mercredi 6 juin 2012

Chronique d'une présidence normale (2)

En Hollandie, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Dormez braves gens. Loin des tumultes anxiogènes sur l'avenir de la zone euro, la présidence normale s'écoule paisiblement. Le mandat a d'ailleurs déjà été "honoré", dixit le nouveau président lui même. La croissance, invoquée au G8, sera bientôt établie par décret. Les engagements européens sur la réduction des déficits seront tenus. Comment ? Le secret reste bien gardé, du moins jusqu'au second tour des législatives. "Exemplarité" et "efficacité", telle est d'ailleurs la ligne de conduite du gouvernement Ayrault a déclaré Najat Vallaud Belkacem, porte parole du gouvernement. Ah oui ? Vraiment ?

Pour François Hollande, la république exemplaire, c'est la fin du copinage. Fini donc la proximité, affichée sous l'ère Sarkozy, avec les grands patrons du CAC 40 (Vincent Bolloré, Bernard Arnaud...), fini les parachutages d'amis à la tête d'entreprises publiques (Henri Proglio chez EDF) ou d'établissement bancaires (François Pérol à la BPCE), fini la confiscation du pouvoir par un clan. Enfin ça, c'est dans les discours. Dans les faits, un clan en a plutôt remplacé un autre. Si le précédent pouvait s'appeler CAC40, le nouveau n'a plus que 3 lettres : ENA. Et même tout particulièrement une promotion, celle de 1980, connu sous le nom de "promo Voltaire", avec en vedette François Hollande. Ce dernier, reconnaissons le, n'a pas été ingrat avec ces anciens camarades de classe.

Pierre-René Lemas, secrétaire générale de l'Elysée, ENA, promotion Voltaire. Sylvie Hubac, directrice de cabinet du président à l'Elysée, ENA, promotion Voltaire. Jean-Maurice Ripert, diplomate, conseiller du président, ENA, promotion Voltaire. Jean-Jacques Augier, président de l'association de financement de la campagne du candidat Hollande, ENA, promotion Voltaire. Bernard Cottin, vice-président de l'association de financement de la campagne du candidat Hollande, ENA, promotion Voltaire. Jean-Marie Cambacérès, animateur de Démocratie 2012, comité de soutien de François Hollande, ENA, promotion Voltaire. Pierre-Yves Duwoye, directeur de cabinet du ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, ENA, Promotion Voltaire. Jean-Pierre Jouyet, président de l'AMF et conseiller de longue date du président, ENA, Promotion Voltaire. Michel Sapin, ministre du travail dans le gouvernement Ayrault, ENA, promotion Voltaire. Ségolène Royal, future présidente de l'assemblée nationale après des élections législatives, ENA, promotion Voltaire. Dominique de Villepin, groupie de luxe du nouveau président et du nouveau gouvernement, ENA, Promotion Voltaire. La parité et la diversité c'est pour l'affichage gouvernemental, pour tout le reste il y a l'ENA, promotion Voltaire. Le grand philosophe des lumières n'avait pourtant pas mérité ça. Enfin, comme aurait dit Gavroche : Hollande est aux affaires c'est la faute à Voltaire, il se plantera bientôt c'est la faute à Rousseau (ou à Sarko...).

Mais si on passe rapidement sur ce népotisme au plus haut sommet de l'état, reconnaissons en tout cas que les ministres font des merveilles. Et c'est rien de le dire. Pour les transports, certains, voulant imiter le chef de l'Etat, font même du zèle. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, voyage ainsi en low cost entre Berlin et Rome (Air Berlin pour info), écourtant en cela une conférence de presse, où il n'aura répondu qu'à une seule question. Un déplacement qui valait vraiment le coup en somme. D'autant qu'il était arrivé dans la capitale Allemande par Air France, donc pas low cost (pas bien). En déplacement à Aubervilliers, suite à un braquage, Manuel Valls, ministre de l'intérieur, rentre en métro (bien). Mais il était arrivé en voiture sur les lieux (pas bien). Cherchez la cohérence. Le président, lui même, ne se rend t-il pas aujourd'hui à Caen en voiture ? Bon certes, avec un cortège de 7 voitures blindés, mais quand même, quel progrès. C'est curieux en tout cas tous ces nouveaux ministres qui utilisaient allègrement lignes régulières, jets privés et voitures pendant la campagne électorale, et qui se croit obliger de faire de la surenchère à qui dépensera le moins. Pour faire encore des économies, pourquoi ne pas frauder dans le métro ? Ou faire du stop ?

