lundi 30 avril 2012

Le 7 mai 2012

La campagne électorale vit ces derniers jours. "Enfin !", aimerait-on dire. Il faut dire que le niveau, loin de s'élever, touche plutôt le fond. Les affaires refont surface. Entre les multiples coucheries de DSK et les soupçons de financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, nous ne sommes pas vraiment au plus près des débats, pourtant cruciaux, qui doivent engager l'avenir de notre pays. A gauche, l'anti-sarkozysme fonctionne toujours à plein, et des points Godwin sont même atteints en accusant le président sortant de "néo-pétainisme" pour sa drague, certes lourdingue, des électeurs de premier tour de Marine Le Pen. Les courbes de sondages sont elles invariablement stables, en moyenne à 54 % - 46 %. Les jeux sont pliés, les votes se sont cristallisés depuis déjà bien longtemps, et François Hollande sera élu dimanche prochain président de la république. Le 6 mai 2012 n'a donc plus guère d'importance. Le 7 mai 2012 est en revanche beaucoup plus intéressant.

Le 7 mai 2012, et dans les jours qui suivront, nous sortirons de l'amnésie dans laquelle la campagne électorale nous avait plongée pour revenir à la dure réalité. Première conséquence, les cours de la bourse de Paris devraient plonger. La bourse avait déjà accueilli plutôt fraîchement les résultats du premier tour, perdant près de 3 %. Néanmoins, l'indice CAC 40 a déjà anticipé la victoire du candidat socialiste depuis la mi-mars avec une chute continue de plus de 300 points. 

Deuxième conséquence, le discours du Bourget de François Hollande en Janvier dernier. Dans son discours de candidature, le député de Corrèze affirmait n'avoir qu'un seul ennemi, le monde de la finance. A partir de lundi, le nouveau président élu risque de subir un sévère retour de bâton. Car ces marchés financiers, à qui il a déclaré la guerre en bon Don Quichotte, vont se rappeler à son bon souvenir et les taux d'intérêt de la France pour ses obligations à 10 ans seront très certainement attaqués. Tombés actuellement à moins de 3%, le taux risque de connaître une flambée significative dans les jours et semaines qui viennent. En cause, non pas seulement la déclaration bravache du socialiste, mais aussi, et c'est plus grave, son programme.

Le pacte budgétaire européen, adopté en fin d'année dernière par l'ensemble des pays européens (Hormis la Grande Bretagne), a fait son chemin et ses recettes commencent à s'appliquer un peu partout en Europe. En Italie, le président du conseil Mario Monti a axé son action réformatrice vers une plus grande rigueur budgétaire, avec notamment des hausses de TVA pour volet recette, et une reforme des retraites avec un allongement de cotisations pour réduire les dépenses. Pour relancer la croissance, Monti mise sur la libéralisation de secteurs protégés, en mettant en oeuvre les recommandations de la commission Attali dont il faisait parti à l'époque. Ironie du sort, l'Italie met donc en place, dans la douleur, les mesures les plus controversées de cette commission française, dont Nicolas Sarkozy n'a lui-même pas repris toutes les préconisations. L'Espagne souffre terriblement. Elle pointe à 8% de déficit en ce début d'année et rentre en récession. Le gouvernement de Mariano Rajoy a donc décidé de larges coupes dans les dépenses, et les puissants gouvernements régionaux sont invités à faire de même. Les fonctionnaires partant à la retraite ne sont pas remplacés dans la plupart des secteurs et les salaires de ceux qui restent sont gelés. La fameuse règle d'or a été adoptée. Côté recette, tout le monde met la main à la poche, avec une hausse des impôts sur le revenu et des impôts fonciers. En Grande Bretagne, le gouvernement de David Cameron a mis en place, depuis son arrivé, des coupes drastiques dans son budget, pour tenter d'enrayer un déficit vertigineux. L'Angleterre de la puissante finance souffre et s'est donc lancée donc dans une cure d'austérité particulièrement sévère : baisse des frais de fonctionnement de l'administration, gel des recrutements dans la fonction publique. Et pour le volet recette, des hausses des impôts ont été décidées, ainsi qu'une hausse de la TVA. C'est le triomphe de la rigueur partout en Europe, et du chantre de celle-ci, l'économiste David Ricardo. 

Certains économistes et politiques critiquent évidemment ces politiques d'austérité mis en place en Europe. Car l'austérité, on le sait depuis la crise des années 30, tue la croissance. D'ailleurs, la meilleure preuve de l'inefficacité de ces politiques n'est-elle pas que l'Espagne et La Grande Bretagne viennent d'entrer en récession ? Certes, mais la mise en place de reformes structurelles met du temps à porter ses fruits. A titre exemple, les politiques de rigueur initiées par Gehrard Schroeder aux débuts des années 2000 en Allemagne ont mis plus de 5 ans avant de commencer à porter ses fruits. Si la rigueur peut tuer la croissance à court terme, la dette tue la croissance tout court. Avons nous déjà oublié la Grèce ? Préférons nous aujourd'hui être l'Allemagne ou la Grèce ?

Hausse des impôt sur le revenu, hausse de la TVA, gel du remplacement des fonctionnaires, réformes des retraites, règle d'or budgétaire, coupes dans les budgets de fonctionnement, libéralisation de certains secteurs protégés... Ce sont les mesures mis en place partout en Europe par les nouveaux gouvernements en place. Et, quand on regarde le programme de François Hollande, rien de tout cela : Hausse d'impôt uniquement pour les plus fortunés, pas de hausse de la TVA, création de nouveaux postes dans la fonction publique, remise en cause de la reforme des retraites, refus de règle d'or, pas de coupes claires dans les budgets de l'Etat, pas de libéralisation... La France se prépare donc à aller à rebours de tous ces partenaires européens. Pas étonnant donc que tous les acteurs financiers s'y préparent eux aussi et nous le fassent payer cher à partir de la semaine prochaine.

Le candidat socialiste, lui, a préféré privilégier dans son programme le problème de la croissance plutôt que celui de la rigueur budgétaire. La croissance en Europe est clairement en panne. La question est donc plus que légitime, elle est cruciale. Le programme de François Hollande prévoit donc des soutiens à la consommation (embauche dans la fonction publique, subventions...) dont on se demande comment il pourra sérieusement les financer. On ressuscite faussement Keynes en lui faisant porter le chapeau d'un soutien de la demande par la consommation, alors que lui même prônait l'investissement et les grands travaux. Le candidat socialiste se croit pourtant soutenu lorsque le président de la BCE (Banque Centrale Européenne), Mario Draghi a prononcé le mot "croissance", et par la rumeur du lancement par la BCE et de la BEI (Banque Européenne d'Investissement) d'un plan Marshall pour la croissance. Il a tort. La BCE ne dévaluera pas, les Etats Européens ne reviendront pas sur le pacte budgétaire européen, et la BEI ne prêtera pas pour finir les fins de mois d'un Etat français qui ne se restructure pas.

L'initiative conjointe de la BCE et de la BEI, si elle devait se confirmer, pour un plan Marshall de 200 milliards de financement de grands travaux et d'investissements d'avenir (Energies renouvelables, Haute Technologie, Infrastructures...) s'inscrit largement dans une initiative de relance Keynésienne. Mais réelle celle-là, par les investissements et non par la consommation à la François Hollande. On peut néanmoins être très mesuré par le lancement de cette mesure. C'était d'ailleurs la réaction des bourses Européennes après l'annonce. Aucune euphorie. Car le financement reste encore à définir dans une zone euro rongée par la dette. Et le risque est fort de financer  en pure perte de grands consortiums bureaucratiques de recherches et ou de grosses entreprises déjà puissantes, plutôt que des petites PME innovantes. Comme souvent, les institutions pensent avoir l'initiative de définir ce que sera l'économie de demain, et néglige Schumpeter et son petit entrepreneur qui sont pourtant en train de sortir les Etats Unis du marasme économique. 

Dernier risque pour toute la zone euro dans les semaines et mois qui viennent : un défaut. Oui, un défaut global de toute la zone euro, voir même de certains pays européen hors zone euro. Ce serait un séisme pour l'économie mondiale, mais c'est un scénario que les observateurs n'excluent plus du tout. l'Espagne, l'Italie, le Portugal, La France et demain peut être les Pays Bas, l'Autriche... L'endettement atteint des niveaux de plus en plus vertigineux partout en Europe, et les bons élèves se font rares (Qui a part l'Allemagne ?). Dès lors, il n'est pas impossible que ces Etats fassent un défaut partiel sur leurs créances de l'ordre de 25 % à 30 % de leurs dettes. Prenons le cas de la France. Sa dette est détenue pour 1/3 par les ménages et établissements bancaires français et 2/3 par des fonds d'investissement étrangers (Asiatiques, Moyen Orientaux...). Cela signifie que ces ménages et fonds d'investissement vont devoir s'asseoir sur une partie de l'épargne qu'ils avaient investi pour leurs retraites ou futurs achats immobiliers. Des conséquences que l'on à peine à imaginer, mais basées sur des scénarios de plus en plus probables. 

