samedi 14 avril 2012

150 idées reçues sur l'histoire (Collectif Historia)

Chacun pense avoir des notions de notre Histoire. Au moins quelques grandes dates, quelques grandes inventions, quelques batailles fameuses. Les principaux personnages de notre Histoire sont eux aussi connus, et très souvent facilement catalogués. 

Ainsi, dans l'esprit de beaucoup, le roi Louis XVI était petit, gros et benêt, Henri IV un roi très populaire, Molière est mort sur scène en jouant le malade imaginaire, Jeanne d'Arc était une bergère, l'imprimerie fut inventée par Gutenberg et Christophe Colomb a découvert l'Amérique. Il est aussi généralement enseigné que le révolutionnaire Marat fut assassiné par une royaliste exaltée, Charlotte Corday, ou encore que la terreur et la guillotine de 1793 s'abattirent uniquement sur la noblesse. Dans l'Histoire plus récente, il est généralement admis que la gauche défendit la thèse de l'innocence dans l'affaire Dreyfus, de même qu'elle combattit farouchement la colonisation...

Pourtant toutes les vérités précédemment énoncées sont fausses, bien qu'elles soient considérées comme des lieux communs par beaucoup d'Historiens amateurs. En réalité, ce ne sont que des idées reçues, partiellement où totalement fausses, mais que l'Histoire s'est chargée de travestir au fil du temps. La rédaction du magazine Historia, dans un ouvrage collectif, a donc décidé de faire la chasse aux idées reçues pour rétablir certaines vérités. 150 idées reçues sur l'Histoire nous réserve donc pas mal de surprises, et met à mal les visions historiques souvent simplistes et politisées que l'on entend trop souvent. Le style est très synthétique et sans parti pris, idéal pour aller à l'essentiel et comprendre les éléments qui permettent de démonter l'idée reçue en question. 150 questions sont ainsi balayées, depuis l'âge des cavernes à nos jours, pour donner un nouvel éclairage à notre Histoire. Le seul regret réside peut être dans l'absence de bibliographie, ne permettant pas de connaitre les travaux d'historiens auxquels se sont référés les auteurs pour la rédaction de l'ouvrage. Sans doute une volonté de vulgarisation pousser un peu à l'extrême.

Loin de moi l'idée de balayer tous les sujets traités. Je renvoie pour cela directement à la lecture du livre. Je me contenterai donc de citer quelques exemples d'idées reçues, parmi les plus connues ou révélatrices.  

Qui n'a pas entendu parler de Charles Martel chassant les arabes à Poitiers en 732 ? Cette bataille n'a en réalité pas mis fin à l'invasion de la France par les sarrasins, car l'invasion en question n'existait pas. Elle ne fut donc pas une bataille à proprement parler, mais plutôt une escarmouche mettant fin à un raid de guerriers arabes dans le sud de la France. Mais cette victoire de Charles Martel permit de conforter le pouvoir et le prestige des premiers carolingiens, et notamment de son fils Pépin le Bref. Et ce n'est qu'au 19 ème siècle que cette bataille sera remis au goût du jour, pour exalter le nationalisme, mais aussi la colonisation du Maghreb par la France. Les prédécesseurs du roi Pépin le Bref justement, étaient les derniers mérovingiens. Pour assoir la dynastie corolingienne, on véhicula des derniers mérovingiens l'image, souvent fausse, de rois fainéants. Ils ne l'étaient en réalité pas plus que les autres. Dans la même lignée, qui n'a pas entendu parler de Roland, tué à Roncevaux par les sarrasins. Les exploits du neveu de Charlemagne ont été racontés dans La Chanson de Roland. Mais en réalité, Roland fut tué par des Basques, et non par des sarrasins. Dans une logique d'unification du royaume capétien, avec l'intégration de la Gascogne dans le royaume, il était préférable de faire porter le chapeau à un ennemi commun, les sarrasins...

On entend généralement dire que Louis XVI était un roi petit, gros et benêt. Il mesurait pourtant plus de 1m90, était passionné de sciences, de techniques et d'explorations, et initia des réformes tardives mais  courageuses, avec l'aide notamment de Turgot, pour réformer le pays. Le symbole de la révolution est évidemment la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Jour devenu fête nationale. Sauf qu'en réalité, la fête nationale française célèbre la fête de la fédération du 14 juillet 1790, et non la prise de la Bastille. Bastille, prison symbole du pouvoir royal arbitraire, mais qui n’incarcérait plus, à l'époque, que des fous et des faux monnayeurs. La révolution, c'est aussi la terreur avec en pointe Robespierre, avocat originaire d'Arras. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il avait milité activement avant cette période sombre pour l'abolition de la peine de mort. Un autre exalté de la révolution, Marat, finit lui assassiné dans sa baignoire par Charlotte Corday. Celle-ci n'était pas royaliste comme on le pense, mais partisans des girondins, un groupe de révolutionnaires modérés, s'opposant aux exactions de la terreur. Parlons en de cette terreur. Elle devait couper la tête de la noblesse française. Pourtant, 80 % des victimes de cette période venaient du tiers état, et une très large minorité seulement de la noblesse.

