'il produira ces deux oeuvres majeures : Le Voyage au bout de la nuit et Mort à Crédit. Rue Lepic, l'écrivain va se lier avec le peintre expressionniste Gen Paul. Artiste alcoolique et obsédé, il sera un compagnon pour Céline pour des virés noctures dans les milieux libertins du quartier, et autres lieux de la Butte de toutes les perversités. C'est aussi dans l'atelier de Gen Paul que tout le petit monde artistique de Montmartre se réunit : Maurice de Vlaminck, Marcel Aimé, Maurice Utrillo, Robert Le Vigan ou encore Michel Simon... Elisabeth Graig repart aux Etats Unis, laissant un Céline inconsolable. Il rencontrera quelques années plus tard Lucette Almanzor, elle aussi danseuse, qui ne le quittera plus. Pendant l'occupation allemande de 1940-1944, l'écrivain reste dans le quartier. Un nid de résistants habite en dessous de chez lui et projette d'éliminer cet écrivain proche des milieux collaborationnistes. A la tête de ce réseau, le futur écrivain Roger Vailland. Le projet n'est jamais mis à exécution. Céline soignera même l'un des leurs. La défaite Allemande sonne la fuite pour Céline et sa femme Lucette. Ils seront accompagnés dans ce périple par le chat béber, cadeau de Robert Le Vigan, qui est lui aussi du voyage. Direction l'Allemagne, à Sigmaringen d'abord, puis au Danemark. Périple amplement raconté dans D'un château l'autre.
Ce n'est que des années plus tard, après être passé par la case prison, que Céline revient à Paris. Il s'installe dans un petit pavillon sur les hauteurs de Meudon, à l'écart. L'écrivain maudit, qui se considère comme proscrit et banni préfère contempler Paris depuis son jardin de banlieue. Il a aussi une magnifique vue sur Courbevoie, sa ville natale. Bien qu'à l'écart, l'écrivain reçoit de vieux amis (Arletty, Marcel Aymé), ou de jeunes gloires littéraires iconoclastes (Roger Nimier). Si Céline pratique occasionnellement la médecine, il bénéficie aussi des avances de Gaston Gallimard pour poursuivre son oeuvre littéraire. Il produira entre autre Nord et Rigodon, qui formeront, avec D'un Château l'autre, la triologie de l'exil en Allemagne. L'occasion aussi de sa lamenter, encore et toujours, sur son sort, sur son statut de banni, sur la modernité qu'il ne comprend pas, sur ce siècle de l'automobile qui voit disparaitre tragiquement quelques uns des plus talentueux écrivains et intellectuels (Albert Camus, Roger Nimier, Françoise Sagan). Oui, vraiment tout fout le camp. Après avoir achevé la dernière page de Rigodon, Louis Ferdinand Céline s'en va. Comme un soulagement. L'humanité fut, pour lui, un poids trop lourd à supporter.
Aficionados de l'écrivain ou simples curieux de l'histoire de Paris, chacun y trouvera une bonne raison de voir ce documentaire intelligent, cultivé et bien conçu. A noter que Lorant Deutsch nous fait ici exceptionnellement visiter l'appartement où vécut Céline à Montmartre, ainsi que la maison de Meudon, où vit d'ailleurs encore Lucette Destouches.
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