Sur le front de l'emploi, les choses vont s'arranger. N'a-t-on pas désormais un ministère du "redressement productif", autrement dit de gestion des plans sociaux ? De son côté, Michel Sapin, ministre du travail, a carrément dévoiler le fond de sa pensée : dans les mois qui viennent, l'augmentation du chômage, il mettra ça sur le dos de Sarko. On s'en doutait, mais l'avouer aussi franchement, fallait oser. Quoiqu'il en soit, un emploi a d'ors et déjà été sauvé : Valérie Trierweiller reste à Paris-Match. Arnaud Montebourg aura été moins efficace. Audrey Pulvar va quitter l'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couché". Au grand soulagement des derniers téléspectateurs de l'émission. Par contre pour les vrais emplois (ou le "vrai travail" comme dirait Sarkozy), on verra plus tard. Pour Florange, on a commandé un énième rapport. Y a pas urgence. Pour Doux, en redressement judiciaire. 

Une autre question parait bien gérée : Le logement. Cécile Duflot, avec son portefeuille de "l'égalité des territoires" (!), est aussi en charge de cette question. Et déjà, plusieurs décisions chocs annoncées. D'abord la confirmation, et même si possible l'accélération de la fin du dispositif Scellier de défiscalisation pour l'achat d'un logement neuf privé à usage locatif. Sans dispositif pour l'instant prévu pour le remplacer. Pourtant, le secteur du bâtiment est à la peine depuis la suppression annoncée de ce dispositif par le gouvernement Fillon. Ce manque d'incitation fiscale pour financer de nouveaux programmes de construction de  logements privés ne va faire que dégrader le déséquilibre offre-demande déjà particulièrement criant pour pouvoir se loger. A cela, le gouvernement répond par une augmentation du plafond du livret A. Cependant, seulement 9% des livrets A ont atteint le plafond. La majorité des français n'ayant que quelques centaines d'euros tout au plus. Qui plus est, le taux d'intérêt de 2,25% devrait resté inchangé. Pas de quoi pousser les foules vers les guichets de la poste. Enfin, l'argent du livret A sert au financement du logement social. Or, une partie de l'argent actuellement collecté et détenu par la caisse des dépôts n'est déjà pas utilisé. Il n'y a aucun problème de collecte au niveau du livret A. On risque donc, par cette stratégie, de freiner l'investissement vers la construction de logements privés, sans pour autant booster le logement social. Double erreur. 

Reste enfin l'annonce de blocage des loyers à la renouvellement d'un bail ou lors d'un changement de locataire. Dans toute l'Histoire, s'il y a une constante, c'est que le blocage des prix, ça n'a jamais marché. Cela ne fait au contraire que perdurer les dysfonctionnements, et empêche de prendre les bonnes mesures de réajustement, c'est à dire de favoriser l'utilisation de l'épargne vers la construction de logements privés, et ainsi rééquilibrer l'offre avec la demande. Avec de pareilles mesures de blocage des loyers, les propriétaires seront moins incités à louer et à faire des travaux, ce qui contractera d'autant plus l'offre, aggravant la pénurie. Quand à ceux qu'on entend régulièrement pleurer sur le fait qu'il est trop cher de se loger à Paris. Oui, c'est vrai, mais personne n'a jamais interdit de traverser le périph, vers ce qu'on appelle "la banlieue". Question de snobisme...

Un autre ministre fait des prouesses. A défaut d'être efficace, il excelle en tout cas dans l'incantation. Mais qui donc ? Eh bien, notre ministre de l'économie, Pierre Moscovici. Lors d'une rencontre, lundi, avec Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, il n'a pas hésité à affirmer que Paris tiendra ses engagements de réduction du déficit budgétaire, ramenant celui-ci à 3% en 2013. Et il a ajouté "sans mesure d'austérité, oui, nous le ferons". Et face aux sceptiques, celui-ci a met surenchéri : "Nous sommes prêt à être jugés sur nos résultats, mais nous avons aussi nos propres voies et moyens". Pour Moscovici, pas de problème, le retour à 3% en 2013, "ce sera réalisé". Mais qui peut donc y croire sérieusement ? Il y a un double mensonge ici. Tout d'abord, non, le déficit ne sera pas ramené à 3% en 2013. Il était de 5,2% pour 2011. Les prévisions sont de 4,4% pour 2012. Qui peut imaginer une réduction de 1,4% en une seule année, ce qui équivaudrait à 15% de coupes budgétaires ? Qui plus est avec une croissance quasi-nulle en France et dans la zone euro.