Il va s'en passer des choses à partir du 7 mai 2012...

jeudi 26 avril 2012

Keynes, Ricardo, Schumpeter... face à la crise

Faut-il mieux réglementer les marchés financiers ? Et pourquoi pas les taxer ? Doit-on séparer les activités bancaires entre des banques de dépôts et des banques d'affaires ? Quel rôle doit jouer la banque centrale ? Son rôle doit-il devenir celui de prêteur de dernier ressort ? Et celle-ci doit elle être indépendante ? Doit elle émettre une monnaie forte ou faible ? Pourquoi les défaillances de la zone euro ? Faut-il sortir de cette zone monétaire ? Ou aller vers davantage de fédéralisme par une convergence budgétaire, sociale et fiscale ? Quels plans de relance pour quelle efficacité ?  Et quid des plans de rigueur et de leur pertinence en temps de crise ? Va-t-on irrémédiablement vers une augmentation des impôts ? ...

Depuis maintenant plus de 4 ans et le début de la crise, se posent d'innombrables questions sur les politiques économiques à mener pour en sortir. Loin d'avoir trancher tous ces débats, les gouvernements et institutions internationales ont néanmoins pris certaines décisions, en fonction d'analyses macroéconomiques, mais aussi souvent en fonction de considérations politiques, électoralistes et donc court-termiste. Ce qui a parfois conduit dans l'impasse. Pourtant, la théorie économique, bien que riche en controverses, nous apporte des réponses. Examinons donc ces questions en s'appuyant sur la pensée de quelques uns des grands penseurs de l"économie.

Retour à l'été 2007. Crise des subprimes, ces crédits hypothécaires américains sur les achats immobiliers, accordés avec trop de largesse par les banques à des ménages peu solvables, mais cautionnés par les institutions publiques de refinancement Fannie Mae et Freddie Mac. Par le mécanisme de "titrisation", ces crédits pourris se sont répandus dans la sphère financière mondiale. Une hausse maladroite des taux américains, suivi de la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008, et c'est la catastrophe. A tort et à raison, les coupables sont trouvés : les banques irresponsables et les marchés financiers devenus fous. Dans ce contexte, ces institutions doivent être mises au pas. Pour cela, on fait appel à Keynes bien évidemment. Économiste le plus connu du XX ème siècle, l'anglais John Maynard Keynes s'est fait connaître par sa Théorie générale de la monnaie et les plans de relance qui portent son nom. Sur les marchés financiers, l'économiste de Cambridge avait émis un certain nombre de recommandations. Réglementation des marchés bien évidemment, mais aussi séparation stricte, au niveau des banques, entre les activités de détail et celles de marchés.

Un autre économiste, tombé aux oubliettes, fait également un retour remarqué dans les discours et les analyses : Marx. Le théoricien du communisme avait en effet prédit l'effondrement du capitalisme dans son oeuvre majeure Le Capital. Karl Marx y avait ainsi décrit le mécanisme de baisse tendancielle des profits. A l'origine, il aurait eu une sur-accumulation de capital, par euphorie et mimétisme des investisseurs. D'où une baisse tendancielle du fameux taux de profit. Pour maintenir leurs marges, les capitalistes vont agir en compressant les salaires. Ce qui engendre une sous-consommation, et donc la crise. Sauf que l'explication ne tient pas vraiment. Le choc de 2008 ne vient pas d'une sous consommation des ménages, mais clairement de produits financiers toxiques, basés plus ou moins sciemment sur des créances non solvables.

La crise des milieux financiers américains s'internationalise rapidement, et se répand comme une tâche d'huile dans l'économie dite "réelle" à partir de fin 2008. Le crédit se fait plus difficile pour les entreprises et les ménages. Les faillites d'entreprises augmentent, de même que le chômage. Comment faire pour éteindre l'incendie ? En appelant là encore Keynes à la rescousse. La relance keynésienne se base principalement sur une variable : le taux d’intérêt. Keynes l'a démontré, une hausse des taux d'intérêt rend l'argent plus cher à emprunter sur les marchés monétaires, alors qu'une baisse diminue le coût de l'argent auprès des institutions émettrices de monnaie. C'est le premier volet de la relance Keynésienne : la relance monétaire. Le deuxième volet consiste à accroître les dépenses publiques des États, de façon à stimuler les investissements et financer des grands travaux. A court terme, le déficit budgétaire se creuse, mais à long terme, l'économie est censé tirer bénéfice de ces investissements : c'est la relance budgétaire.

Début 2009, Barack Obama a ainsi largement recours aux recettes de l'ancien maître de Cambridge. Relance budgétaire d'abord, avec un plan de plusieurs centaines de milliards de dollars, creusant considérablement le déficit, déjà colossal, des États Unis. Relance monétaire ensuite, par le biais de la FED, la banque centrale américaine, qui fait marcher à plein régime la planche à billets avec la baisse des taux d'intérêts, alors proches de zéro. En Europe, les plans de relance Keynésien se multiplient dans tous les pays, creusant là encore sensiblement les niveaux d'endettement des États, bien au delà des limites autorisées par les critères de Maastricht. Incontestablement, l'année 2009 est celle de Keynes, célébré et encensé par les commentateurs politiques et économiques.

Pourtant, un bastion fait de la résistance : la BCE, Banque Centrale Européenne. Dirigée alors par Jean-Claude Trichet, elle rechigne à émettre massivement des euros en faisant baisser ces taux d'intérêts directeurs (les taux auxquels se refinancement les banques). Car la BCE, de part ses prérogatives, se doit avant tout de lutter contre l'inflation, et de maintenir une monnaie forte, chère aux allemands. Du point de vue de la théorie économique, on se trouve clairement dans un bastion "Monétariste", du nom de la doctrine de l'Ecole de Chicago, et de son chef de file, le libéral Milton Friedman. Celui-ci démontra en effet que l'origine de l'inflation est purement monétaire, et que seule une banque centrale et indépendante pouvait lutter contre ce phénomène en maîtrisant ses taux d'intérêt. C'est donc paradoxalement la Banque Centrale Européenne qui est la  bonne élève de l'économiste américain, pendant que la FED viole allègrement les fondements de la doctrine monétariste, pourtant en vigueur depuis les années 1980.

Cependant, si Keynes triomphe, c'est un peu malgré lui. Keynes était partisan de l’interventionnisme de l'Etat, notamment pour stimuler l'investissement et corriger les inégalités. Mais Keynes restait avant tout un libéral, faisant confiance au marché. Or certains gouvernement ont cru avoir le feu vert de l'économiste anglais pour faire marcher à fond la machine administrative et stimuler la consommation des ménages. La mise en oeuvre de ces plans s'est en réalité révélée coûteuse, et surtout peu efficace. D'un côté ou de l'autre de l'atlantique, les indicateurs (croissance, chômage...) sont toujours à la peine.

Mais au delà des manoeuvres étatiques, il existe en économie un personnage central, largement ignoré en ce début de crise : l'entrepreneur. C'est l'économiste classique français du XIX ème Jean Baptiste Say qui, le premier met en lumière son rôle moteur dans l'économie capitaliste. Mais c'est un économiste de l'école autrichienne du début du XIX ème siècle qui en sera le plus fervent avocat : Joseph Schumpeter. Celui-ci a une vision ouvertement libérale de l'économie. Celle-ci réagit, selon lui, par cycle, avec comme moteur l'innovation, et comme héros à la manœuvre, l'entrepreneur. Concernant le mythe du progrès destructeur d'emploi et engendrant des crises, Schumpeter répond par le concept de "destruction créatrice". La crise fait un tri dans les industries et les idées : certaines sont condamnées à disparaître, quand d'autres émergent. Des emplois sont détruits et d'autres sont créés, à plus forte valeur ajoutée. L'économiste autrichien ressuscite au passage les travaux de l'économiste russe Kondratiev, qui mettait en évidence l'existence de cycles successifs longs (environ 30 ans) dans le capitalisme. Le russe sera fusillé par Staline pour avoir émis l'idée très peu marxiste d'un capitalisme capable de se renouveler sans cesse. Mais Schumpeter mettra cette idée au coeur de sa réflexion. Inutile de dire que l'économiste autrichien a connu un engouement certain ces dernières années, notamment dans la Sillicon Valley américaine, où les géants Apple et Google répondent à la crise par une soif d'innovation, et la naissance de l'économie numérique.

