mercredi 2 mai 2012

Indignation de Philip Roth

En 2010, l'ancien diplomate, résistant et homme de gauche Stéphane Hessel publiait le best seller mondial Indignez-vous ! Cet ouvrage médiocre, avec peu de pages et encore moins d'idées, fut le bréviaire de tous les pseudos campeurs de places et de jardins publics des mouvements Indignados en Espagne ou Occupy Wall Street aux Etats-Unis. Voulant prendre part à ce mouvement d'indignation, je me précipite donc en librairie pour me procurer le fameux opus du grand homme de la révolte. Et plutôt qu'Indignez-vous, je tombe sur l'un des derniers ouvrages du romancier américain Philip Roth : Indignation. Dans le 28 ème roman d'un des grands maîtres de la littérature américaine, pas de niaiseries ni de prêchi prêcha pour biens pensants en mal de rébellions. De la littérature, de la vrai. Et de l'indignation, de la vrai.

Pour l'occasion, le romancier natif de Newark a opportunément délaissé le narrateur âgé de ses derniers romans, pour se mettre dans la peau d'un jeune étudiant d'une université américaine, Marcus Messner. Fini donc le vieux monsieur irascible, accaparé par ses problèmes d'impuissance ou de prostate, et retour en 1951 dans la peau d'un jeune homme qui, surprenante coïncidence, a le même âge que l'auteur à la même époque. 1951, c'est donc une plongée dans cette Amérique des années 50, avec en toile de fond la très meurtrière guerre de Corée qui envoie des dizaines de milliers de jeunes américains combattre les communistes chinois et nord-Coréens au niveau du 38 ème parallèle.

Philip Roth avait ces dernières années quelque peu déçu ses fans. Avec Indignation, le grand auteur du New Jersey est de retour, en grande forme. Comme il l'avait si magistralement mis en scène dans Pastorale Américaine pour les années 60-70, Roth égratigne les travers moraux de son pays, et les moeurs puritaines de ses compatriotes. Mais cette fois-ci dans les années 50.

Sans dévoiler toute l'histoire bien sûr, quelques mots sur l’atmosphère du Roman. Marcus Messner, fils unique d'une famille de Newark dans le New Jersey, est un étudiant brillant, mais étouffe auprès d'un père protecteur et paranoïaque jusqu'à la folie. Ce fils de boucher Kasher, qui connait un bout du métier, tente donc l'aventure dans le middlewest en intégrant l'université de Winsburg dans l'Ohio. Fini la petite université du New Jersey où se côtoient juifs, italiens et irlandais. Place au campus de l'université baptiste, avec sa morale et ses traditions. 

Marcus se doit de réussir. Alors qu'importe ce puritanisme pesant et ses condisciples WASP qu'il refuse de côtoyer. Trois choses comptes pour lui : ses études, sortir avec fille et échapper à la guerre de Corée. Le reste ne l'intéresse pas. Côté étude, le jeune homme excelle. Côté fille, une gâterie inespérée et marquante d'une jeune étudiante perturbée lui fera découvrir l'amour. Jusqu'à la folie. La guerre de Corée, il pense y échapper en devenant le meilleur. Le meilleur en tout, le major de promo, y compris en préparation militaire.

Mais le jeune homme est bientôt rattrapé par la morale étouffante du campus. Il y a les fraternités, mais pour la grande majorité, elles sont réservées exclusivement aux jeunes hommes, blancs et protestants. Il y a bien quelques juifs et noirs sur le campus, mais l'accès leur est exclu. L'Amérique des années 50 est encore raciste. Le campus est aussi le lieu de toutes les frustrations. Les garçons et les filles sont séparés dans des bâtiments et dortoirs différents, et n'assouvissent leurs désirs et pulsions profondes qu'en cachette. Ou le plus souvent jamais. Car la morale veille, en la personne du doyen Caudwell. Héros de l'université pour son passé sportif, au ton cordial et volontiers paternaliste, il n'est que la résurgence d'une inquisition douce qui entend tout savoir et tout contrôler des agissements et sentiments les plus profonds de ses étudiants. Campus fondé par les baptistes, l'université n'en est pas moins laïque. Ce qui n'empêche pas le doyen d'imposer à tous les étudiants d'assister à l'office et aux sermons pour obtenir leurs diplômes. D'une famille juive, mais profondément athée, Marcus ronge son frein pendant les offices et, de rage, répète dans sa tête les strophes du champ patriotique chinois. A la 4 ème strophe : "Indignation".

Et le jeune homme brillant va aller d'indignation en indignation. Des indignations qu'il a trop longtemps refoulées. L'indignation, ce sont les violents échanges verbaux avec le placide mais inquisiteur doyen Caudwell à propos de la religion. L'indignation, c'est le refus d'intégrer les fraternités, même celles non chrétiennes qui pourraient l'accepter. Pas le temps. L'indignation, c'est de ne pas vouloir intégrer l'équipe de base ball. Pas le temps. L'indignation, c'est de ne pas participer aux beuveries de fin de semaine dans les bars du campus. Pas le temps. L'indignation, c'est de refuser d'aller à la messe écouter ses sermons qu'il trouve abjectes. Il défend un athéisme à la Bertrand Russell. L'indignation, c'est aussi ce silence général sur le sort de la fille, disparue, qui lui a fait découvrir, pour la première fois, en cachette, le plaisir et l'amour. Bientôt, il ne sera plus seul à s'indigner. Le campus va rentrer en ébullition.  Mais pour Marcus, le sort est scellé. Il paiera de sa vie son indignation...

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