La fin du XIX ème siècle est également propice en idées fausses. Ainsi, le second empire de Napoléon III est-il largement décrié. Pourtant, c'est à cette période que furent initiées les plus grandes transformations de notre pays : construction des lignes de chemin de fer, aménagement des villes, avancées sur le droit syndical. Le régime fut très décrié par Victor Hugo et son pamphlet Napoléon, le petit. Mais qui se souvient que l'auteur et dramaturge de notre panthéon républicain fut un royaliste exalté sous Charles X et Louis Phillippe Ier, et un bonapartiste fervent, soutenant Napoléon III à ses débuts. L'exil du Hugo et son opposition aurait plus à voir avec un portefeuille ministériel qui ne se serait pas présenté à lui. La grande controverse de la fin du XIX ème, c'est bien sûr l'affaire Dreyfus. Dans l'imaginaire collectif, la gauche vola au secours du capitaine condamné à tort, pendant que la droite nationaliste soutenait la thèse de sa culpabilité. L'examen de documents de l'époque montre que la gauche a d'abord largement cru à la culpabilité du capitaine Dreyfus, que ce soit le radical Georges Clémenceau ou les socialistes Jean Jaurès et Jules Guesde. Ils ne se battront que plus tard pour faire reconnaître son innocence. Le premier convaincu de l'innocence est Emile Zola, qui publie ses premiers articles dans le Figaro, un des quotidiens de référence de la presse de droite. De même, la gauche n'a pas toujours été anti-colonialiste. C'est même elle qui a soutenu au XIX ème siècle le principe de la colonisation par les "races supérieurs" des "races inférieurs", comme le préconisait en ces termes Jules Ferry, et plus tard Léon Blum. Ils trouvèrent face eux les libéraux qui estimaient que l'aventure coloniale coûtait trop cher, et les nationalistes, qui ne juraient que par la reconquête de l'Alsace et la Lorraine.

Quelques grandes idées du XX ème volent également en éclat si on y regarde de plus près. Dès 1940, le  chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval, adopta les premières lois antisémites avant même les demandes de l'occupant nazi. Le parti communiste français se surnomma à la libération en 1944 le parti des 75 000 fusillés, en référence à son implication dans la résistance. Mais qui se souvient que jusqu'à 1941, et la fin du pacte de non agression germano-soviétique, la ligne officielle du parti communiste était plutôt la collaboration avec l'occupant allemand. 20 ans après la fin de cette guerre, l'idée se répandit que le Pape XII était antisémite et aurait eu un silence coupable face à l'extermination des juifs. De nombreux témoignages et documents montrent le contraire. Le Pape a bien condamné à de multiples reprises le régime nazi et, dans la discrétion, sauva des centaines de milliers de juifs des camps de la mort. Pourquoi telle suspicion alors ? A cause d'une pièce de théâtre, le Vicaire, montée de toute pièce, en réalité, par la propagande soviétique. Le XX ème siècle, c'est aussi la guerre froide, et notamment l’espionnage. Une affaire va bouleverser dans les années 50 : l’exécution aux Etats Unis du couple Rosenberg pour espionnage aux profits des Russes. Si l'application de la peine capitale est condamnable, il n'en demeure pas moins qu'il est bien prouvé qu'ils avaient effectivement espionné sur les projets de radars américains au profit des communistes, contrairement à ce qu'eux, et leurs soutiens, affirmaient. Un autre grand mythe du siècle : Che Guevara. Idole des jeunes révolutionnaires et des gourous du marketing, son parcours fait pourtant froid dans le dos. Avec la prise de pouvoir de Fidel Castro à Cuba, en 1159, le Che exerce une répression sanglante contre les opposants du nouveau régime, n'hésitant pas à présider des parodies de procès et à diriger lui même les pelotons d'exécutions.

Beaucoup d'autres exemples étonnants sont référencés dans le livre. Ce que l'on comprend aisément à  SA lecture, c'est l’instrumentalisation qu'on a pu faire de l'Histoire à des fins idéologiques et politiques. Ainsi, l'unification d'un pays ou d'un royaume passe par la désignation d'un ennemi commun. La légitimation d'un pouvoir suppose de discréditer le pouvoir précédent. Les erreurs du passées doivent être gommées par une propagande intensive et rejetant la faute sur d'autres. La réputation d'un souverain peut être ternie par des courtisans non suffisamment bien servis. Enfin, un obscur évènement peut être déterrer des siècles plus tard à des fins biens utiles. Ainsi va l'Histoire, ou plutôt, l'utilisation de l'Histoire.

Milan Kundera disait ceci : "Dans les régimes totalitaires, le passé est plus imprévisible que l'avenir".


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