Mais l'innovation repose sur des cycles longs, et les effets sur la reprise économique ne sont pas encore très visibles. En 2011, la croissance européenne et américaine est toujours proche de zéro, et les effets de la crise sont particulièrement violents sur le chômage. Ce qui met également en lumière l'échec des faux plans Keynésien mis en oeuvre en 2008-2009. Sauf que cette relance a laissé une dette colossale. Panne de croissance, endettement vertigineux, c'est la crise des dettes souveraines qui prend le relais. Les taux grimpent de façon inconsidérée, et c'est toute l’Europe du sud qui est dans le rouge, la Grèce en tête. C'est alors que le discours politique commence à changer. David Cameron est élu en Angleterre sur un programme de rigueur particulièrement sévère. Les gouvernements italiens et espagnoles changent, pour mettre en place, là encore, des politiques de baisse des dépenses publiques, hausse des impôts et objectif de retour à l'équilibre. En France aussi le ton change, même si c'est surtout dans le discours, notamment celui de François Fillon, le premier ministre. Ce revirement donne raison à la chancelière allemande, Angela Merkel, à la tête d'un pays en cure d'austérité depuis bientôt 10 ans. Et côté théorie économique, un économiste anglais est, là encore, appelé à la rescousse : David Ricardo. Économiste de l'école classique du début XIX ème, cet ancien agent de change se fera connaître pour ces théories sur les avantages comparatifs et la nécessité de promouvoir le libre échange pour une efficacité optimale de l'économie. Il met aussi en garde contre les politiques économiques basées sur le recours excessif à l'emprunt et à l'impôt. En effet, l'économiste met en évidence le risque d'une accumulation sans fin de la dette publique jusqu'à la faillite de l'état. Au coeur de sa démonstration, le principe des "équivalences ricardienne" : L'impôt et l'endettement sont un prélèvement sur les revenus privés et donc la demande privée. Mais bien souvent, la dépense publique qui s'y substitue est moins efficace. Dès lors, les ménages anticipent les inéluctables hausses d'impôts à venir pour rembourser les emprunts, et épargnent donc davantage, faisant encore baisser la demande privée.

La crise de la dette souveraine de 2011-2012, nous l'avons vu, c'est aussi une crise plus générale de la construction européenne, et notamment de la monnaie unique : l'euro. Se pose l'interrogation du rôle de la Banque Centrale Européenne (BCE), et de son rôle éventuel de prêteur de dernier ressort. Mais l'interrogation principale sur l'euro revient à s'interroger sur la définition de ce qu'est une zone monétaire optimale. C'est tout le sens des travaux récents de l'économiste canadien Robert Mundell. Celui-ci définit quatre critères : mobilité des travailleurs pour chercher du travail, liberté de mouvement du capital, économie diversifiée, système fiscal capable de transférer de l'argent. Au regard de ces critères, il parait évident que la plupart d'entre eux ne sont pas remplis, du moins pas complètement. L'euro s'est fait sans chercher une homogénéité de l'économie européenne. Dès lors, une des planches de salut si on veut sauver l'euro sera la convergence européenne en allant vers plus de fédéralisme. Difficile à mettre en oeuvre...

mardi 24 avril 2012

Des gens très bien d'Alexandre Jardin

Des gens pas bien. C'est plutôt ainsi qu'aurait dû s'intituler ce livre. Car dans Des gens très bien d'Alexandre Jardin, nous avons plutôt droit à un portrait au vitriol d'un certain nombre de personnages. Notamment un. Mais qui sont ces personnages ? Des dignitaires du régime de Vichy, notamment Pierre Laval et René Bousquet. Mais quand se situe les évènements ? Le 16 juillet 1942 très précisément. Ce jour là, sur ordre du chef de gouvernement, Pierre Laval, le secrétaire général de la police, René Bousquet, procède à l'arrestation d'environ 13 000 juifs, dont 4 000 enfants. Ce sont les tristement célèbres rafles du Vel d'Hiv. On comprend peut être un peu mieux maintenant le réquisitoire sans concession du livre. A un détail près. Le nom du protagoniste principal du livre : Jean Jardin. Jardin ? Oui, comme le nom de l'auteur. Alexandre Jardin a, ici, mis en scène son propre grand père. Pour quelle raison ? Il était à l'époque directeur de cabinet de Pierre Laval, c'est à dire le plus proche collaborateur du chef du gouvernement de Vichy, et à ce titre conseiller très influent. Toute la trame de l'Histoire va donc être l'interrogation d'Alexandre Jardin sur le rôle de son grand père lors de ce sinistre épisode.

Qui est Jean Jardin ? Un homme de réseau ayant commencé une carrière dans la haute fonction publique dans les années 30. En cette période trouble, il est alors un pacifiste convaincu et fait parti de la mouvance du parti radical. Pendant la guerre, avec l'occupation allemande et la mise en place du régime de Vichy, il prend de l'importance, jusqu'à devenir le directeur de cabinet de Pierre Laval, alors chef du gouvernement de Vichy. Il est donc une sorte d'éminence grise et d'homme de confiance pour les missions délicates. Au coeur du pouvoir lors des rafles du Vel d'Hiv du 16 et 17 juillet 1942, sa responsabilité pose question.

Alexandre Jardin se lance donc ici dans une vaste enquête, même si malheureusement les éléments concrets tardent à venir, alors que le ressentiment envers son aïeul s'exprime très largement et sans nuance. Le livre est en cela extrêmement dérangeant. Car plutôt qu'une enquête sérieuse et scientifique, c'est plutôt un réquisitoire contre son propre grand père et sa propre famille que nous propose l'auteur. Tout est sujet à dénigrement. Presque à chaque phrase. Comme si l'auteur voulait expier une faute qu'il n'avait pas commis. Le grand père n'est d'ailleurs pas seul à prendre. Le propre père d'Alexandre Jardin, Pascal Jardin, est aussi cloué au Pilori dans le livre. Pascal Jardin, écrivain également et aujourd'hui disparu, est ainsi accusé d'avoir donné de Jean Jardin une image faussée dans ses livres La guerre à 9 ans, mais surtout Le Nain Jaune, surnom de Jean. Et c'est donc avec beaucoup de détermination que le petit fils va se charger ici de rétablir la vérité qu'on a voulu cacher : oui, son grand père était antisémite et un salaud de collabo !

Alexandre Jardin mène donc, tout au long du livre, une instruction exclusivement à charge. Et même très à charge. C'est d'autant plus aisé pour lui que le principal inculpé, son grand père Jean, est mort en 1976. Et le témoin menteur, son père Pascal, a disparu en 1980.  Nous n'avons donc guère que la version d'Alexandre Jardin, qui s'appuie sur des souvenirs, des témoignages, des archives trouvées dans le grenier de ces grands parents. Mais on sent que l'auteur veut à tout pris que son grand père soit coupable. C'est en cela un livre extrêmement dérangeant, car quelque soit la responsabilité de son grand père dans ce tragique évènement, on a rarement vu petit fils entreprendre une telle entreprise de démolition contre son propre grand père, et dans une moindre mesure son propre père. J'ai en mémoire le livre de Dominique Jamet, Le petit Parisien, qui dressait un portrait extrêmement sombre de son père Claude Jamet, socialiste et partisan de la collaboration pendant la guerre. Mais c'est bien le seul exemple qui me vient en tête.

Pourquoi "des gens très bien" alors ? Simple ironie ? Pas uniquement. Et c'est peut être la partie intéressante du livre. En effet, la question des camps de concentration et de la Shoah pose la question du caractère monstrueux de tous les acteurs qui ont oeuvré à cette industrie de la mort. Et Jardin met en évidence leur déconnexion complète avec les actes accomplis. Ainsi, qu'ils soient chefs de camps, gardiens SS ou hauts fonctionnaires à Vichy, tous ont le sentiment de faire au contraire le bien, et d'agir avec humanité. L'auteur raconte par exemple cette exemple édifiant sur le front de l'est, où les colonnes de SS liquidaient sur leur chemin des familles entières. Or, un officier SS fut choqué du fait que l'on liquidait les mères avant leurs enfants, comble de la cruauté pour lui. Il ordonna donc de procéder d'abord à l'élimination des enfants, puis ensuite à celui des mères. L'officier eut ainsi le sentiment d'agir avec humanité au coeur de l'horreur et donc d'être quelqu'un de bien. De même, dans une mise en scène imaginé à la fin du livre, le nain jaune explique à l'auteur qu'il agit pour le mieux avec ses rafles de juifs, avec l'espoir de voir revenir les soldats prisonniers en Allemagne.

