lundi 14 novembre 2011

Limonov d'Emmanuel Carrère

Je viens d'achever la lecture du récent prix Renaudot, attribué à Emmanuel Carrère pour Limonov.

Amateur des précédents livres de Carrère (La classe de neige, l'adversaire...) et intrigué par le destin peu commun de ce Limonov, je me suis donc atteler à la lecture de ce livre, tout juste auréolé de son prix.

Je vais donc vous en dire quelques mots.




Carrère retrace les différentes vies d'Edouard Limonov,  écrivain russe intrépide qui vit le jour dans la Russie stalienne des années 40. Fils d'un officier du NKVD (le KGB de l'époque), il vit dans le culte de la grande armée rouge qui stoppa les armées nazies dans cette "Guerre patriotique" comme elle est appelée en Russie.

D'abord la vie de Limonov et de ces parents dans la banlieue de Kharkov en Ukraine où il sera tour à tour voyou, ouvrier, apprenti poète. Il sera parmi ses amis d'enfance un des seuls rescapé d'une URSS violente où alcool, banditisme et répression de toute dissidence font des ravages.

Mais c'est aussi une URSS cultivé, où les ouvrages d'auteurs français comme Jules Verne et Alexandre Dumas ont leur place dans tous les foyers russes, même dans la banlieue reculé de Kharkov, à Saltov. Une URSS où les petits voyous peuvent aussi être des poètes en herbes et pour certain talentueux. Limonov est de ceux là.Fils d'un petit officier du NKVD sans envergure, Limonov rejette cette vie là. Il veut être célèbre, être un grand écrivain. Voyant cette vie lui échapper, il pense en finir. Sorti de l’hôpital psychatrique, il devient vendeur à Kharkov pour une librairie. C'est sa chance.

Il va alors tout conquérir: La libraire, Anna, le milieu littéraire de Kharkov pour en être une des figures incontournables. Mais déjà Kharkov n'est plus à la mesure de ses ambitions. Il part avec Anna pour Moscou, et mène une vie de misère et de bohème. Mais là encore parvient à conquérir le milieu underground de Moscou et une femme appelé Elena. Une femme de catégorie A puisqu'il note les femmes avec qui il sort.

Puis direction New York, Manhattan pour un aller sans retour hors d'Union Soviétique avec cette femme qu'il aime tant. Mais New York est plus difficile à conquérir et il n'y arrive pas. Il y écrit d'ailleurs Le Journal d'un raté. Il tombe dans la misère la plus noire, s'adonne à des essais de pédérastie, et deviendra pour finir majordome d'un millionnaire.

Rencontrant enfin un petit succès littéraire grâce à un éditeur parisien pour son premier livre Le poéte russe préfére les grands nègres. Il devient coqueluche du milieu littéraire parisien, vivant modestement dans un studio du Marais avec Natasha, chanteuse de cabaret. Il collaborera notamment à l'Idiot International du sulfureux Jean-Edern Hallier, et croisera dans l'appartement de celui ci d'autres personnages non moins sulfureux comme Marc Edouard Nabe. De là viens peut être son ambiguïté politique Rouge-Brun.

L'URSS se désagrège en 1991. C'est pour lui un choc mais dans le mauvais sens. Il n'a jamais été un dissident comme Soljenitisne ou Sakharov qu'il déteste. Il en veux à Gorbatchev de cette liquidation de la patrie. Cet éclatement du bloc soviétique lui permet néanmoins de rentrer en Russie.

A presque 50 ans, il a encore besoin d'adrénaline et part rejoindre Arkan dans la serbie de 1992 en pleine désagrégation pour soutenir les serbes, mis au bans des nations. Mi-soldat, mi journaliste, il participera au siège de Sarajevo et sera l'un des derniers combattants d'Arkan à défendre les divers républiques de serbie.

Brun-rouge, il lance ensuite en Russie son mouvement national bolchevique, à l'allure fascisante. Il tente de faire la révolution contre Eltsine. Échec. C'est l'âge d'or de Moscou, des privatisations et des années frics. Limonov enrage de voir son URSS ainsi bradé à quelques investisseurs. Il se présente aux élections législatives en Ukraine. Échec. Il tente ensuite de préparer une déstabilisation des états d'Asie centrale. Échec là encore et à la clé presque trois ans de prisons. Mais entre temps, sa notoriété a grandi, le succès littéraire est venu. S'il ferraille toujours contre le régime Poutinien, il semble davantage proner une révolution orange comme en Ukraine. Sa dernière ambition: fondé une religion. Rien que cela.

Carrère nous plonge dans une vie incroyable, aux multiples décors (la banlieue pauvre d’Ukraine, l'underground moscovite, les hôtels sordides puis les appartements luxeux de Manhattan, le milieu littéraire parisien de Saint Germain des prés et de la place des Vosges, les paysages dévastés par la guerre de la Serbie,  les steppes d’Asie centrale, un bunker moscovite comme siège de parti politique, les prisons de l'ex KGB...).

Limonov n'a pas des idées politiques très claire. Tentative de restauration du communisme ? Révolution pacifique, nationalisme russe. Un peu de tout ça. Mais dans quel ordre. C'est un homme d'action plus que de doctrine politique. Il n'aime pas Gorbatchev, Eltsine, Poutine, le libéralisme, qu'on critique le KGB ou l'armée rouge. Non, la russie n'a pas été pendant 70 ans aux mains d'une bande de criminel pense t il. 
C'est aussi un coureur de femmes et le livre est rempli d'histoire et d'expérience sexuelle. A la limite de l'indigeste par moment.

Le personnage a des ambiguïtés, il s'est beaucoup fourvoyé et souvent trompé.Mais il faut reconnaître que c'est un écrivain qui s'engage, qui n'a pas peur, et qui en à payer les conséquences. Il ne cherche pas le confort des terrasses de Saint Germain des prés, au contraire il rejette cette sécurité dans laquelle se sont réfugiés nombre d'intellectuels. Il tombe parfois très bas, touche le fond et les bas fonds, mais à chaque fois repart. Sa quête est de tout expérimenter. C'est la vie qu'il a choisi. Comme l'écrit Carrère dans le livre, ne faut il pas avoir vécu des choses pour avoir quelquechose a écrire ? Limonov aura fait de sa vie de nombreux livres en tout cas.

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