samedi 24 décembre 2011

Inflation galopante... sur les lois mémorielles

Jeudi matin, à l'assemblée nationale, les parlementaires, ont adopté en séance une loi condamnant la négation de tous les génocides reconnus. Le génocide arménien ayant été reconnu par cette même assemblée en 2001, celui-ci est donc concerné. Par cette loi, il devient donc interdit en France de contester cet évènement sous peine d'un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amendes.

Certains dénoncent des visés électoralistes de Nicolas Sarkozy envers les français d'origine arménienne qui seraient près de 500 000 en France. François Hollande l'accuse ainsi de vouloir faire une "opération électorale". C'est un peu vrai, mais ce dernier n'a t il pas promis après sa victoire au primaire de légiférer de la même façon sur ce sujet. Le président de la république qui l'avait lui promis en 2006, n'a fait que le prendre de vitesse par ce vote en urgence à deux jours de Noël. D'ailleurs droite et gauche ont, à quelques exceptions près, voté le texte. Il est évident que candidats de tous bords vont à la pêche aux voix dans cette histoire. Petit retour en arrière : Reconnaissance du génocide arménien à l'assemblée en 2001, élection présidentielle en 2002. Promesse de Nicolas Sarkozy d'une loi contre la négation du génocide en 2006, élection présidentielle en 2007. Vote de la loi en 2011, élection présidentielle en 2012. Quant aux députés, ils étaient une cinquantaine seulement à voter, pour l'essentiel venant du département des bouches du Rhône où habitent beaucoup de français d'origines arméniennes. A la pêche aux voix donc...

Ce vote traduit aussi une inflation de lois mémorielles existant désormais dans le droit français, tantôt pour reconnaître, tantôt pour condamner. Tout ceci a commencé en 1990 avec la loi Gayssot qui considère comme un délit le négationnisme s'agissant de crime contre l'humanité tel que la Shoah. Puis en 2001, c'est la loi Taubira qui reconnait l'esclavage transatlantique comme un crime contre l'humanité. Toujours en 2001, reconnaissance du génocide arménien donc. Et en 2005, la loi du 23 Février sur la reconnaissance de la nation des français rapatriés des anciennes colonies. Une nouvelle loi vient donc de voir le jour aujourd'hui sur les génocides, visant particulièrement le génocide arménien. Ce qui peut surprendre? c'est qu'en France il n'y a, à ma connaissance, personne qui ne conteste ce génocide (comme cela est malheureusement le cas pour la Shoah). S'il y a des négationnistes, c'est plutôt en Turquie qu'on les trouvent. Mais cette loi ne s'appliquera pas à eux.

On peut imaginer les prochaines lois qui pourront voir le jour : Reconnaissance du génocide cambodgien, reconnaissance du génocide rwandais, et pourquoi pas les déportations dans les goulag de la russie soviétique... La liste d'exemple est malheureusement presque sans fin. Avec condamnation pour négation de ceux-ci. 

Mais ce qui pose aussi problème, c'est que cette loi tend à légiférer sur un sujet qui ne concerne pas directement la France. Celle-ci n'a pas été partie prenante en 1915 dans ce génocide. Elle ne l'a été qu'indirectement en accueillant les arméniens rescapés. Imagine-t-on dans ce cas la Turquie ou n'importe quel autre pays se penchant sur l'histoire de France pour y examiner les épisodes les plus sombres, et dans la foulée faire voter une loi par son parlement pour reconnaître à sa place les crimes commis. Dans ce cas, le massacre des vendéens par les armées de la république, en 1793, pourrait être candidat pour une loi de ce type. En effet, certains historiens (Reynald Sécher, Jean Tulard, Emmanuel Le Roy La Durie, Stéphane Courtois...) considèrent que la liquidation d'environ 200 000 chouans en 1793 sur ordre du pouvoir central révolutionnaire par les colonnes infernales est le premier exemple de génocide. On ne peut que conseiller de lire 1793 de Victor Hugo à ce sujet. D'autres exemples seraient dans ce cas susceptibles d'être reconnus : les massacres à Sétif du 8 mai 1945 de nationalistes algériens par l'armée française, ou en remontant plus loin les massacres des protestants à la Saint Barthélémy...