Pour le reste, Alexandre Jardin va exhumer un à un ses souvenirs d'enfance dans la propriété Suisse de Vevey, pour trouver trace de l'antisémitisme de son grand père, et de son implication dans le processus de décision de cette funeste journée du 16 juillet 1942. Car il en est persuadé, si la culpabilité s'est portée sur Pierre Laval et René Bousquet, le nain jaune était forcément au courant et doit donc être reconnu coupable. D'ailleurs, vers la fin de l'ouvrage, il semble que certaines pièces d'archives, très récemment exhumées par une historienne, viennent confirmer sa thèse. A partir de là, la question ultime de sa traque devient : Savait il pour les camps de concentration et d'extermination ? Et là encore, les récents documents d'archives pourraient en partie confirmer sa thèse. Néanmoins, l'interprétation d'Alexandre Jardin reste sujet à caution. Les grands historiens spécialistes de l'époque, Azéma ou Rousso n'ont pour l'instant par confirmer l'éventuelle participation de Jean Jardin à l'épisode de la rafle du Vel d'Hiv.

Le style du livre est vif et percutant, avec une plongée très intimiste dans une famille qui n'en finit pas de régler ses comptes. Cela étant, le livre reste choquant par cette volonté d'enfoncer ainsi ses aïeuls dans la culpabilité par un réquisitoire à charge d'une rare violence, et sans qu'aucun droit élémentaire de la défense ne soit respecté. Alexandre Jardin en fait trop, beaucoup trop. Qu'il ne soit pas particulièrement fière du passage de son grand père à Vichy aux côtés de Pierre Laval, on peut aisément le comprendre. Mais la l'hypothétique culpabilité de son grand père (jamais prononcée), ne mérite peut être pas qu'il jette ainsi sur un chemin de croix dans l'espoir d'une rédemption. Qui peut assurer, en remontant un peu dans son arbre généalogique, n'avoir aucun ancêtre qui n'est quelque chose à se reprocher ? Sur le plan purement historique, le livre dévoile néanmoins quelques intéressantes nouvelles sources, qui montrent que cette parenthèse sombre de l'histoire de France n'a pas encore levé tous ses secrets. Le livre a cependant occulté un point qui est tout sauf anecdotique : La France est occupée par les allemands, et ce sont bien les nazis qui ont décidé et planifié la solution finale. Même s'ils ont pu être aidés par quelques politiciens et hauts fonctionnaires zélés...

lundi 23 avril 2012

Les enseignements du premier tour

Le verdict est tombé hier soir. A 20h pour beaucoup, un peu avant pour les aficionados des "réseaux sociaux" comme on dit. A peine les estimations annoncées, les instituts de sondages en prenaient, comme souvent, pour leur grade. Coupable de s'être une fois de plus trompé. Ils auraient sous-estimé la participation, plus forte que prévue, sous-estimé le vote Marine Le Pen, et au contraire surestimé le vote Jean-Luc Mélenchon. Certes. Mais avouons objectivement que tous les instituts avaient au moins trouvé l'ordre d'arrivée de tous les candidats, et à peu près l'ordre de grandeur de leur score. Donc arrêtons la mauvaise foi. Les sondages se sont, par le passé, bien davantage trompés.

Examinons maintenant les résultats. Le candidat socialiste, François Hollande, est en tête. C'est donc plutôt un succès pour lui. Néanmoins, par rapport aux études de ces dernières semaines, son résultat est légèrement en deçà de ce qui était attendu. De plus, si la gauche progresse par rapport à 2007, elle reste encore minoritaire en France. Nous y reviendrons. Le président sortant talonne quant à lui le socialiste. 1,5 point seulement les sépare. C'est néanmoins un désaveu certain pour Nicolas Sarkozy, premier président sortant à ne pas arriver en tête au premier tour lors de sa campagne de réélection, et qui est en repli de 4 points par rapport à 2007. Le bloc de droite modérée, au contraire de celui de gauche, baisse. Deuxième tour très délicat en perspective pour le candidat Sarkozy. Mais l'évènement de la soirée reste le score très important de Marine Le Pen. Si elle ne parvient pas à atteindre le deuxième tour, ses 18% la positionne en situation de force. Ses voix sont incontournables pour faire l'élection. 

Au rayon des déceptions, il y a tout d'abord Jean-Luc Mélenchon. Avec 11% des voix, le Front de Gauche échoue à devancer Marine Le Pen, et est clairement en position de faiblesse dans la perspective d'une négociation avec le PS pour les élections législatives. Il faut croire que les médias et les sondeurs s'étaient plus emballés que les électeurs pour le "Robespierre de plein air" comme le surnomment certains. Autre déception, le score de François Bayrou. Le leader centriste pointe à seulement 9% des voix, contre 18% en 2007. C'est la chute la plus spectaculaire, probablement victime d'un positionnement trop raisonnable dans une élection qui ne l'est pas forcément. Il reste néanmoins un élément incontournable pour faire basculer l'élection, mais il ne pèsera pas dans les négociations éventuelles comme il aurait pu le faire en 2007 s'il avait suivi cette stratégie. Adieu un éventuel poste de premier ministre. 

Pour les autres candidats, leurs scores ne pèsent presque rien dans le jeu politique de second tour, tant l'élection s'est polarisée sur les 5 premiers candidats. C'est donc sans trop de regrets que nous disons adieu aux gaffes d'Eva Joly, aux facéties de Philippe Poutou, à Monsieur tout-est-de-la-faute-de-l'euro Dupont-Aignan, à l’orthodoxie communiste de Nathalie Arthaud, ou aux rêves martiens de Jacques Cheminade. On a l'étrange impression qu'une nouvelle campagne électorale commence. Il était temps !

Qu'en est-il pour le second tour ? Pour cela examinons un peu le rapport de force politique. En analysant les chiffres de ce premier tour, et en les comparant à 2007, on abouti à quelques conclusions. Tout d'abord, on observe une hausse de l'extrême gauche, des écologistes et du parti socialiste. Si le bloc de gauche totalisait en 2007 environ 36%, il passe désormais à 44%. Plusieurs remarques à ce propos. Ce score est très élevé pour la gauche, et peut annoncer une victoire au deuxième tour. Néanmoins, lors de l'alternance de 1981, son score était de 46%, sans compter, à l'époque, les 4% des écologistes. La gauche pesait aussi 46% en 1974, quand François Mitterrand échoua pourtant contre Valéry Giscard d'Estaing. Comparons maintenant ce score au bloc de droite. Celui-ci est plus difficile à définir. Doit-on compter le Front National ou le Modem ? Si on fait le total de la droite modérée (Sarkozy, Dupont-Aignan)  et du score de Marine Le Pen, on obtient environ 47% contre 44% pour la gauche. Paradoxalement le total droite augmente, puisqu'il est passé de 45% à 47% entre 2007 et 2012. Les 9% de Bayrou restant juge arbitre. La France n'est donc pas majoritairement à gauche.

Est-ce à dire que Nicolas Sarkozy conserve des chances de victoire au second tour ? Oui, mais peu. En effet, l'électorat de Nicolas Sarkozy et celui de Marine Le Pen ne sont pas si semblables. L'un est plutôt libéral, classes moyennes et supérieures et pro-européen, quand l'autre est plutôt anti-libéral, classe populaire et anti-européen. Les reports de voix ne sont donc pas aussi systématiques qu'à gauche, ou le seul anti-sarkozysme  suffit à fédérer les électorats socialistes et Front de Gauche, pourtant eux aussi assez différents. Sans compter Marine Le Pen qui savonne clairement la planche du président sortant pour préparer une OPA sur la droite après l'élection. Dans ces conditions, comment Nicolas Sarkozy peut-il gagner ? Un rapide calcul permet d'évaluer les reports de voix nécessaires. Il faudrait ainsi qu'au moins 50% des électeurs de Bayrou penche pour Sarkozy, ainsi que les deux tiers de ceux de Marine Le Pen. C'était d'ailleurs à peu près les reports observés sur le candidat Sarkozy en 2007. La tâche n'est donc pas impossible, mais cela semble néanmoins extrêmement difficile. Les premières études de reports de voix ne sont, pour l'instant, pas du tout suffisantes, et deux semaines ne permet guère de faire bouger sensiblement les lignes. Qu'en est il pour François Hollande ? La situation est plus confortable, car les reports de voix de l'extrême gauche sont bons. Néanmoins, pour faire son élection, il devra rallier une part de l'électorat de Bayrou, mais aussi, une fraction de celui de Marine Le Pen ! Aussi surprenant que cela puisse paraître, si l'on accuse Sarkozy de vouloir se faire réélire avec les voix du Front National, c'est François Hollande qui sera probablement élu, avec une fraction des voix de la candidate d'extrême droite. 