Le deuxième mensonge, c'est qu'il y aura évidemment des mesures d'austérité, malgré les dires du ministre, mais que malgré tout, elles ne suffiront pas pour tenir les engagements. Par "nos propres voies et moyens". Le gouvernement est ici dans le déni le plus complet. Ce qu'il va se passer en réalité, c'est une augmentation de la fiscalité pour les ménages les plus aisés. Comme cela ne rapportera pas grand chose, il faudra tailler dans les multiples niches fiscales. Mais comme beaucoup sont explosives politiquement, car fruit de longs clientélismes et conservatismes, elles rapporteront, là encore, moins que prévu. Restera les classes moyennes, les vrais vaches à lait dans ce genre de situation. Et comme les classes moyennes sont déjà beaucoup prélevées, cela ne suffira toujours pas pour faire les comptes. Et il faudra dans ce cas commencer, enfin, à réduire les dépenses publiques. Et ça, ça s'appelle comment ? Oui,  de la rigueur, et même de l'austérité. Il n'y aura pas de "propres voies et moyens". La France appliquera les mêmes recettes que partout ailleurs.  Moscovici se déclare prêt à être jugé sur les résultats l'année prochaine. Chiche ? Et si la promesse n'est pas tenue ? Il démissionne ?

Car la vie est dure pour le gouvernement. Surtout qu'en ce moment, les cassandres semblent s'être donnés le mot pour contrarier ses incantations de "positive attitude". Le président de la BCE, Mario Draghi, a dégainé le premier. Pas content le Mario. Son message : réduisez les dépenses, faites des réformes structurelles, n'attendez pas tout de l'Europe et de la banque centrale. Puis, c'est la commission européenne, par la voix de José Manuel Barosso, qui a délivré en substance le même message : "Il faut maintenir le cap de la rigueur", "rigueur ou faillite", il faut choisir. Comme si cela ne suffisait pas, c'est la cour des comptes qui a tiré la sonnette d'alarme. Pas très sympa le camarade du PS, Didier Migaud, qui est actuellement à sa tête. Et que dit-il à ses amis ? Réduisez encore et toujours les dépenses publiques. Conserver les RGPP initiés par le précédent gouvernement. Ne comptez pas sur l'impôt pour rééquilibrer les comptes, c'est insuffisant et inefficace. Enfin, c'est l'Inspection Générale des Finances (IGF) qui passe cette semaine à l'offensive. Faites des reformes structurelles, ne remplacez pas 2/3 des fonctionnaires partant à la retraite, modération salariale dans la fonction publique. Bref, le même son de cloche partout : réduisez les dépenses publiques. Mais, le gouvernement n'en dira pas un mot avant le 17 juin. D'ailleurs pas de problème, les taux d'intérêt de la France sont très bas, et permette de se shooter un peu plus à la dette. Oui, le cyclone est actuellement sur l'Italie et l'Espagne. Mais il est en train de remonter, et il sera dévastateur.

En attendant, tout va très bien madame la marquise. Reste à assurer la victoire aux législatives. Et pour cela, rien de tel que d'acheter ses clientèles électorales : 25% d'augmentation sur l'allocation rentrée scolaire. Décret sur le retour à la retraite à 60 ans. Initialement réservé pour quelques carrières longues, le cadeau s'est, au fur à mesure, étendu à toujours plus de monde (Périodes de chômage incluses, congés maternités...). Blocage des loyers à la re-location. Revalorisation du SMIC, ce qui a pourtant pénalisé, tout le monde le sait, l'emploi peu qualifié depuis deux décennies. Et surtout, cela ne touche que 10% des salariés. Fin des RGPP et du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Coût des cadeaux du mois de juin : 20 milliards sur 5 ans dit l'UMP. Invérifiable, mais ça va coûter, ça c'est sûr. La France est en fait à contre sens complet du reste du monde. En plein déni des réalités. C'était le cas en 1981. Ça ne l'était déjà plus en 1982, l'année de la rigueur. Car n'oublions pas qu'électoralement, les gogos du mois de juin sont toujours les cocus de Septembre...

Une présidence normale quoi...

A suivre...

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