Finalement, cette nouvelle loi met tout le monde dans l'embarras, à commencer par les historiens, qui sont pourtant les mieux informés et les plus concernés par ces sujets. L'historien de renom Pierre Nora résume bien l'état d'esprit de nombre d'entre eux. Cette loi est "liberticide" et une atteinte à la "liberté démocratique". Ce n'est pas aux députés de faire l'Histoire et plus encore de condamner ceux qui en débattent. Ce n'est pas pour rien que depuis 2005, un collectif d'historien a lancé Liberté pour l'Histoire, association luttant contre les lois mémorielles et pour la liberté des chercheurs. Fondée par Pierre Vidal Naquet, opposant de toujours aux négationistes, elle est présidée par Pierre Nora. Nombre d'historiens de premier plan en sont membres : Alain Decaux, Marc Ferro, Jean Pierre Azéma, Pierre Milza, René Rémond, Michel Winock, Elisabeth Badinter, Françoise Chandernagor... Mais il parait malgré tout invraisemblable qu'au pays des Lumières, la connaissance et la recherche soit ainsi juridiquement entravée. Pourtant, tout le monde devrait le savoir, la meilleur façon de combattre le négationnisme reste l'érudition et la connaissance des faits, et non la loi. La loi clôt le débat sans l'avoir trancher, alors que la connaissance précisément permet de le gagner.

Côté politique, le président de l'assemblée nationale lui même, Bernard Accoyer, reconnait être contre cette loi et admet que de tout façon celle-ci ne sera surement pas adoptée définitivement par le parlement d'ici la fin de la mandature législative. Quand à Robert Badinter, ancien garde des sceaux et ancien président du conseil constitutionnel, il soutient qu'une telle loi est, de toute façon, non conforme à la constitution et qu'elle ne pourra donc être entérinée. La raison : il n'est tout simplement pas dans les prérogatives du parlement de voter de telles lois.

La Turquie doit reconnaître le génocide arménien. C'est une condition non négociable pour qu'elle intègre l'union européenne. Gageons qu'un jour elle le fera. La France n'a t elle pas elle-même mis son temps pour se pencher sur les tortures en Algérie. Et l'année  sanguinaire de 1793 ne reste il pas un grand tabou pour de nombreux livres d'Histoire. En tout cas, ce vote ne peut évidemment que desservir les historiens turques qui travaillent sur ce sujet depuis longtemps, et à qui le pouvoir politique en place accorde désormais beaucoup plus de libertés pour en débattre publiquement. La question n'est donc plus un tabou en Turquie. Celle-ci reconnaissant même des massacres à cette époque, mais pour des raisons différentes. Elle refuse malheureusement, pour l'instant, toute idée de reconnaissance du génocide ou de pardon. Dans un processus aussi douloureux et long, la provocation n'est pas la meilleure façon de faire avancer les choses.

Pour parler de l'effroyable génocide arménien de 1915, qui a généré tant de souffrance, de mouvement de population et surtout de victimes (on parle de 1,5 millions de morts), je m’orientais plutôt vers un de nos grands cinéastes, (décédé en 2002) Henri Verneuil. D'origine arménienne, et de son vrai nom Achod Malakian, le réalisateur et scénariste est à l'origine de quelques uns des plus grands succès du cinéma français. On peut citer notamment Un singe en Hiver (Avec Gabin et Belmondo), Mélodie en sous sol (Gabin et Delon) ou Le Clan des siciliens (Gabin, Ventura, Delon). A la fin de sa carrière, Verneuil se replonge dans son enfance en écrivant Mayrig (Maman en arménien) en 1985. Il y raconte son départ d'Arménie avec sa famille pour échapper aux massacres, puis son enfance d’immigré arménien à Marseille. Il y rend hommage à ses parents. De ce grand succès, Verneuil en tirera ces deux derniers films : Mayrig en 1991 et 588, rue Paradis en 1992, diptyque très poignant et magistralement distribuée avec à l'affiche Omar Sharif, Claudia Cardinale ou encore Richard Berry. Plus efficace que n'importe qu'elle loi.

Cette année 2011 a vu notre pays retomber dans la crise économique avec un chômage qui grimpe et la récession qui pointe. Nous ne sommes toujours pas sorti de la crise financière de 2008, avec des banques en manque de liquidité et se précipitant à la BCE. Désormais, nous connaissons aussi une crise sur notre dette souveraine, avec une signature discréditée sur les marchés. A cela s'ajoute une crise de confiance des français envers les politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition. La popularité des Marine Le Pen et François Bayrou, mais surtout du parti de l'abstention, le prouve. Et voilà qu'en prime, pour bien finir l'année, on se rajoute un boulet supplémentaire au pied par une crise diplomatique avec la Turquie. Qui dit pire ?

Les parlementaires, n'ayant pas résolu les problèmes du présent, préfèrent donc légiférer sur ceux du passé. S'imaginant, à tort, que c'est plus simple.

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