Reste que l'étude de la carte électorale apporte des informations intéressantes. Les territoires de droite et de gauche sont extrêmement marqués. François Hollande est en tête en Bretagne, dans tout le Sud-ouest, le Nord et la Picardie, ainsi que le Massif Central. Nicolas Sarkozy a perdu certains bastions, mais reste en tête en Normandie, dans la Champagne-Ardenne, l'Alsace, la Lorraine, la Savoie et le Sud-est. Des études qualitatives, réalisées à la sortie des urnes, donnent également un éclairage intéressant sur le vote des Français. Avec quelques paradoxes. Ainsi, si Jean-Luc Mélenchon s'adresse à l'électorat ouvrier, c'est surtout les urbains bobos qui lui ont apporté leurs suffrages. Le vote ouvrier, c'est une fille de famille bourgeoise qu'il l'a obtenu, Marine Le Pen. Nicolas Sarkozy a basé sa campagne électoral principalement sur la valeur travail. Mais c'est finalement chez les retraités et plus de 65 ans qu'il a eu le plus de succès. Les cadres supérieurs ont préféré  François Hollande, alors qu'ils sont particulièrement visés par les hausses d'impôts au programme du candidat socialiste. Le phénomène "bobo" dans les centres villes a largement profité à la gauche. Elle est en tête dans de nombreuses villes (dont Paris), alors que les résultats sont plus favorables à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen dans les campagnes. Plus classique, le vote des catholiques pratiquants est allé à droite, chez Nicolas Sarkozy. Les hommes ont voté majoritairement Hollande, et les femmes majoritairement Sarkozy. Enfin, s'agissant des primo-votants, les 18-24 ans, il semble que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy devance François Hollande d'une courte tête sur cet électorat. Mais le candidat socialiste semble majoritaire sur l'ensemble de l'électorat de moins de 35 ans.

Il reste maintenant quelques jours avant le verdict final. Le président sortant, toujours donné battu dans les sondages, pense encore tout changer avec le débat d'entre deux tours. Il a sans doute tort. Celui-ci n'a, par le passé, jamais inversé la tendance. Mais quand on est donné battu, on se raccroche à tout. Espérons, en tout cas, que le débat s'élève un peu dans les jours qui viennent, et que le vote ne soit pas seulement un référendum anti-sarkozy. Mais bon j'ai comme un doute...

mardi 17 avril 2012

De La Concorde au Château de Vincennes

Dimanche dernier, Nicolas Sarkozy et François Hollande réunissaient leurs troupes pour une dernière démonstration de force avant le premier tour de l'élection présidentielle. L'enjeu était évidemment très différent pour les deux hommes. Pour Nicolas Sarkozy, c'était clairement le meeting de la dernière chance, alors qu'il est toujours largement distancé dans les sondages de deuxième tour, et semble incapable d'inverser la spirale de la défaite qui s'abat inexorablement sur lui. Pour François Hollande, c'était surtout l'occasion de montrer enfin cette ferveur qui manque tant à sa campagne, et ne pas laisser le monopole de celle-ci à Jean-Luc Mélenchon. Car si les deux candidats se sont retrouvés dehors par ce dimanche glacial, c'est bien à cause du candidat du Front de Gauche, qui a fait des meetings en plein air sa marque de fabrique, avec notamment ceux de la place de la Bastille à Paris, du Capitole à Toulouse, ou de la plage du Prado à Marseille. Ironie du sort, alors qu'on nous avait promis une campagne facebook et twitter, on revient finalement encore aux vieilles recettes des grandes réunions publiques.

Côté socialiste, curieux choix que le Château de Vincennes pour tenir son meeting électoral. La gauche est plus coutumière des places de l'est parisien : Bastille, République, Nation. Manque de chance, Mélenchon avait déjà "pris" la Bastille il y a un mois. Restait République et Nation, dont le trajet est bien connu des milieux syndicaux et associatifs, pour y tenir des manifestations régulières. Peut être par souci logistique, ou pour éviter le mélange des genres, François Hollande a préféré le château de Vincennes. Il a au moins le mérite d'être en bordure de l'est parisien, fief de la gauche. Pourtant, le choix peut surprendre. Un peu d'Histoire pour cela.

Initialement simple pavillon de chasse, aménagé par le roi Louis VII, Vincennes se développe avec la construction de la Sainte Chapelle par Saint Louis, puis par un nouvel aménagement de Charles V. Louis XI en fit le siège du pouvoir royal dans le nouveau pavillon et François Ier y résida lors de ses passage à Paris. Louis XIII y passera sa jeunesse, et Louis XIV une partie de son règne. Bref une résidence royale. A partir du XVIII ème siècle, le donjon du château fut aménagé en prison. Y séjourneront notamment des grands esprits du siècle des lumières, tel Voltaire ou Diderot, ainsi que des républicains de gauche du XIX ème, comme Blanqui ou Barbès.  Reconverti en Arsenal, il servit de quartier général en 1940 au général Gamelin, en charge de la défense de la France face aux azis. Avec le résultat qu'on connait. Enfin, dernier fait notable, le Général de Gaulle envisagea dans les années 1960 de transférer la présidence de la république de l'Elysée vers le château de Vincennes. Projet qui ne vit jamais le jour. Bref pas grand chose là dedans à raccrocher à la liturgie de la gauche.

Côté meeting, la foule des grands jours. Drapeaux Français, du PS, du PC, des régions, de "Vivement mai" et pancartes de soutien à François Hollande. Pour le discours, de l'anti-sarkosysme, moteur de sa campagne, et un récapitulatif des propositions du candidat. Mais aussi une historiographie de la gauche. Tout y passe. Les lumières, les révolutions de 1789, de 1830, de 1848, la commune de Paris en 1871, Léon Blum et le Front Populaire de 1936, Raymond Aubrac et la résistance, Pierre Mendès-France et ses fameux sept mois au pouvoir, évidemment François Mitterrand et l'alternance en 1981, et enfin Lionel Jospin et sa majorité plurielle de 1997. Manque Jaurès dans le fil de l'Histoire, mais François Hollande allait le lendemain à Carmaux pour un hommage tout particulier. Et dans cette épopée de la gauche, le candidat socialiste se verrait bien en héritier de tout ça le 6 mai prochain.

A droite, c'est à la place de la Concorde que Nicolas Sarkozy avait donné rendez vous à ses supporters. La droite a peu l'habitude des manifestations et démonstrations de force en pleine air dans Paris. Le choix de la Concorde tombait sous le sens. Dans l'Histoire, la gauche a déjà ses places fortes à la Bastille (10 mai 1981) et à République et Nation (Manifestations en tout genre). Restait donc la Concorde, entre l'assemblée nationale, les Tuileries et les Champs Elysées, et surtout non loin de l'Elysée et du ministère de l'intérieur. Bref les lieux de pouvoir. Pour l'image, la droite tient donc encore (fébrilement) les lieux de pouvoir, pendant que la gauche est dans le bois en bordure de Paris et s'apprête à rentrer dans la capitale pour prendre celui-ci. Bonne synthèse (consciemment ou inconsciemment ?) de la campagne par les protagonistes. Mais là encore, arrêtons nous quelques instants sur l'Histoire de la place de la Concorde.

Aménagé au XVIII ème siècle par l'architecte Gabriel, elle fut décorée en son centre par une statue équestre de Louis XV, sculptée par Bouchardon. Elle prit logiquement le nom de place Louis XV sous l'ancien régime. Elle prit ensuite le nom de place de la révolution et fut le lieu de passage de tous les révolutionnaires, mais aussi des condamnés à mort. C'est sur cette place que fut installée la guillotine pendant la terreur, et que périrent Louis XVI, Marie-Antoinette, et tant d'autres protagonistes de cette période (Madame Roland, Charlotte Corday, Danton...). A partir de 1795, la place prit le nom de place de la Concorde, nom qu'elle perdit et reprit plusieurs fois au cours du XIX ème siècle au gré des changements de régime (Empire, Monarchie, République...). C'est en 1833, que le roi Louis-Philippe décide l'installation de l'obélisque, cadeau fait par le vice-roi d'Egypte, Méhémet Ali. L'architecte Hirttorff aménagera encore la place sous Louis-Philippe, avec l'installation des deux gigantesques fontaines que l'on connait toujours. Révolutionnaire, la place faillit le redevenir le 6 février 1934, avec les ligueurs de l'Action Française tentant de s'emparer de l'assemblée nationale. Dans le prolongement des champs Elysées, la place a connu son heure de gloire à la libération de Paris en 1944 et le défilé de la victoire du Général de Gaulle. C'est encore les gaullistes qui investiront les Champs Elysées et la place de la concorde en 1968, à l'appel de Michel Debré et André Malraux, pour dire "Non à la chienlit". En 1995, Jacques Chirac y fête son élection. Imité en 2007 par Sarkozy. Initialement révolutionnaire, cette place est devenue, sans doute aussi par défaut, la place favorite de la droite. Cette place qui symbolise un mélange de république révolutionnaire et de monarchie libérale.

