Des gens pas bien. C'est plutôt ainsi qu'aurait dû s'intituler ce livre. Car dans Des gens très bien d'Alexandre Jardin, nous avons plutôt droit à un portrait au vitriol d'un certain nombre de personnages. Notamment un. Mais qui sont ces personnages ? Des dignitaires du régime de Vichy, notamment Pierre Laval et René Bousquet. Mais quand se situe les évènements ? Le 16 juillet 1942 très précisément. Ce jour là, sur ordre du chef de gouvernement, Pierre Laval, le secrétaire général de la police, René Bousquet, procède à l'arrestation d'environ 13 000 juifs, dont 4 000 enfants. Ce sont les tristement célèbres rafles du Vel d'Hiv. On comprend peut être un peu mieux maintenant le réquisitoire sans concession du livre. A un détail près. Le nom du protagoniste principal du livre : Jean Jardin. Jardin ? Oui, comme le nom de l'auteur. Alexandre Jardin a, ici, mis en scène son propre grand père. Pour quelle raison ? Il était à l'époque directeur de cabinet de Pierre Laval, c'est à dire le plus proche collaborateur du chef du gouvernement de Vichy, et à ce titre conseiller très influent. Toute la trame de l'Histoire va donc être l'interrogation d'Alexandre Jardin sur le rôle de son grand père lors de ce sinistre épisode.
Qui est Jean Jardin ? Un homme de réseau ayant commencé une carrière dans la haute fonction publique dans les années 30. En cette période trouble, il est alors un pacifiste convaincu et fait parti de la mouvance du parti radical. Pendant la guerre, avec l'occupation allemande et la mise en place du régime de Vichy, il prend de l'importance, jusqu'à devenir le directeur de cabinet de Pierre Laval, alors chef du gouvernement de Vichy. Il est donc une sorte d'éminence grise et d'homme de confiance pour les missions délicates. Au coeur du pouvoir lors des rafles du Vel d'Hiv du 16 et 17 juillet 1942, sa responsabilité pose question.
Alexandre Jardin se lance donc ici dans une vaste enquête, même si malheureusement les éléments concrets tardent à venir, alors que le ressentiment envers son aïeul s'exprime très largement et sans nuance. Le livre est en cela extrêmement dérangeant. Car plutôt qu'une enquête sérieuse et scientifique, c'est plutôt un réquisitoire contre son propre grand père et sa propre famille que nous propose l'auteur. Tout est sujet à dénigrement. Presque à chaque phrase. Comme si l'auteur voulait expier une faute qu'il n'avait pas commis. Le grand père n'est d'ailleurs pas seul à prendre. Le propre père d'Alexandre Jardin, Pascal Jardin, est aussi cloué au Pilori dans le livre. Pascal Jardin, écrivain également et aujourd'hui disparu, est ainsi accusé d'avoir donné de Jean Jardin une image faussée dans ses livres La guerre à 9 ans, mais surtout Le Nain Jaune, surnom de Jean. Et c'est donc avec beaucoup de détermination que le petit fils va se charger ici de rétablir la vérité qu'on a voulu cacher : oui, son grand père était antisémite et un salaud de collabo !
Alexandre Jardin mène donc, tout au long du livre, une instruction exclusivement à charge. Et même très à charge. C'est d'autant plus aisé pour lui que le principal inculpé, son grand père Jean, est mort en 1976. Et le témoin menteur, son père Pascal, a disparu en 1980. Nous n'avons donc guère que la version d'Alexandre Jardin, qui s'appuie sur des souvenirs, des témoignages, des archives trouvées dans le grenier de ces grands parents. Mais on sent que l'auteur veut à tout pris que son grand père soit coupable. C'est en cela un livre extrêmement dérangeant, car quelque soit la responsabilité de son grand père dans ce tragique évènement, on a rarement vu petit fils entreprendre une telle entreprise de démolition contre son propre grand père, et dans une moindre mesure son propre père. J'ai en mémoire le livre de Dominique Jamet, Le petit Parisien, qui dressait un portrait extrêmement sombre de son père Claude Jamet, socialiste et partisan de la collaboration pendant la guerre. Mais c'est bien le seul exemple qui me vient en tête.