Pour ce qui est du meeting, une scénographie très soignée. La foule des grands jours là aussi, mais avec un seul drapeau à agiter : le drapeau tricolore. Un discours très axé sur les valeurs : nation, famille, grandeur de la France... Sur la liturgie maintenant, un discours dense et truffé de références historiques éclectiques.  Ici, on ne refait pas l'histoire de la droite. On pioche un peu partout dans l'imaginaire français. Citations de Charles Péguy, catholique socialiste, mais aussi de Victor Hugo, l'incarnation à lui tout seul de la république. Le souffle révolutionnaire de 1789 n'est pas absent. Il s'incarne dans la Bataille de Valmy de 1792, qui vit les armées de la république triompher des monarchies étrangères. La gloire de l'empire s'incarne avec Napoléon Bonaparte et le soleil d'Austerlitz. La France c'est bien sûr aussi la résistance et le "non" du 18 juin du général de Gaulle. La France résistance est aussi d'Outre mer, et c'est Aimé Césaire, le poète martiniquais qui est mis à l'honneur, perpétuant la tradition des Racine et Zola. Sans oublier les plus grandes plumes de notre Histoire, à l’instar de Molière, le dramaturge des caractères, Voltaire, le libre penseur, ou Chateaubriand, l'écrivain romantique royaliste... Du bon Guaino.

Au bilan de la journée, match nul. Les deux meetings ont, à leur manière, bien marché et se sont neutralisés. Mais l'enjeu était surtout pour chacun de fédérer son propre camp et assurer le score le plus haut possible au soir du premier tour. Car deux dangers guettent. D'abord l'abstention. Elle s'annonce record tant le rejet de la politique est profond actuellement. Et elle vise les deux camps. L'autre risque, dans un contexte de grande volatilité des électeurs, c'est clairement de se laisser déborder par l'offre alternative des extrêmes. Le Front de Gauche menace François Hollande d'un premier tour décevant et le Front National pourrait empêcher Nicolas Sarkozy d'arriver en tête dimanche prochain. La garantie d'une défaite au second.

Car, à quelques jours du premier tour, qu'en est il vraiment ? Clairement, les jeux semblent faits, sauf retournement, très improbable, de la situation. Sans génie mais sans grande difficulté, François Hollande devrait s'installer dans le fauteuil de président en mai prochain. Nicolas Sarkozy sent le vent de la défaite arriver, et se bat avec l'énergie du désespoir. Après avoir un peu réduit l'écart dans les intentions de vote, il semble incapable de renverser la table comme il le prédisait. La dynamique n'est plus là. S'il garde des chances d'arriver en tête le 22 avril au soir, les reports de voix du Modem et du Front National seront insuffisants. Son salut ne pourra venir que d'une abstention la plus forte possible, son électorat restant malgré tout le plus mobilisé et le moins volatile. Sa chance est aussi d'incarner jusqu'au bout ses valeurs et le régalien. Car, dès qu'il parle économie et réduction de la dette, il plonge dans les sondages. François Bayrou en fait l'amer expérience. Plus le candidat centriste parle des problèmes économiques, plus ses intentions de votes sont en chute libre. Curieux paradoxe. Les français, bien conscients des vrais problèmes, n'accordent cependant pas leurs suffrages à ceux qui en parlent le plus. Comme pour ne pas se réveiller de ce doux rêve qui prendra fin brutalement le lendemain du 6 mai 2012...

De la Concorde au Château de Vincennes...

samedi 14 avril 2012

150 idées reçues sur l'histoire (Collectif Historia)

Chacun pense avoir des notions de notre Histoire. Au moins quelques grandes dates, quelques grandes inventions, quelques batailles fameuses. Les principaux personnages de notre Histoire sont eux aussi connus, et très souvent facilement catalogués. 

Ainsi, dans l'esprit de beaucoup, le roi Louis XVI était petit, gros et benêt, Henri IV un roi très populaire, Molière est mort sur scène en jouant le malade imaginaire, Jeanne d'Arc était une bergère, l'imprimerie fut inventée par Gutenberg et Christophe Colomb a découvert l'Amérique. Il est aussi généralement enseigné que le révolutionnaire Marat fut assassiné par une royaliste exaltée, Charlotte Corday, ou encore que la terreur et la guillotine de 1793 s'abattirent uniquement sur la noblesse. Dans l'Histoire plus récente, il est généralement admis que la gauche défendit la thèse de l'innocence dans l'affaire Dreyfus, de même qu'elle combattit farouchement la colonisation...

Pourtant toutes les vérités précédemment énoncées sont fausses, bien qu'elles soient considérées comme des lieux communs par beaucoup d'Historiens amateurs. En réalité, ce ne sont que des idées reçues, partiellement où totalement fausses, mais que l'Histoire s'est chargée de travestir au fil du temps. La rédaction du magazine Historia, dans un ouvrage collectif, a donc décidé de faire la chasse aux idées reçues pour rétablir certaines vérités. 150 idées reçues sur l'Histoire nous réserve donc pas mal de surprises, et met à mal les visions historiques souvent simplistes et politisées que l'on entend trop souvent. Le style est très synthétique et sans parti pris, idéal pour aller à l'essentiel et comprendre les éléments qui permettent de démonter l'idée reçue en question. 150 questions sont ainsi balayées, depuis l'âge des cavernes à nos jours, pour donner un nouvel éclairage à notre Histoire. Le seul regret réside peut être dans l'absence de bibliographie, ne permettant pas de connaitre les travaux d'historiens auxquels se sont référés les auteurs pour la rédaction de l'ouvrage. Sans doute une volonté de vulgarisation pousser un peu à l'extrême.

Loin de moi l'idée de balayer tous les sujets traités. Je renvoie pour cela directement à la lecture du livre. Je me contenterai donc de citer quelques exemples d'idées reçues, parmi les plus connues ou révélatrices.  

Qui n'a pas entendu parler de Charles Martel chassant les arabes à Poitiers en 732 ? Cette bataille n'a en réalité pas mis fin à l'invasion de la France par les sarrasins, car l'invasion en question n'existait pas. Elle ne fut donc pas une bataille à proprement parler, mais plutôt une escarmouche mettant fin à un raid de guerriers arabes dans le sud de la France. Mais cette victoire de Charles Martel permit de conforter le pouvoir et le prestige des premiers carolingiens, et notamment de son fils Pépin le Bref. Et ce n'est qu'au 19 ème siècle que cette bataille sera remis au goût du jour, pour exalter le nationalisme, mais aussi la colonisation du Maghreb par la France. Les prédécesseurs du roi Pépin le Bref justement, étaient les derniers mérovingiens. Pour assoir la dynastie corolingienne, on véhicula des derniers mérovingiens l'image, souvent fausse, de rois fainéants. Ils ne l'étaient en réalité pas plus que les autres. Dans la même lignée, qui n'a pas entendu parler de Roland, tué à Roncevaux par les sarrasins. Les exploits du neveu de Charlemagne ont été racontés dans La Chanson de Roland. Mais en réalité, Roland fut tué par des Basques, et non par des sarrasins. Dans une logique d'unification du royaume capétien, avec l'intégration de la Gascogne dans le royaume, il était préférable de faire porter le chapeau à un ennemi commun, les sarrasins...

On entend généralement dire que Louis XVI était un roi petit, gros et benêt. Il mesurait pourtant plus de 1m90, était passionné de sciences, de techniques et d'explorations, et initia des réformes tardives mais  courageuses, avec l'aide notamment de Turgot, pour réformer le pays. Le symbole de la révolution est évidemment la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Jour devenu fête nationale. Sauf qu'en réalité, la fête nationale française célèbre la fête de la fédération du 14 juillet 1790, et non la prise de la Bastille. Bastille, prison symbole du pouvoir royal arbitraire, mais qui n’incarcérait plus, à l'époque, que des fous et des faux monnayeurs. La révolution, c'est aussi la terreur avec en pointe Robespierre, avocat originaire d'Arras. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il avait milité activement avant cette période sombre pour l'abolition de la peine de mort. Un autre exalté de la révolution, Marat, finit lui assassiné dans sa baignoire par Charlotte Corday. Celle-ci n'était pas royaliste comme on le pense, mais partisans des girondins, un groupe de révolutionnaires modérés, s'opposant aux exactions de la terreur. Parlons en de cette terreur. Elle devait couper la tête de la noblesse française. Pourtant, 80 % des victimes de cette période venaient du tiers état, et une très large minorité seulement de la noblesse.

La fin du XIX ème siècle est également propice en idées fausses. Ainsi, le second empire de Napoléon III est-il largement décrié. Pourtant, c'est à cette période que furent initiées les plus grandes transformations de notre pays : construction des lignes de chemin de fer, aménagement des villes, avancées sur le droit syndical. Le régime fut très décrié par Victor Hugo et son pamphlet Napoléon, le petit. Mais qui se souvient que l'auteur et dramaturge de notre panthéon républicain fut un royaliste exalté sous Charles X et Louis Phillippe Ier, et un bonapartiste fervent, soutenant Napoléon III à ses débuts. L'exil du Hugo et son opposition aurait plus à voir avec un portefeuille ministériel qui ne se serait pas présenté à lui. La grande controverse de la fin du XIX ème, c'est bien sûr l'affaire Dreyfus. Dans l'imaginaire collectif, la gauche vola au secours du capitaine condamné à tort, pendant que la droite nationaliste soutenait la thèse de sa culpabilité. L'examen de documents de l'époque montre que la gauche a d'abord largement cru à la culpabilité du capitaine Dreyfus, que ce soit le radical Georges Clémenceau ou les socialistes Jean Jaurès et Jules Guesde. Ils ne se battront que plus tard pour faire reconnaître son innocence. Le premier convaincu de l'innocence est Emile Zola, qui publie ses premiers articles dans le Figaro, un des quotidiens de référence de la presse de droite. De même, la gauche n'a pas toujours été anti-colonialiste. C'est même elle qui a soutenu au XIX ème siècle le principe de la colonisation par les "races supérieurs" des "races inférieurs", comme le préconisait en ces termes Jules Ferry, et plus tard Léon Blum. Ils trouvèrent face eux les libéraux qui estimaient que l'aventure coloniale coûtait trop cher, et les nationalistes, qui ne juraient que par la reconquête de l'Alsace et la Lorraine.

Quelques grandes idées du XX ème volent également en éclat si on y regarde de plus près. Dès 1940, le  chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval, adopta les premières lois antisémites avant même les demandes de l'occupant nazi. Le parti communiste français se surnomma à la libération en 1944 le parti des 75 000 fusillés, en référence à son implication dans la résistance. Mais qui se souvient que jusqu'à 1941, et la fin du pacte de non agression germano-soviétique, la ligne officielle du parti communiste était plutôt la collaboration avec l'occupant allemand. 20 ans après la fin de cette guerre, l'idée se répandit que le Pape XII était antisémite et aurait eu un silence coupable face à l'extermination des juifs. De nombreux témoignages et documents montrent le contraire. Le Pape a bien condamné à de multiples reprises le régime nazi et, dans la discrétion, sauva des centaines de milliers de juifs des camps de la mort. Pourquoi telle suspicion alors ? A cause d'une pièce de théâtre, le Vicaire, montée de toute pièce, en réalité, par la propagande soviétique. Le XX ème siècle, c'est aussi la guerre froide, et notamment l’espionnage. Une affaire va bouleverser dans les années 50 : l’exécution aux Etats Unis du couple Rosenberg pour espionnage aux profits des Russes. Si l'application de la peine capitale est condamnable, il n'en demeure pas moins qu'il est bien prouvé qu'ils avaient effectivement espionné sur les projets de radars américains au profit des communistes, contrairement à ce qu'eux, et leurs soutiens, affirmaient. Un autre grand mythe du siècle : Che Guevara. Idole des jeunes révolutionnaires et des gourous du marketing, son parcours fait pourtant froid dans le dos. Avec la prise de pouvoir de Fidel Castro à Cuba, en 1159, le Che exerce une répression sanglante contre les opposants du nouveau régime, n'hésitant pas à présider des parodies de procès et à diriger lui même les pelotons d'exécutions.

Beaucoup d'autres exemples étonnants sont référencés dans le livre. Ce que l'on comprend aisément à  SA lecture, c'est l’instrumentalisation qu'on a pu faire de l'Histoire à des fins idéologiques et politiques. Ainsi, l'unification d'un pays ou d'un royaume passe par la désignation d'un ennemi commun. La légitimation d'un pouvoir suppose de discréditer le pouvoir précédent. Les erreurs du passées doivent être gommées par une propagande intensive et rejetant la faute sur d'autres. La réputation d'un souverain peut être ternie par des courtisans non suffisamment bien servis. Enfin, un obscur évènement peut être déterrer des siècles plus tard à des fins biens utiles. Ainsi va l'Histoire, ou plutôt, l'utilisation de l'Histoire.

Milan Kundera disait ceci : "Dans les régimes totalitaires, le passé est plus imprévisible que l'avenir".


jeudi 5 avril 2012

Une campagne n'importe quoi !

Avec le franc parler qu'on lui connait, le député européen EELV Daniel Cohn Bendit a lâché le sentiment de beaucoup à l'égard de la campagne présidentielle en cours : "On s'emmerde" et "Cette campagne, c'est n'importe quoi". C'est dit ! Qu'on "s'emmerde" passe encore. Après tout, si les débats étaient d'un haut niveau, et peu accessibles, il peut au final en ressortir de bonnes choses. Mais ce n'est pas le cas. Car cette campagne, c'est effectivement "n'importe quoi".

Et ce ne sont pas les sujets qui manquent. Commençons par le favori des sondages, François Hollande. Parti très tôt en campagne, avec un programme de 60 propositions, le candidat socialiste laisse dubitatif. Il reste empêtré dans un accord avec EELV sur la fermeture des centrales nucléaires. L'accord prévoit la fermeture de 24 centrales. Le candidat affirme qu'une seule sera fermée, Fessenheim. Quid des 23 autres ? Des travaux d'abord puis un démantèlement progressif. Quand alors ? Lors d'un second mandat ? Mystère. Et pourquoi Fessenheim ? Parce qu'elle est en zone sismique. Pourtant, on ne peut pas dire que ceci est posé problème jusqu'à présent. L'Alsace n'est pas non plus la zone sismique la plus à risque du monde. Concernant son programme économique, on ne peut que s'étonner de sa légèreté. Sur le rétablissement des comptes publiques, presque aucune économie de fonctionnement de l'Etat, et même des dépenses supplémentaires. Et pour les recettes alors ? Il fera payer les riches et les grosses entreprises. Pas les classes moyennes ? Non promis juré. Qui peut croire de telles mensonges ? Le compte n'y est pas monsieur Hollande, et vous le savez très bien.

Son principal challenger, Nicolas Sarkozy ne fait pas forcément mieux. Sa grande trouvaille de la campagne, ce sont les référendums. On va en faire pour tout. Pour les droits des chômeurs, pour l'immigration et que sais je encore... Comme si les français avaient déjà répondu à la question réellement posée lors des précédents référendums. Et comme si les sujets du chômage et de l'immigration étaient de nature à être traités par référendum. Et surtout, comme si Nicolas Sarkozy allait réellement mettre en oeuvre ces référendums. Côté programme, contrairement à François Hollande qui a mis toutes les propositions sur la table dès le départ, le président sortant le fait au compte goutte. Soit pourquoi pas. Mais là où le candidat socialiste a (mal) chiffré son projet, le candidat de droite s'en est affranchi. Il semble vouloir se rattraper aujourd'hui lors de la grande présentation de son programme. Soit, mais à deux semaines du premier tour, ça fait vraiment léger.

Et puis il y a le candidat qui monte, Jean-Luc Mélenchon. Le leader du Front de Gauche est porté par une dynamique certaine. Son talent de tribun fait effet et les meetings sont pleins. Mais pour faire quoi ? Pour entendre quoi ? Pour jouer un dimanche de mars un piètre remake de la prise de la Bastille? Deux siècles après sa démolition. Quelle est la prochaine étape pour ce nouveau Saint Just ? Couper la tête d'un roi ? Car économiquement, il y a peu à commenter, si ce n'est la création de 14 tranches pour l'impôt sur le revenu, pour être certain de bien tout prendre jusqu'au dernier centime. Quant à la crise de la dette, c'est la faute des méchants banquiers et des méchants riches. Conséquence, au-dessus de 360 000 euros de revenus par an, on prend tout. Punition. Qui peut croire que si cette mesure était adoptée elle réglerait le problème ? En attendant on promet des lendemains qui chantent, des SMIC à 1700 euros et compagnie...

Autres candidats plutôt bien placés, Marine Le Pen et François Bayrou. Le candidat du Modem semble tenir un discours raisonnable et mesuré sur les grands enjeux du pays, à savoir notamment sur la situation de la dette et de l'emploi. Cependant, au delà du discours, on se rend compte très vite qu'il n'y a pas de stratégie économique ni de propositions concrètes pour rééquilibrer les comptes du pays. Et lors d'une interview télévisée récente, il a contesté défendre une mesure sur l'extension d'attribution des bourses d'étude. Mesure qui figurait pourtant noir sur blanc dans son programme sur son site web. Quand les candidats ne connaissent même pas leur programme...

Pour la candidate du Front National, le problème est un peu différent. Elle connait son programme, mais semble avoir ignorée les rouages basiques de l'économie pour le construire. Lors de l'émission Des paroles et des actes, le journaliste économique François Lenglet l'interroge sur la sortie de l'euro, mesure phare de son programme. Celle-ci se lance alors dans une fumeuse démonstration sur les gains, en terme de compétitivité, d'un retour au franc. Mais quand le journaliste l'interroge sur le risque d'une dévaluation pour l'épargne des ménages, elle rassure : un franc = un euro. Sauf que dans ces cas là, il n'y a plus de dévaluation donc aucun gain de compétitivité. Et la candidate Front National semble, au passage, s'affranchir du régime flottant des monnaies. Un franc = un euro, ça ne durerait pas bien longtemps. Embourbée, Marine Le Pen préfère s'en prendre à Lenglet, forcément un europhile et libéral du système. Tellement facile quand on ne comprend rien à son propre programme.