Pourquoi "des gens très bien" alors ? Simple ironie ? Pas uniquement. Et c'est peut être la partie intéressante du livre. En effet, la question des camps de concentration et de la Shoah pose la question du caractère monstrueux de tous les acteurs qui ont oeuvré à cette industrie de la mort. Et Jardin met en évidence leur déconnexion complète avec les actes accomplis. Ainsi, qu'ils soient chefs de camps, gardiens SS ou hauts fonctionnaires à Vichy, tous ont le sentiment de faire au contraire le bien, et d'agir avec humanité. L'auteur raconte par exemple cette exemple édifiant sur le front de l'est, où les colonnes de SS liquidaient sur leur chemin des familles entières. Or, un officier SS fut choqué du fait que l'on liquidait les mères avant leurs enfants, comble de la cruauté pour lui. Il ordonna donc de procéder d'abord à l'élimination des enfants, puis ensuite à celui des mères. L'officier eut ainsi le sentiment d'agir avec humanité au coeur de l'horreur et donc d'être quelqu'un de bien. De même, dans une mise en scène imaginé à la fin du livre, le nain jaune explique à l'auteur qu'il agit pour le mieux avec ses rafles de juifs, avec l'espoir de voir revenir les soldats prisonniers en Allemagne.
Pour le reste, Alexandre Jardin va exhumer un à un ses souvenirs d'enfance dans la propriété Suisse de Vevey, pour trouver trace de l'antisémitisme de son grand père, et de son implication dans le processus de décision de cette funeste journée du 16 juillet 1942. Car il en est persuadé, si la culpabilité s'est portée sur Pierre Laval et René Bousquet, le nain jaune était forcément au courant et doit donc être reconnu coupable. D'ailleurs, vers la fin de l'ouvrage, il semble que certaines pièces d'archives, très récemment exhumées par une historienne, viennent confirmer sa thèse. A partir de là, la question ultime de sa traque devient : Savait il pour les camps de concentration et d'extermination ? Et là encore, les récents documents d'archives pourraient en partie confirmer sa thèse. Néanmoins, l'interprétation d'Alexandre Jardin reste sujet à caution. Les grands historiens spécialistes de l'époque, Azéma ou Rousso n'ont pour l'instant par confirmer l'éventuelle participation de Jean Jardin à l'épisode de la rafle du Vel d'Hiv.
Le style du livre est vif et percutant, avec une plongée très intimiste dans une famille qui n'en finit pas de régler ses comptes. Cela étant, le livre reste choquant par cette volonté d'enfoncer ainsi ses aïeuls dans la culpabilité par un réquisitoire à charge d'une rare violence, et sans qu'aucun droit élémentaire de la défense ne soit respecté. Alexandre Jardin en fait trop, beaucoup trop. Qu'il ne soit pas particulièrement fière du passage de son grand père à Vichy aux côtés de Pierre Laval, on peut aisément le comprendre. Mais la l'hypothétique culpabilité de son grand père (jamais prononcée), ne mérite peut être pas qu'il jette ainsi sur un chemin de croix dans l'espoir d'une rédemption. Qui peut assurer, en remontant un peu dans son arbre généalogique, n'avoir aucun ancêtre qui n'est quelque chose à se reprocher ? Sur le plan purement historique, le livre dévoile néanmoins quelques intéressantes nouvelles sources, qui montrent que cette parenthèse sombre de l'histoire de France n'a pas encore levé tous ses secrets. Le livre a cependant occulté un point qui est tout sauf anecdotique : La France est occupée par les allemands, et ce sont bien les nazis qui ont décidé et planifié la solution finale. Même s'ils ont pu être aidés par quelques politiciens et hauts fonctionnaires zélés...
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