Mais les "petits" candidats ne sont pas en reste. Au premier rang d'entre eux, tout le monde pense évidemment à Eva Joly, l'ancienne juge d'instruction, et candidate d'Europe Ecologie Les Verts. On ne pourra pas passer à côté de sa chute, à la sortie d'un cinéma, dimanche dernier. On lui souhaite évidemment bon rétablissement, mais on se dit quand même que pareille mésaventure ne pouvait arriver qu'à elle. A l'image de sa campagne. Cela vient couronner une succession de bourdes sans fin, dont l'avant dernière était sa confession publique, en plein meeting, de faire une mauvaise campagne ! Tout le monde le sait, mais elle aurait pu attendre quelques semaines quand même. Et cela s'ajoute à une succession quasi ininterrompue de bévues depuis sa nomination : Suppression du 14 juillet, "Je ne crois plus que je puisse devenir présidente", "On va me donner le ministère des sports", "Corinne Lepage, je l'emmerde"... Nadine Morano aurait-elle trouvé son maître ?

Les deux candidats trotskistes (pourquoi en faut-il deux d'ailleurs ?) sont également bien placés pour obtenir la palme. Honneur au femme, parlons d'abord de Nathalie Arthaud. Elle a la lourde tâche de succéder à Arlette Laguiller, 5 fois candidate à l'élection présidentielle, pour représenter Lutte Ouvrière. Du classique dans son programme : interdiction des licenciements et compagnie. Sauf que de son état civil, la candidate LO est professeur d'économie et de gestion. Ça laisse songeur de voir celle-ci formuler pareilles mesures, qu'on ne trouve évidemment dans aucun livre d'économie. L'autre candidat trotskiste, c'est Philippe Poutou, du NPA, le Nouveau Parti Anticapitaliste. Comme il peine à se faire connaitre, une fois sur deux, c'est Olivier Besancenot qu'on envoie dans les médias. On se demande lequel des deux est candidat. Mais quand Poutou vient en personne dans les studios de RTL la semaine dernière, on reste sans voix. Jean-Michel Apathie lui même semblait tomber des nues. Sur la question de la dette, le candidat NPA a la solution :  "On ne rembourse pas". Apathie relance : "Vous voulez dire qu'on ne rembourse pas les intérêts des emprunts". Poutou répond : "Oui...et le reste non plus". Le journaliste tombe par terre : "On ne rembourse rien !?". Poutou : "Non, rien. On fait comme les grecs". Tout est dit.

Enfin, un candidat est venu d'une autre planète : Jacques Cheminade. Après une première candidature en 1995, le voici donc de retour pour une nouvelle tournée. Et dans son programme, figure très officiellement le projet de coloniser Mars. Sauf qu'aux dernières nouvelles, sur cette planète, il n'y a pas d'air. Lui n'en manque pas en tout cas.

La semaine dernière un journal britannique tout ce qu'il y a de plus sérieux dénonçait le niveau pitoyable de la campagne électorale. The Economist titrait en effet à propos de la présidentielle française : France in denial. Avec en image de fond Hollande et Sarkozy en personnage du tableau d'Edouard Manet, Le déjeuner sur l'herbe. Oui, la France est dans le dénie. Mais corrigerons. Les français ne le sont pas, pour beaucoup. Et dans leur fort intérieur, les principaux candidats ne le sont pas non plus. Mais visiblement, il n'est pas possible de faire une campagne sérieuse et de vérité. Chaque candidat se regarde donc, attendant que l'autre fasse la faute, et parle le langage de vérité, ce qui signerait son arrêt de mort électoral. Résultat, la campagne est dans l'impasse, puisque les vrais enjeux et controverses de campagnes sont délibérément cachés aux électeurs. On est dans une situation assez surréaliste où la France, dans l'oeil du cyclone pendant des mois sur le problème de la dette et du AAA, "trésor national", parle maintenant de tout dans cette campagne, sauf de cela. Comme si cette élection était une courte période d'accalmie et de rêverie au milieu d'une tempête bien réelle. On escamote ainsi le seul sujet qui sera sur la table au lendemain de l'élection : la crise de la dette et l'inévitable plan de rigueur qui sera mis en place, quelque soit le vainqueur.

Une campagne n'importe quoi !

lundi 2 avril 2012

Le dictionnaire ouvert jusqu'à 22 heures (Collectif)

Étrange titre pour un ouvrage, et tout particulièrement pour un dictionnaire, que celui imaginé par l'académie Alphonse Allais. Leur parution s'intitule ainsi Le dictionnaire ouvert jusqu'à 22 heures. Mais ce titre donne en réalité une bonne idée de l'état d'esprit des rédacteurs de cette bien curieuse académie. 

L'ouvrage est en effet le fruit d'un collectif d'auteurs, membres de l'association des amis d'Alphonse Allais. A ce titre, ils nous proposent ici un dictionnaire digne de esprit du conteur normand de la fin du 19 ème siècle, resté célèbre pour ses calembours et traits d'humours. L'académie passe donc en revu un certain nombre de mots, volontairement choisis, s'attaquant aux noms communs, puis aux noms propres, comme un bon dictionnaire qui se respecte. Sauf que les définitions s'en trouvent quelque peu revisitées, avec un humour toujours fin et cultivé, mais aussi parfois très caustique. On joue ici beaucoup sur les mots et leurs contradictions, les nombreux paradoxes de la langue française, mais aussi la perfidie de l'esprit humain, allant parfois jusqu'à l'humour noir ou grinçant. Cet ouvrage est à déguster comme un bon verre de vin, par petite gorgée, pour en apprécier les jeux de mots savoureux qui ont traversé l'esprit de ses savants et brillants rédacteurs. N'hésitez pas à vous plonger vous aussi dans sa lecture. En guise d'amuse bouche, je reproduis ici quelques unes, parmi beaucoup d'autres, des définitions imaginées par l'académie. Peut être auront-elles un jour leur place aussi dans le Larousse ou Le petit Robert...

Apôtre : Compagnon de route biblique. Les apôtres qui manifestaient en faveur de Jésus étaient douze selon les syndicats et six selon la police. (GL)

Café : Breuvage qui fait dormir quand on n'en prend pas. (Alphonse Allais)

Chercheurs : Salarié qui fait grève en observant des arrêts de trouvailles. (PiD)

Climatologue : Professionnel de la météo qui prévoit le climat dans un siècle mais pas pour le prochain week end. (JDD)

Croque mort : Metteur en chêne. (MJ)

Diarrhée : Qui coule de source. (YC)

Facteur : Homme de lettres. (AM)

Jardinier : Pote aux roses. (PhD)

Fainéant : Collègue paresseux qui se refuse à faire mon travail. (JPD)

Gériatre : Médecin qui aime changer régulièrement de clientèle. (ACr)

Pelle : Matériel roulant. (AM)

Rides : Marques du temps qui, pour la femme, concernent surtout sa meilleure amie. (JJD)

Travailleur : Japonais sans appareil photo. (BM)

Berne : Capitale fédérale suisse. Spécialité de drapeaux funéraires . (CT)

Calvados : Département français au nom d'alcool, ce qui incita les américains à y débarquer. (JA)

Douala : Ville africaine où, paradoxalement, le pape a mis le préservatif à l'index (CT).

Google : Moteur à e-sens. (PhD)

Haute-Volta : Pays qui n'existe plus, situé plus au nord que la Basse-Volta qui n'a jamais existé. (JPD)

Lutèce : Nom de jeune fille de Paris (AM)

Man : Ile de Grande Bretagne où vivent aussi  des femmes. (JPD)

Néfertiti : Reine d'Egypte qui vivait au fond du couloir, à gauche. (JPD)

Pô : Fleuve italien autour duquel Fellini a passé son temps à tourner. (CT)

Roland-Garros : Haut lieu du tennis, où pluie battante et terre battue ne font pas bonds mais nage. (PiD)

Sartre : Philosophe existantialiste qui avait l'oeil de travers, l'oreille de Moscou et le nez de Camus. (JPD)

Tintin : Personnage de bande dessinée qui porte toujours un pantalon de Golf mais n'y joue jamais. (JPD)

Titicaca : Lac des Andes qui se jette dans le lac Poopo (authentique). (JPD)

Vichy : Ville de l'Allier, célèbre pour ses thermes, son eau minérale, ses pastilles de menthe et on aurait préféré que ce soit tout. (ACr)

Zavatta : Célèbre clown que l'on invoque pour s'enquérir de la santé d'autrui. (JPD)

(Entre parenthèse les initiales des auteurs)